Une actualité chaude qui mérite une disponibilité totale et des actions fortes
Pression économique, instabilité politique, gouvernance inéquitable, perte d’attractivité auprès de la jeunesse, concurrence internationale, précarité de l’emploi et insécurité au travail, stigmatisation, urgence écologique, conflits d’usage de l’espace maritime : le secteur de la pêche française est sous forte pression - si ce n’est pas menacé d’extinction.
Certes, la mer et la pêche retrouvent un Ministère propre. Mais comment un ministre à temps partiel peut-il se rendre disponible pour répondre pleinement à toutes ces urgences ? Comment un homme qui ne cache pas sa proximité avec la pêche industrielle peut-il protéger la biodiversité et défendre les intérêts de la pêche artisanale et de toutes les travailleuses et travailleurs du secteur, notamment en aval ? Comment le membre d’un gouvernement fondé sur un hold-up démocratique peut-il prétendre offrir une quelconque légitimité à ses décisions, à son poids international ou encore à son rôle d’animateur du dialogue entre les acteurs de la mer ? Comment espérer offrir une perspective d’avenir durable à tout un secteur si ses préoccupations de carrière locale supplantent ses priorités de ministre ?
Peut-être Fabrice Loher nous surprendra-t-il. Mais l’urgence d’agir est telle que je ne peux m'empêcher d’être inquiet.
Interdiction de pêche dans le golfe de Gascogne : donnons-nous les moyens de concilier écologie et emploi
Le réchauffement planétaire, la surpêche et les diverses pollutions sonores et chimiques ont depuis une dizaine d’années dérouté les cétacés en Atlantique-Nord, qui se retrouvent piégés par les engins de pêche déployés notamment dans le golfe de Gascogne.
Par conséquent, fin-janvier 2025, des centaines de navires de pêche français et européens seront une nouvelle fois sommés de rester à quai pendant un mois. Une interdiction justifiée tant la menace d’extinction pèse sur les cétacés menacés, mais qui représente un risque économique majeur pour l’ensemble de la filière. A la coopérative maritime des pêcheurs de Lorient, ce sont 5 emplois qui ont été supprimés suite à la première interdiction, en janvier 2024. Ce risque, le gouvernement n’a - pour l’instant - pas prévu de l’atténuer suffisamment.
L’indispensable conservation de la biodiversité marine ne doit pas se faire au détriment de lourds sacrifices sociaux. Il nous reste moins de quatre mois avant la période de retraite hivernale pour trouver collectivement des solutions concrètes, ambitieuses et durables pour concilier écologie et emploi.
J’appelle Fabrice Loher à convoquer en urgence une Conférence pour un plan juste de conservation des cétacés dans le golfe de Gascogne réunissant tous les acteurs concernés - et notamment les pêcheurs-artisans - afin de mettre sur la table toutes les solutions pour résoudre cette équation difficile. Une résolution qui passera nécessairement par une révision de l’arrêté du 24 octobre 2023, notamment pour adapter les dispositions relatives au champ d’application de l’interdiction ainsi que des modalités de compensation financières.
La pêche industrielle : principal coupable de la crise du secteur
Les difficultés rencontrées autour du golfe de Gascogne ne sont que le symptôme d’une crise structurelle bien plus profonde que traverse le secteur de la pêche française. Une crise existentielle sur laquelle le nouveau ministre n’aura d’autre choix que d’agir s’il veut prétendre réussir son mandat.
A l’ombre de cette crise qui brouille les perspectives d’avenir du secteur de la pêche se cache le vrai coupable : la pêche industrielle et sa domination financière et politique du secteur. Un modèle anachronique qui dessert l’emploi et qui accentue la pression sur le secteur par sa participation au réchauffement climatique, à l'effondrement de la biodiversité marine et sa dépendance aux énergies fossiles.
Distribution des quotas et des licences, anticipation des aléas économiques, innovations technologiques, partage de la valeur, renouvellement des générations, diversification des débouchés commerciaux : l’avenir de la filière dépend de la manière dont elle est gérée.
Et qu’on se le dise : elle est mal gérée…
Pour sortir le secteur de l’impasse dans lequel l’ont poussé les partisans de la pêche industrielle, il est indispensable de passer par une réforme en profondeur du modèle de gouvernance. Une gouvernance qui souffre cruellement de transparence et d’équité, notamment en termes de représentativité des acteurs de la filière.
J’appelle donc Fabrice Loher à lancer avant la fin de l’année un chantier de refonte de la gouvernance de la filière pêche avec pour double objectif de favoriser l’emploi et de préserver les écosystèmes naturels marins.
Mais au-delà de la pêche française, le gouvernement doit peser de tout son poids pour que des mesures drastiques soient adoptées au niveau européen et international en faveur de la lutte contre la surpêche, la pêche illégale et la pêche non déclarée.
Convertir la pêche à l’artisanat ou s’enfoncer dans l’impasse de la pêche industrielle : quel cap se fixera Fabrice Loher ?
Si Fabrice Loher doit impérativement soutenir prioritairement la pêche artisanale - seule alternative viable pour maintenir l’emploi des villes portuaires face au déclin inéluctable de la pêche industrielle, rien ne laisse à penser qu’il le fera.
Car derrière son discours de soutien aux pêcheurs semble se cacher une vision “productiviste” de l’avenir de la filière. La meilleure illustration provient de son soutien politique et financier au projet Ker Oman, qui vise à diversifier les activités du Port de Lorient en participant à la construction et à l’exploitation du port de Duqm à Oman destiné à exporter une partie des 200 000 tonnes de poissons par an (voire 1 million à termes), dont une partie dans le circuit agro-alimentaire français. Un projet opaque largement décrié par des ONG, des élus et de nombreux pêcheurs pour son aberration écologique (participation à la surpêche en Océan indien et transport frigorifié par avion), sa dimension antisociale (exploitation de travailleurs étrangers, installation dans une zone fiscalement favorable) et son manque d’intérêt économique pour le territoire lorientais (bénéfices incertains concentrés sur le secteur de la transformation et de la distribution).
En outre, Fabrice Loher ne cache pas sa proximité avec Olivier Le Nezet qui cumule 24 mandats, dont celui de Président du puissant Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), organisme dominé par les acteurs industriels pour préserver leurs intérêts.
Enfin, Fabrice Loher fait partie d’une famille politique et d’un gouvernement qui compte des membres habitués à dénigrer sans scrupule la parole scientifique et les associations de protection de l’environnement. Leurs postures caricaturales et dogmatiques en font les premiers porte-parole d’une industrie agro-alimentaire en guerre contre la nature.
Le CV de Fabrice Loher laisse donc à penser qu’il pencherait plutôt pour le statu quo, au bénéfice de la pêche industrielle qui s’accapare les quotas, les gains financiers et les aides publiques - notamment sur le carburant, au détriment d’une pêche artisanale bien plus riche en emploi et dont l’avenir est bien mieux assurée.