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Billet de blog 5 février 2025

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Censure : sur le fond...

C'est l'histoire d'un premier Ministre illégitime qui souhaite passer le pire budget pour les Français, en mentant sur les conséquences d'une censure. Ne pas le censurer, c’est légitimer un hold-up démocratique, et le braquage de Français.

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Illustration 1

Je ne dis pas que les choses sont simples. Mais si l’on regarde les choses sur le fond, la non-censure de ce Gouvernement est incompréhensible. Comme beaucoup de monde, je doute de plein de chose, tout le temps. Il parait que c’est signe d’intelligence, mais j’en doute – et ce serait avoir un gros melon.

Mais si l’on repose les choses sur le fond, il ne peut y avoir de doutes. Il faut censurer ce Gouvernement. Et ne pas le faire, c’est légitimer un hold-up démocratique, et le braquage de Français.

Un budget qui néglige la santé des Français

« C’est 4000 haut-viennois qui n’auront plus de généraliste. »

Cet hiver, comme un idiot, je suis tombé et me suis fait mal. Rien de grave, une douleur aux côtes en rentrant, quelques vomissements, et puis j’ai eu la chance de voir mon médecin pour un petit diagnostic. Ma santé, ça va. Mais celles des autres, je ne sais pas. Pour cause, il m’annonce « À Beaune, c’est deux médecins qui partent. À Saint-Priest, c’est un autre collègue. À Saint-Sulpice, finalement, il ne remplace pas… Je ne sais pas comment je peux faire, dans le secteur Ambazac, c’est 4000 haut-viennois qui n’auront plus de généraliste, je ne peux pas prendre plus de monde… » Sans vous refaire toute l’historique, nous souffrons de l’immobilisme sur les déserts médicaux. Nous formons toujours autant de médecins que dans les années 1970, alors que nous avons 15 millions d’habitants en plus. Aucune régulation à l’installation n’est prévue, aucun poste salarié dans les zones sous-denses non plus… La seule mesure de ce Gouvernement ? Une taxe lapin pour celles et ceux qui loupent leur rendez-vous.

« Tout à l’heure, aux urgences, j’avais un patient de 63 ans. Ça faisait 3 jours, 13 heures et 45 minutes qu’il était là. Quand on arrive à 7h30, les couloirs sont pleins. On monte jusqu’à 80 personnes parfois. » - Limoges

J’ai de la chance, je ne suis pas allé aux urgences. J’ai d’autant plus de chance qu’à Limoges comme ailleurs, la situation y est intenable. Intenable alors même que, selon la Haute Autorité de Santé, l’engorgement est responsable d’accidents graves, à savoir : la mort de patients, faute de prise en charge. Cette situation dure tristement. Pourquoi ? Parce qu’après des années d’économies sur le dos des soignants, leurs conditions de travail se dégradent, et ils se font de plus en plus rares pour remplir les effectifs. Conséquence : il y a moins de lits pour hospitaliser les malades, donc beaucoup restent en attente sur des brancards, parfois pendant plusieurs jours, dans les couloirs des urgences. Barnier a notamment été censuré pour cela : un budget qui n’aurait en rien résolu la crise hospitalière. Malgré ce qu’ont pu avancer les élus du Parti socialiste et François Bayrou sur ce nouveau budget, l’ONDAM – les dépenses pour la santé – ne donneront toujours pas des moyens suffisants aux hôpitaux. Dans son dernier bouquin, Olivier Milleron, du Collectif Inter-Hôpitaux, explique que les besoins « mécaniques » de l’hôpital augmentent de 4,5% par an. Comprendre, c’est le plancher qui permet de couvrir les dépenses liées au vieillissement de la population, aux hausses de coûts des traitements, à l’augmentation des maladies chroniques… et bien, le Gouvernement prévoit que le budget soit systématiquement inférieur à ce plancher jusqu’en 2028 (selon les prévisions). Donc côté santé et hôpital, rien ne justifie l’absence de censure.

Un budget qui néglige les Français, tout court

Et si on sortait de la santé, peut-être trouverions-nous de bonnes raisons de ne pas censurer Bayrou ? Caramba, encore raté.

« Ce service public le moins cher ne doit pas devenir Low Cost ! »

À la Sainte-Barbe de Saint-Léonard-de-Noblat, je voulais expliquer ma position aux sapeurs-pompiers. La sécurité civile en France, ça coûte 5 milliards. C’est rikiki compte tenu des missions accomplies. Par exemple, l’enseignement privé en France est subventionné à hauteur de 10 milliards – alors que ça fait doublon avec le public. 5 milliards pour ceux qui viennent à chaque instant à notre secours, ce n’est rien du tout. Et pourtant, ce budget prévoit de nouvelles coupes budgétaires, notamment sur le matériel. Tout cela alors que le dérèglement climatique accroit considérablement les inondations, comme nous en avons en Bretagne ou en Haute-Vienne, il y a quelques mois. Tout cela, alors que la crise de l’hôpital public oblige les sapeurs-pompiers à remplir en plus la mission d’ambulanciers.

La baisse pour les Services Départementaux d’Incendies et de Secours se fait également via la baisse des dotations aux collectivités qui les financent. Les collectivités vont au total perdre 2 milliards d’euros alors que leurs budgets sont déjà extrêmement contractés. Cela aura un impact fort sur l’économie locale, puisque c’est autant d’argent qui ne sera pas utilisé pour refaire des routes, investir dans les services publics, etc. Donc autant de boîtes qui vont voir leur carnet de commandes se réduire.

Les entreprises du bâtiment, qui traversent déjà une grande crise, seront doublement impactées par ce budget : les collectivités vont moins commander, et le budget alloué au logement et à MaPrimeRenov, qui finance les rénovations thermiques des logements, va perdre aussi 2 milliards. Dans une ville comme Limoges, où de nombreux appartement sont des passoires thermiques, aucune perspective n’est tracée, et les aides aux rénovations vont se faire plus rares. C’est se tirer une balle dans le pied au moment où nous avons besoin de sobriété thermique. Et, en bout de chaîne, ce sont les habitants qui vont continuer à payer plus cher leurs factures de chauffage[1], faute de pouvoir rénover. Chauffage qui va d’ailleurs devenir plus cher, puisque l’article 4 du Projet de loi de Finances va taxer davantage EDF, et faire grimper les factures.

Je pourrais vous en donner plein d’autres des exemples : les micro-entrepreneurs qui vont être taxés, le pass’ culture qui se fait massacrer, les 200 millions pris sur l’Éducation nationale, les 1,5 milliards retirés à l’enseignement supérieur, les 2,5 milliards d’euros recoupés sur l’écologie. Tout cela, alors qu’un autre budget était possible : nous l’avons porté avec le Nouveau Front Populaire.

Un budget qui gave les gavés

« Je reviens des USA et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays »

Bernard Arnault est allé faire un tour aux États-Unis d’Amérique pour célébrer l’investiture de Donald Trump. Président condamné, qui menace d’annexer nos alliés du Canada, du Mexique et du Danemark, qui a gracié des militants putschistes. Bernard Arnault appelle ça « l’optimisme ». Le message est clair.

Il n’avait peut-être pas besoin de traverser l’Atlantique pour observer « l’optimisme ». Les affaires tournent, en France. En 2024, les 500 fortunes du pays pèsent la moitié du PIB français. Les entreprises du CAC40 ont versé presque 100 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires. Le business tourne bien. La France n’a sans doute jamais été aussi riche. Pourtant, ces mêmes très riches rechignent à participer à l’effort national. Ils rechignent tellement, qu’ils ont réussi à limiter à une année seulement la petite majoration d’impôt sur les sociétés qu’ils vont devoir payer. Les économies sur l’hôpital et tout le reste, c’est tous les ans. La contribution des milliardaires, c’est one shot.

Pendant que la fortune des plus riches s’envole, nos poches se vident. Le gaz +2,5%, les péages +1%, les mutuelles +5%, l’assurance habitation +20%, les tarifs bancaires +5%.

Certains se gavent plus que jamais, mais les Français payent en coupes budgétaires sur leurs services publics, et payent parce que tout ce qui est essentiel augmente. Et dans l’irrespect le plus total, Bayrou s’est offert le luxe de ne même pas donner un coup de pouce de 1% au SMIC. Le salaire minimum ne prendra même pas 1% ! Et malgré tout ça, il ne serait pas censuré ? C’est inenvisageable.

Ce budget agresse tout ce qui nous est essentiel aujourd’hui. Mais pire, il agresse aussi tout ce qui nous sera essentiel demain : il prive le pays d’investissements pour l’environnement, pour la jeunesse, pour les entreprises, pour la santé. Tout ça pour quoi ? Pour payer les multiples cadeaux faits aux plus riches du pays, et éviter de trop les faire contribuer. Quelle trajectoire, quel signal envoie un Gouvernement qui hypothèque l’avenir pour satisfaire ses amis aujourd’hui ?

Un gouvernement qui ouvre la porte à l'extrême droite

« Monsieur le Député, je veux vous parler. Je n’en peux plus. On est plusieurs à se dire que l’on va quitter le pays, franchement. Je viens de voir à la télé que Retailleau il veut priver les accompagnatrices voilées des sorties scolaires ? Moi ma femme, elle s’investit pour les gamins, et là il la traite comme une moins que rien qui devrait se cacher ? Ici, on est chez Weston, je fabrique du Français, je me bagarre pour la production du pays et je me sens insulté chaque fois qu’un ministre parle. Il fait quoi Retailleau pour la souveraineté du pays ? »

J.M Weston fabrique une grande partie de ses chaussures – celles des présidents ! – à Limoges, en zone nord. C’est lors de ma visite que ce salarié m’a sollicité. La colère dans son regard. Mais surtout, le désespoir de se dire que « quoi que tu fasses, tu restes un arabe qui gêne ».

À eux seuls, Bruno Retailleau et ses idées devraient justifier une censure. Sa place au Gouvernement légitime les idées d’extrême droite. Il semblerait même que ses propos aient contaminé ses collègues. François Bayrou lui-même parle de « submersion migratoire », ce qui est l’étape préliminaire avant de parler de « grand remplacement », idéologie qui a couté la vie notamment à 49 musulmans en Nouvelle-Zélande en 2019, puisqu’un terroriste d’extrême droite s’en est servi pour justifier cette tuerie de masse. Le Gouvernement n’ayant aucune capacité à se rendre populaire, agir pour le bien commun, le bien des masses, va continuer de s’enterrer dans cette rhétorique d’extrême droite pour créer un clivage à l’intérieur du peuple et détourner l’attention du vrai problème : il y a des fous qui se gavent d’argent et qui appauvrissent le reste des travailleurs.

Ainsi, ne pas censurer, c’est accepter cette fuite en avant. Mais c’est aussi trahir l’opposition à Macron et donner l’impression que, finalement, le Nouveau Front Populaire n’est pas capable de s’entendre sur la chose la plus simple qui soit : son opposition à un Gouvernement qui sacrifie les travailleurs pour faire des cadeaux aux plus riches, et qui fait monter les sujets d’extrême droite pour que cela ne se voit pas.

Cotiser à la propagande du Gouvernement, c’est mentir

Les raisons d’une non-censure, ce serait de ne pas plonger notre pays dans l’instabilité ? Mais c’est faux. Factuellement faux. Déjà, malgré les annonces de la Nostradamus du 49.3 – Elisabeth Borne – les cartes vitales fonctionnent toujours, et les fonctionnaires touchent bien leurs payes. Ainsi, il ne sert à rien de cotiser à la propagande du Gouvernement. Eric Coquerel, président de la Commission des Finances a d’ailleurs fait une tribune pour démonter un à un les arguments du Gouvernement, et de ceux qui refusent de voter la censure.

La censure priverait-elle le pays de budget ? Non, celui de 2024 – moins mauvais – serait prolongé.

La censure empêcherait-elle l’État d’investir ou d’octroyer des subventions ? Non, c’est le Gouvernement qui décide de geler les crédits, de fusiller le pass’ culture ou de rompre les contrats de services civiques pour punir les Français.

Les Français verraient-ils leur impôt sur le revenu augmenter ? Non, une loi dédiée, votée par tous les députés car tous d’accord, permettrait de réindexer le barème sur l’inflation.

Bref, pas de pluie de sauterelles avec la censure. Par contre, sans censure, c’est une pluie de malheurs et de coupes budgétaires injustes à coup sûr.

Alors dans le fond, il faut censurer ce Gouvernement

J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, lorsqu’on a un premier Ministre qui libère et légitime autant l’extrême droite, tout en poursuivant la destruction de ce qui nous est cher, il faut censurer. Lorsqu’on a un Gouvernement qui passe ce budget en force par 49.3, alors que ce même Gouvernement n’a été voulu par personne, il faut respecter les Français et censurer.  Le plus grand danger n’est peut-être pas un ralentissement institutionnel, mais l’accélération d’une politique libérale et réactionnaire en France : celle de ce Gouvernement.

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