
Agrandissement : Illustration 1

Richard Ferrand, plus fidèle des macronistes, qui souhaite un troisième mandat de Macron, que même la droite rejette, vient d’être nommé Président du Conseil constitutionnel, grâce au Rassemblement national.
Oui, ça va vite. Très vite. Que ce soit dans les urnes : des scores toujours plus élevés pour l’extrême droite. Ou sur le terrain de la bataille idéologique : les thèmes de l’extrême droite sont omniprésents dans les discours médiatiques, et leurs idées gagnent du terrain chez les jeunes. Ou encore, l’homme le plus riche de France (et du monde un an sur deux) qui salue Donald Trump. Maintenant, les politiques opportunistes s’affichent clairement et vont jusqu’à traiter avec le RN pour devenir Président du Conseil constitutionnel. Sans surprise malheureusement, car depuis plusieurs mois à l’Assemblée, la jonction est déjà faite : de la loi immigration pour les macronistes au soutien au gouvernement de Bayrou pour le RN, les échanges d’amabilités entre les 2 camps sont quotidiens.
Durant ma génération, on a toujours entendu « ils montent, attention, ça arrive ». Mais ma génération s’est aussi donné les moyens pour entendre le soir du 7 juillet « Le Nouveau Front Populaire, la gauche, en tête des élections » - à la surprise générale ! Et c’est peut-être ce dernier fait qui pousse l’élite politique, économique et (faussement) intellectuelle, à donner les clefs du pouvoir à l’extrême-droite. Car comme le dit Johann Chapoutot, historien du nazisme, dans son dernier ouvrage Les Irresponsables : les Nazis n’ont pas conquis le pouvoir, c’est l’élite politique et économique qui leur a donné.
Richard Ferrand, rejeté par les Français, sauvé par le RN
« A titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire. La limitation du mandat présidentiel […] corsète notre vie publique. Changeons tout cela ! »
Cette citation, elle est de Richard Ferrand. Et, Richard Ferrand vient d’être nommé à la tête du Conseil constitutionnel, sur proposition d’Emmanuel Macron. Mais surtout, grâce au soutien du Rassemblement national, dont les députés se sont abstenus lors du vote sur sa nomination, permettant sa validation à une voix près.
Quelques mots sur le personnage : un des premiers fidèles d’Emmanuel Macron, il a récemment plaidé pour que celui-ci puisse se représenter pour un troisième mandat… au détriment de la Constitution donc, qui l’interdit. Constitution que le même Ferrand va maintenant devoir protéger.
Rapide détour par son passif avec une institution qu’il connait bien : en 2017, Richard Ferrand est miraculeusement acquitté dans une affaire judiciaire pour prise illégale d’intérêts. À l’époque où il dirigeait les Mutuelles de Bretagne, il leur avait fait louer des locaux appartenant à sa famille. L’affaire est classée sans suite pour prescription des faits (pas jugée sur le fond donc), et la procureure générale à la cour d’appel de Rennes, qui a personnellement suivi ce dossier, s’est retrouvée nommée en 2022… au Conseil constitutionnel, sur proposition de Richard Ferrand. Pratique.
La nomination de ce très proche d’Emmanuel Macron représente un affaiblissement direct et violent de l’institution. Le Conseil constitutionnel est chargé de vérifier la conformité des lois qui sont votées par le Parlement avec la Constitution. Pour interpréter ce texte juridique par excellence, on verrait plus naturellement un spécialiste du droit constitutionnel : Ferrand n’a aucune expérience en la matière. Mais surtout, comment s’imaginer qu’il puisse être le défenseur impartial de la séparation des pouvoirs, garantie par la Constitution, quand lui-même est acquis corps et âme à la cause du Président de la République ?
Du côté de Macron qui a proposé son nom, rien de surprenant : depuis 2017, il brutalise et fragilise tous les corps intermédiaires. Dès son élection, il supprime les CHSCT, qui permettaient le dialogue dans l’entreprise via les syndicats. Il piétine ces derniers à chaque réforme de l’assurance chômage, en reprenant la main sur ce qui devait relever de leurs attributions. À quasiment tous les budgets, il impose une cure d’austérité aux budgets des communes, de moins en moins autonomes pour gérer leurs affaires. Ce nouveau coup porté à une instance chargée de contrôler son pouvoir n’a donc rien de surprenant. Et si jamais le nouveau président du Conseil décidait de l’autoriser à se présenter pour un troisième mandat, en cas de démission anticipée du chef de l’État par exemple, que demander de plus !
Pour Marine Le Pen par contre, qui en s’abstenant de voter a permis cette nomination, les raisons sont moins évidentes. Une hypothèse aurait à voir avec ses propres démêlés judiciaires : alors qu’elle risque la condamnation dans le procès des assistants parlementaires européens du RN à une peine d’inéligibilité qui l’empêcherait de se présenter en 2027, le Conseil constitutionnel pourrait annuler la sanction. Y a-t-il eu accord sur le sujet entre les elle et Richard Ferrand ? Impossible d’éluder la question.
Une autre hypothèse, est qu’elle pense peut-être comme Macron : si celui-ci peut se représenter à la prochaine présidentielle, alors le duel face à un Président détesté par de plus en plus de Français pourrait lui profiter.
Le fait est que le RN a permis cette nomination, c’est donc bien qu’elle sert ses intérêts : soit il y a un deal direct entre les deux, soit la stratégie du RN en bénéficie à plus long terme.
Saint-Valentin et ménage à trois : Extrême droite, macronistes, ultra-riches ?
Tout ça ne date pas d’hier. Au lendemain des élections législatives de 2022, Sylvain Maillard – député Renaissance – avait rapidement digéré le barrage républicain qui avait fait élire une bonne partie de ses collègues, et plaidait pour un travail avec le Rassemblement national : « Les Français ont demandé qu’on soit plus ouverts, que ce soit avec le RN, ou avec tous. C’est ça, ou on dissout. Parfois, le RN peut avoir des positions qui l’amènent à voter des textes. C’est LFI qui a toujours voté contre nous ». Le surlendemain, c’est l’ancien président de la commission des Finances, Eric Woerth, qui voulait offrir le contrôle de la commission au RN plutôt qu’à l’insoumis Éric Coquerel : « Les insoumis ont visiblement en tête de faire du contrôle fiscal. Ce que je n'ai pas entendu au RN ». Hitler plutôt que le Front Populaire, Rassemblement national plutôt que contrôle fiscal. Puis, ont suivi des votes communs, refus d’augmenter le SMIC, d’indexer les salaires sur l’inflation, de réinstaurer l’impôt de solidarité sur la fortune, Olivier Dussopt qui explique que Marine Le Pen est « bien plus républicaine » que d’autres élus de gauche, une loi immigration du gouvernement qui reprend les thèses du RN est qui est vécu par ces derniers comme « une victoire idéologique », etc., etc.
Les députés macronistes ne sont pas les seuls mobilisés : leurs soutiens sont aussi sur le pont. Le 20 janvier, les images qui nous parviennent des États-Unis glacent le sang. Elon Musk, vice-président officieux de la première puissance mondiale et homme le plus riche du monde, gratifie la foule d’un salut nazi.
En France, la caste des éditorialistes se mobilise : Raphaël Enthoven, expert en extrapolations délirantes quand il s’agit d’accuser les insoumis d’antisémitisme, n’y voit que « le geste désordonné d’un type qui envoie son cœur à une foule de fans ». Pour ce grand défenseur du macronisme, l’objectif est clair : pas touche à l’extrême droite. Guillaume Erner, éditorialiste sur France Culture, actuellement en promo pour son livre Judéobsessions dans lequel il détaille son combat acharné contre l’antisémitisme, dédie son édito du 21 janvier au… chapeau de Mélania Trump. Daniel Schneidermann, dans Arrêt sur Image, le confronte à merveille : « le seul moment où votre « judéobsession » vous délivre, c’est le jour où le quasi-vice-président américain fait un salut nazi ».
Mais tandis que nos médias tentent de protéger celui dont ils vantent régulièrement les mérites, les réseaux d’extrême droite, eux, ne s’y trompent pas. Personne ne s’imagine que cela puisse être autre chose que ce que c’est : un salut nazi. Et le message est reçu 5 sur 5. L’avenir est pour eux.
Dans l’autre sens, les Valentins ont envoyé les bons signaux. Déjà : cravate, ceinture, bretelles et de la courtoisie auprès des macronistes. Une opposition de façade. Tellement de façade, que même sur la réforme des retraites, les députés RN ont déposé moins d’amendements que les macronistes eux-mêmes : ils trouvaient moins à redire que les macronistes sur le texte de la retraite à 64 ans ! Mais au-delà de la cravate, le Rassemblement national se projette déjà dans l’après Macron. Ils savent que le bloc central s’effrite et veulent en récupérer les fruits. Mais cela ne concerne pas uniquement les électeurs.
Marine Le Pen a le sentiment que son électorat populaire lui est définitivement acquis, et qu’il est suffisamment haut. Maintenant, il lui faut convaincre l’élite, économique et politique, qu’elle ne leur causera pas de désagréments. Ça tombe plutôt bien, puisque cette élite semble lassée de Macron, devenu trop instable, et qui les a mis en danger avec la dernière dissolution. Alors, celle qui déjà avant 2022 promettait de rembourser la dette et qui ne dit rien des différents scandales fiscaux qui traversent le pays, multiplie les signaux envoyés aux puissances économiques.
Une défense du patronat déjà. Alors que la France et les ouvriers-employés sont frappés par des plans sociaux chez Auchan (2389 postes), Michelin (2300 postes), Sanofi (330 postes), que dans le même temps, le CAC40 affiche un record avec le versement de 100 milliards d’euros de dividendes, que les impôts n’ont jamais été aussi bas pour les fortunés, voilà que Bernard Arnault salue le « vent d’optimisme » qui souffle aux États-Unis, où Elon Musk venait juste de faire un salut nazi. Face à cela, Sophie Binet explicite : « Ces propos sont à l’image du comportement des grands patrons aujourd’hui qui coulent le pays, ils n’en ont plus rien à faire de la France, de l’intérêt général. Leur seul objectif, c’est l’appât du gain, les rats quittent le navire. » Qui vient à la rescousse du soldat Arnault ? Jordan Bardella : « Nos grandes entreprises sont mondialement reconnues et portent haut le drapeau tricolore. Honte à Sophie Binet. » Ce n’est pas anecdotique. Au moment où les ultras riches se cherchent un futur champion pour préserver leurs intérêts de classe, Bardella postule. Cela explique d’ailleurs tous les revirements du Rassemblement national sur les questions économiques : plus d’abrogation prioritaire de la réforme des retraites pour Bardella en 2024, des votes contre les mesures anti-financiarisation des laboratoires, contre de multiples dispositifs de participation des plus riches au pot commun… Jusqu’à l’abstention sur la « Taxe Zucman », qui demande que les milliardaires payent au moins 2% de leur patrimoine en impôt. Le Rassemblement national change de cap économique. Ils comprennent qu’ils vont avoir besoin de la fusion des droites pour gagner, et pour ça, il faut rassurer la caste. Ils s’inspirent notamment des autres pays du monde où l’extrême droite a gagné : Argentine, États-Unis, Italie, Autriche, Pays-Bas… L’extrême droite gagne à chaque fois sur un programme libéral, pas protectionniste.
Non-censure de François Bayrou, nomination de Ferrand au Conseil constitutionnel : le RN est bien devenu la béquille officielle d’un régime macroniste finissant, dont il attend qu’elle lui laisse les clés du pouvoir. Leur séduction des milieux d’affaires doit parachever leur conquête de la classe bourgeoise. Cette dernière se laisse faire sans broncher. Après tout, tout cela sert ses intérêts. La conclusion de l’ouvrage de Johann Chapoutot sera celle de cette note : « En 1932, l’attitude irresponsable des libéraux autoritaires désireux de se maintenir au pouvoir malgré les désaveux électoraux a conduit, après des calculs tactiques successifs […], à appeler les nazis au pouvoir le 30 janvier 1933. [Le pari est que] flanqués par des politiques raisonnables qui vont les domestiquer, ils vont être attelés à un équipage qui poursuivra la politique antidémocratique et pro-business de l’extrême centre. » L’Allemagne a eu ses irresponsables, nous avons les nôtres.