« Les principaux médicaments qui manquent sont ceux pour le diabète, des injections qui se prennent une fois par semaine et qui permettent de le réguler […] Il en manque très régulièrement. Des médicaments pour le cœur également, pour l’arythmie. On n’a pas de solutions pour ça. »
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Après la pénurie de soignants, voici depuis plusieurs années l’intensification des pénuries de médicaments. Notre système de santé est à la peine, il est malade, et un remède doit lui être apporté d’urgence : le pôle public du médicament.
Automne, hiver, printemps : nous avons manqué d’à peu près tout dans nos pharmacies. De Paris à Saint-Léonard-de-Noblat, d’Ambazac au salon d’Apolline de Malherbe, du Sabril à la pilule abortive.
Tous les ans, toujours la même histoire… Les patients, les associations, les soignants, l’Agence Nationale de Sûreté du Médicament (ANSM), les pharmacies, alertent sur les ruptures d’approvisionnement. Ils alertent sur les pénuries.
Depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, la situation empire toujours plus vite, et le nombre de signalements pour ruptures d’approvisionnement a été multiplié par 12 ! De 405 en 2016, nous en sommes aujourd’hui à 4925 selon l’ANSM. De très nombreux médicaments sont concernés, mais les principaux touchés sont les plus basiques, les plus consommés : insuline, antiépileptiques, paracétamol, pilule abortive…
Les pénuries ne peuvent que s’enchaîner. Pour cause, lorsqu’un médicament n’est plus disponible, les patients se reportent sur un autre, et l’effet domino est enclenché. « On a substitué par d’autres antibiotiques au fur et à mesure et c’est toute la chaîne des antibiotiques finalement, dans toutes les classes thérapeutiques, qui est en pénurie actuellement », rapporte la présidente de la commission d’enquête sur le sujet au Sénat.
Le mal est connu. Dans les années 1990‑2000, tout est parti avec le grand déménagement du monde. La course à la marge, la course aux profits, la course aux dividendes, ont délocalisé toutes nos productions de principes actifs. Si bien que nous sommes désormais dépendants des pays asiatiques. 80 % de nos principes actifs sont produits en Chine et en Inde, contre 20 % il y a 30 ans. En 2023, 40 % des médicaments finis commercialisés proviennent de pays hors de l’Union Européenne. Ce sont autant de substances, parfois vitales pour les malades, sur lesquelles nous n’avons plus de contrôle. À elles seules, la Chine et l’Inde produisent 50 % de l’ibuprofène, 60 % du paracétamol et 90 % de la pénicilline. Cette situation de dépendance nous fait subir des difficultés d’approvisionnement dès lors qu’une usine ralentit. Nous n’avons aucune prise sur la gestion de la chaine de production.
Et les plans de relocalisation annoncés par le Président ne rassurent personne : relocaliser une vingtaine de médicaments, soit 5 % d’entre eux, et ce peut‑être d’ici 2030. A ce rythme, il faudrait 200 ans pour rapatrier la production des 420 médicaments définis comme stratégiques. Et surtout, ils n’ont que peu d’effets sur la situation quotidienne des pharmaciens, qui passent près de 12h par semaine pour trouver des solutions aux pénuries d’après le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine en Drôme.
Aujourd’hui, cette profession pourtant peu habituée aux grèves, est dans la rue, pour manifester son exaspération.
En 2024, la dégradation s’accélère. On apprend désormais que le groupe pharmaceutique Servier entend se séparer de sa filiale Biogaran, qui représente pratiquement un tiers des ventes de médicaments génériques dans l'Hexagone. Dans un entretien pour Marianne, Clémence Marque, docteure en pharmacie et conférencière, résume bien la situation : « On ne peut pas continuer d’attendre d’une entreprise privée qu’elle mette la santé des Français au-dessus de ses objectifs de profit ». Pour cause, les candidats au rachat de cette filière sont des fonds d’investissements, dont l’objectif premier est la maximisation de leur profit. Ainsi, cette décision pourrait à la fois fragiliser toute la filière du médicament, mettre à mal tous les sous-traitants historiques auxquels Biogaran fait appel pour sa production, mais aussi, à terme, fragiliser pour les Français la sécurité d’approvisionnement en médicaments génériques jugés pas assez rentables. « Il serait temps de cesser de considérer ces médicaments vitaux pour un très grand nombre de Français comme des biens de consommation comme les autres. », plaide Clémence Marque. Nous partageons cette revendication.
Un peu plus tôt dans l’année, Sanofi avait annoncé la vente en Bourse de sa filiale Opella, qui commercialise notamment le Doliprane. Là non plus, aucune considération pour ce que pourrait devenir cette filiale, ni si la production de médicaments essentiels pour les Français continuerait à être assurée. Biogaran, Opella : ces exemples montrent que les laboratoires pharmaceutiques ont complètement abandonné la poursuite de l’intérêt général, pour ne se concentrer que sur la poursuite de leurs intérêts propres.
Face à cela, l’Etat, garant de l’intérêt général et non des intérêts privés, devrait opposer toutes ses forces. Nous nous devons de reprendre en main la gestion des produits de santé au niveau national grâce à un pôle public du médicament, avec pour objectif la relocalisation et la production publique de médicaments et de principes actifs. Il aurait pour mission d’appliquer une politique industrielle ambitieuse dans le domaine du médicament pour garantir, enfin, notre souveraineté sanitaire et lutter contre les pénuries de médicaments. C’était le sens de ma proposition de loi, déposée le 23 janvier 2024[1].
Le pôle public du médicament serait également chargé de garantir l’approvisionnement d’une réserve stratégique des médicaments essentiels. Il aurait pour rôle d’assurer que le stock national de médicament soit suffisant pour faire face à la demande, et que les unités publiques de production soient suffisamment réactives pour faire face à un accroissement soudain de cette demande, afin d’éviter les situations dramatiques telles que celles qui se sont produites lors de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid‑19.
Malheureusement, l’Etat semble également avoir abandonné la lutte. En effet, il existe depuis 1795, en France, un producteur public de médicaments, l’AGEPS (Agence Générale des Équipements et Produits de Santé), présent si le privé fait défaut. Cette institution aurait pu être le point de départ pour construire un pôle public plus ambitieux, une base solide sur laquelle s’appuyer. Mais cette agence va fermer ses capacités de production, suite à une décision prise en 2018, avant la pandémie, et jamais remise en cause. A rebours des besoins donc.
A ces pénuries de médicaments s’ajoutent les fermetures de pharmacies à la chaîne. Entre janvier et novembre 2023, pas moins de 251 pharmacies ont définitivement baissé leurs rideaux. À la fin de l'année, le nombre total d'officines est passé en dessous de la barre des 20 000 dans l’Hexagone, 2 000 de moins qu'il y a dix ans. Des fermetures qui s’expliquent notamment par une désertion de la profession. La principale rémunération des pharmaciens étant l’honoraire à la boite, « la marge ne couvre pas les frais d'une officine parce qu'il n'y a pas de ressources. La ressource vient exclusivement de l'assurance maladie, mais elle ne rembourse pas la personne qui s'occupe de vous donner les médicaments. Les officines de pharmacie ne peuvent pas les payer en réalité et donc elles ferment le rideau », explique Philippe Besset, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. À cette rémunération mal calibrée, s’ajoute le prix d’installation exorbitant : l’an dernier, 803 officines ont été reprises au prix moyen d’1,2 million d’euros, plus du double du prix d’un supermarché. De quoi laisser un peu plus le champ libre aux grands groupes pour racheter, délocaliser en centre-ville car plus rentable et signer la fin des officines de proximité. « C'est désolant, la population est de plus en plus vieillissante. Vous vous imaginez ? Vingt-sept kilomètres quand il faut économiser le carburant » s’indigne une malade.
Notre souveraineté sanitaire n’est aujourd’hui plus assurée, les pénuries ne cessent de se multiplier, les fermetures de pharmacies de s’enchainer, et les pharmaciens sont mobilisés car nos concitoyens sont en danger. Les solutions existent : il est temps d’agir !
[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/pole_public_medicament_3