Il y a environ un mois, dans une interview octroyée au groupe Sudpresse, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, revenait sur la problématique du chômage. Selon lui, l’Etat ne serait pas assez strict avec les chômeurs car ils pourraient refuser une fonction dans un métier en pénurie. Il y a trois mois, alors que les partenaires sociaux s’accordaient sur une hausse progressive du salaire minimum, de nombreuses personnes à droite critiquaient cette mesure car elle allait selon eux être néfaste pour la compétitivité et donc pour l’emploi.
A travers ces deux épisodes, on observe deux axes politiques majeures des libéraux pour favoriser la création d’emplois : le contrôle des chômeurs (avec punition éventuelle) et la baisse des « coûts » du travail. Selon eux, si le chômage est trop élevé en Belgique, ce serait principalement dû à un Etat social « laxiste » et à un « coût » de la main d’œuvre trop élevé. En revanche, ils s’opposent en général aux politiques progressistes interventionnistes telles que l’augmentation des emplois publics, la subvention des emplois dans le non-marchand ou la réduction collective du temps de travail.
Mais quels sont les résultats de ces politiques libérales ? Analysons-les une par une. Commençons par le contrôle des chômeurs (avec punition éventuelle). Les libéraux veulent inciter les chômeurs à chercher du travail via deux vecteurs principaux. Tout d’abord, en implémentant de plus en plus d’exigences en matière de recherche d’emploi. Ensuite, en renforçant la dégressivité des allocations de chômage. Rappelons au passage qu’en fin de dégressivité, une personne au statut cohabitant touche une allocation de chômage en dessous du seuil de pauvreté.
Le Dulbea a analysé les effets de la supervision de la recherche d’emploi des chômeurs de longue durée. Résultats ? « La supervision de la recherche de travail encourage les demandeurs d’emploi à s’inscrire au programme d’assurance invalidité de court et long terme, et cela sans qu’il y ait d’impact sur l’embauche à long terme. »[1] En bref, le chômage a baissé mais pas suite à hausse significative de l’emploi mais parce que de nombreux chômeurs sont passés sur le programme d’assurance invalidité. En résumé : pas d’effet positif significatif à long-terme sur l’emploi mais un effet de grande ampleur sur l’invalidité.
Et concernant la dégressivité des allocations de chômage ? Une étude sur la Suède publiée dans l’American Economic Review démontre qu’augmenter la dégressivité pour les chômeurs de longue durée est inefficace. En effet, si les chômeurs ont une incitation financière à retrouver du travail au tout début de leur période de chômage, l’effet « incitatif » de la baisse de revenu diminue avec le temps. En revanche, augmenter la dégressivité met à mal notre Etat providence en poussant dans la pauvreté de nombreuses personnes.
Cela est d’autant plus vrai que chaque euro supplémentaire vaut plus pour un chômeur de longue durée que pour nouveau chômeur car il a en moyenne moins d’épargne. Un collectif d’économistes en conclut qu’ « il vaudrait mieux que les prestations sociales augmentent avec la durée de chômage, plutôt qu’elles ne baissent. »[2], soit l’exact inverse de ce que préconisent les libéraux. En résumé : pas d’effet significatif sur l’emploi, dramatique socialement et à l’opposé de ce que recommande le bon sens économique.
Enfin, terminons par la baisse du « coût » du travail. Afin de réduire le « coût » du travail, le gouvernement de droite de Charles Michel (MR) a appliqué plusieurs mesures afin de réaliser un « tax shift ». A savoir majoritairement des réductions des cotisations sociales patronales et des réductions de l’impôt des personnes physiques. Ces mesures ont eu un coût budgétaire majeur. La baisse des cotisations patronales a ainsi privé la sécurité sociale de 3,6 milliards € de recettes tandis que la baisse de l’IPP a privé l’Etat fédéral de 6,1 milliards € de recettes. Quand on ajoute les autres mesures plus marginales telles que la baisse des cotisations des travailleurs, on arrive à un coût annuel du tax shift de 8,9 milliards €. Le tax shift coûte donc plus cher budgétairement à l’Etat que l’ensemble des allocations de chômage.
L’argumentation des libéraux est que cela aurait de nombreux effets retour via la hausse de l’emploi et l’augmentation de la consommation (et l’augmentation des taxes s’y afférant). Résultats ? Selon une étude de la KUL[3], les effets retours seront de maximum 1,34 milliards € (selon le scénario le plus optimiste en termes de création d’emploi). Un rapide calcul permet de montrer que même selon le scénario le plus positif et même en prenant en compte les effets retour, chaque emploi créé par le « tax shift » aura couté minimum plus de 80.000 €/an à l’Etat, soit environ 2 fois le coût moyen public du non-emploi[4]. En résumé : catastrophique pour les dépenses publiques et inefficace pour la création d’emplois.
En conclusion, les libéraux aiment souvent se poser comme des réformateurs en faveur de l’emploi mais une analyse sérieuse démontre toute l’inefficacité des politiques qu’ils promeuvent. Non seulement ces politiques ne créent pas significativement de l’emploi mais elles sont en plus engendreuses d’invalidité et de drames sociaux. En outre, leur inefficacité crée souvent un gouffre pour les finances publiques. Il est donc essentiel de se baser sur un autre cadre de pensée pour régler le problème du chômage et créer des emplois sur le long terme.
[1] https://dulbea.ulb.be/wp-content/uploads/2021/07/Dulbea_PolicyBrief_21.07.pdf
[2] https://plus.lesoir.be/180117/article/2018-09-24/degressivite-du-chomage-le-gouvernement-federal-rappele-lordre
[3] Capéau, B., Decoster, A., Maes, S. et Vanheukelom, T. (2018), Betaalt de taxshift zichzelf terug?, Leuvense Economische Standpunten, 2018/168, Leuven (Belgium): KU Leuven
[4] Fontaine, M, Rennoir, M et Tojerow, I (2020), Etude des conditions budgétaires liées à la mise en place d’un dispositif « Territoire Zéro Chômeur de longue durée » (TZCLD) en Région de Bruxelles-Capitale, Dulbea, Policy Paper N°20.01, 58p.