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Billet de blog 10 mai 2021

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La ronde des livreurs exploités

Il est 21h. La ville plonge dans l’obscurité. A ma fenêtre, je ne vois presque plus personne. Presque ? Des cyclistes verts, bleus ou oranges continuent à arpenter les rues.

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Il est 21h. La ville plonge dans l’obscurité. A ma fenêtre, je ne vois presque plus personne. Presque ? Des cyclistes verts, bleus ou oranges continuent à arpenter les rues.

Le confinement n’a fait qu’amplifier ce phénomène. Avec la fermeture de l’Horeca, le business des livraisons via l’économie de plateforme a atteint son climax. Deliveroo a d’ailleurs récemment annoncé vouloir s’implanter dans 15 villes supplémentaires en Belgique cette année[1]. Tout bénéfice pour Uber Eats, Deliveroo ou Take Away. Mais pas pour leurs travailleurs.

Les travailleurs de ces plateformes sont considérés comme des indépendants ou des auto-entrepreneurs. Les avantages ? Une flexibilité incroyable leur est offerte. Travailler une ou dix heures, un ou vingt jours, ils font ce qu’ils veulent. Les désavantages ? Aucune protection sociale face aux accidents de travail ou au chômage. Aucun droit acquis pour la pension.

Pourtant, ces travailleurs dépendent entièrement des plateformes. Le lien de subordination est clair, ce qui définit normalement la relation entre un employé et un employeur. Mais le salaire minimum et les jours de congés payés restent aux abonnés absents.

La promesse du secteur ? Permettre à des gens de se faire un gagne-pain supplémentaire, qu’ils soient étudiants ou travailleurs à temps partiel. Le secteur vante son dynamisme dans sa capacité à faire gagner un revenu facilement sans toutes les contraintes qu’un contrat de travail implique. La réalité du secteur ? Des travailleurs précaires souvent à temps plein qui, après avoir livré de nombreux plats de restaurants, font la file à l’aide alimentaire.

Et ce n’est pas le pire. Régulièrement, des personnes louent leurs comptes à des travailleurs sans papiers en échange d’une part du revenu engrangé. La misère exploite donc la misère au bénéfice d’entreprises milliardaires. Pendant ce temps, les profits enflent. Et pas au bénéfice de la collectivité. Sans salariés pour payer des cotisations sociales et pratiquant l’optimisation fiscale, les entreprises de l’économie de plateforme volent notre Etat social en plus d’exploiter les travailleurs.

Face à tout cela, que faire ? Des actions en justice ont été entreprises avec des résultats probants. Au Pays-Bas, une Cour de justice a déclaré que les livreurs Deliveroo devaient être considérés comme des employés[2]. Au Royaume-Uni, la Cour Suprême a déclaré que les chauffeurs Uber devaient être considérés comme des « workers ». Pas tout à fait des salariés mais une demi-victoire tout de même, qui permet à des travailleurs de bénéficier de congés payés et du salaire minimum[3].

Mais la meilleure nouvelle est venue d’Espagne, où le gouvernement socialiste a montré qu’un gouvernement de gauche pouvait faire la différence en affirmant que les livreurs de l’économie de plateforme devaient être considérés comme des salariés et profiter de toutes les protections liées à ce statut[4].

La Belgique pourrait bien être le prochain pays à faire ce progrès. Le Parti Socialiste est le parti belge s’étant montré le plus actif dans la défense des travailleurs de l’économie de plateforme, se prononçant ouvertement pour qu’ils soient considérés comme des salariés. Les députés socialistes Sophie Thémont et Ahmed Laaouej ont d’ailleurs récemment déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Cela annonce une lutte difficile avec les libéraux au sein du gouvernement mais aucun doute sur le fait que les socialistes porteront ce combat.

Je continuerai à regarder à ma fenêtre quand le soleil se couchera. Mais j’espère qu’un jour, je n’apercevrai plus des travailleurs exploités circulant dans les rues, mais des salariés protégés par un contrat de travail. Oui à la technologie de l’économie de plateforme, non à l’exploitation des travailleurs.

[1] https://plus.lesoir.be/355851/article/2021-02-18/deliveroo-va-setendre-dans-15-nouvelles-villes-belges-cette-annee

[2] https://trends.levif.be/economie/entreprises/pour-la-justice-neerlandaise-les-livreurs-deliveroo-ne-sont-pas-des-independants/article-news-1393557.html

[3] https://www.theguardian.com/technology/2021/mar/16/uber-to-pay-uk-drivers-minimum-wage-holiday-pay-and-pension

[4] https://www.rtbf.be/info/economie/detail_en-espagne-les-livreurs-a-domicile-seront-presumes-salaries-une-premiere-europeenne?id=10716810

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