« On avait dit qu’on serait prêts et on l’est, a-t-elle déclaré sur RMC. C’est vraiment génial de se dire qu’en héritage, tous les Franciliens, les Français et les habitants du monde entier vont pouvoir profiter de ça. » Citation d'AOC reprise par Mediapart, dont la journaliste commentait: Pas sûr que l’héritage puisse être vraiment partagé. ( Source : Seine : la ministre des sports se baigne en eaux encore troubles | Mediapart )
Pour mieux apprécier toute cette situation, remontons un peu la rivière du temps:
On l'a peut-être oublié, mais en juin 2023, la qualité de la Seine était excellente, les résultats des analyses au meilleur niveau possible. C'est ce que la mairie annonçait dans le Huffington Post en ces termes :
« Se baigner dans la Seine à Paris se rapproche de plus en plus de devenir réalité. Les premières analyses de l’eau du fleuve effectuées depuis le 1er juin, sur la base de la réglementation européenne en vigueur, donnent des « résultats excellents », se réjouit la mairie de Paris à un an des épreuves olympiques disputées dans le fleuve.
Depuis le début de ces prélèvements quotidiens réalisés chaque été, sur deux sites parisiens près de l’île Saint-Louis (Pont-Marie) et des Invalides (pont Alexandre-III), "la qualité de l’eau est excellente", a affirmé ce vendredi 9 juin à l’AFP Pierre Rabadan, adjoint au sport, aux JO et à la Seine de la maire (PS) de Paris Anne Hidalgo. » (Source : JO-2024 : l’eau de la Seine à Paris est « excellente » pour la baignade )
Dans la foulée, des épreuves de natations étaient annulées quelques semaines plus tard, la qualité de la Seine étant en réalité bien loin de celle annoncée en grandes pompes.
Comment en est on arrivé à ce retournement de situation ?
La première cause est un aveuglement total. Avis subjectif , mais les données disponibles laissent peu de place au doute. En effet si par intermittence les résultats ont pu atteindre le seuil d'excellence, cela était aléatoire d'une date à l'autre et selon les points de prélèvements. Dans le tableau ci-dessous, provenant des archives du service assainissement de la mairie de Paris, on peut clairement lire ce résumé de la situation :
« Depuis le début de la saison, 58% des analyses sont sous le seuil excellent au Pont Alexandre III et 34% au Pont Marie. 77% des mesures sont sous le seuil suffisant au Pont Alexandre III et 63% au Pont Marie. »

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Au-delà du fait que l'auteur du résumé en bas de page a visiblement inversé les pourcentages entre les seuils excellent et suffisant, dire le sérieux de la chose, il est clair que la mairie a tout à fait surestimé la qualité de l'eau en Seine auprès du Huffington Post, pour ne pas parler de mensonge éhonté.
Dans ces conditions, quelle confiance accorder en juillet 2024 à la mairie de Paris ? D'autant plus en empêchant Surfrider de pouvoir continuer sa campagne de prélèvement en refusant d'accorder l'accréditation d'accès aux quais. Problème annoncé sur le site de l'association : « Suite à la fermeture temporaire du point de prélèvement du Pont Alexandre III pour préparation du site pour les épreuves des JOP 2024, le prélèvement a été fait à 40m du point de prélèvement habituel. Le point de prélèvement situé au niveau du pont de l’Alma n’est quant à lui plus accessible. » (Source : Suivi de la qualité de l’eau de la Seine | Surfrider Foundation)
Au delà d'une communication entre services de la mairie vraisemblablement défaillante, l'autre souci bien concret concerne les erreurs de raccordements sur les réseaux d'eau pluviale. Erreur menant à rejeter directement en Seine de l'eau usée au lieu de l'eau issue des précipitations. Cela est le cas en banlieue parisienne, mais aussi dans Paris intra muros dans le secteur autour de la BNF. Une fuite sur une vanne au niveau de l'usine Tolbiac est d'ailleurs à l'origine d'une contamination particulièrement importante en matière fécale, ayant mené à l'annulation d'épreuve de natation durant l'été 2023. Problème : même défaillante, cette vanne aurait dû rejeter de l'eau pluviale, pas de l'eau usée, ce que la mairie s'était bien abstenue de communiquer.
Couac qui se pose aussi sur les sanisettes parisiennes, remises à neuf en surface pour les JO, mais pour certaines toujours mal raccordées, malgré les signalements des égoutiers. À ce sujet, la réponse d'un collègue, éclairant que dans son secteur aussi la gestion semble hasardeuse:
<< Ces derniers mois ils ont testé tout ce qui traîne sur les quais, péniches, wc, même les be (NdA : Bouche d'égout). Je n'y ai participé que deux fois. À mon avis ils cherchent un WC mal branché par exemple. Mais c'est plein de boue partout... j'ai dit à mon ingénieur, il aurait mieux valu prévoir le curage partout sur les quais il y a déjà plusieurs mois, parce que faire des tests fluo alors que tout est plein de boue... Ah quand ça va sortir ça va colorer la Seine! >>
Cela ne semble pas inquiéter outre mesure la mairie de Paris qui continue à mentionner le nombre de 23000 mauvais branchements en banlieue, comme repris dans un récent article de La Dépêche: << L’un des objectifs prioritaires du plan est de corriger les mauvais raccordements de 23 000 habitations situées en amont de Paris qui rejoignent directement la Seine et la Marne sans que les eaux usées ne soient traitées. >> (Source : JO de Paris 2024 : une nouvelle date pour la baignade ). Mauvaise branchements qui sont en réalité légèrement plus nombreux, à savoir dans une estimation comprise entre 63000 et 126000. Ce qui signifie, pour en venir à bout, vingt à quarante ans de travaux en maintenant le rythme actuel. (Calculs cités depuis cet article de Mediapart : Se baigner dans la Seine ? De nouveaux documents renforcent le trouble .)
Une fois les JO passés, on peut se permettre d'être légèrement dubitatifs quant au fait que les pouvoirs publics maintiennent le même niveau d'investissement.
Cette question des moyens est d'ailleurs primordiale. JO obligent, des ouvrages du réseau d'assainissement parisien, pour certains dans un état d'abandon plus que relatif depuis des décennies, ont été curés. D'autres redécouverts. C'est ainsi le cas d'une vanne située le long des quais de Bercy, qui absente des plans, fut retrouvée au printemps 2024 par nos services... Les moyens étant illimités, des curages ont eu lieu de nuit, en montant parfois au pied levé des équipes de curage en partenariat public/privé quasiment du jour au lendemain. Difficile à croire que ce niveau d'investissement puisse être maintenu.
À titre d'exemple, le tronçon du déversoir d'orage près du pont de la Concorde a été curé ces dernières semaines. Comprendre un tronçon d'ouvrage d'assainissement situé entre une vanne et la Seine. L'état dans lequel il se présentait était assez peu ragoûtant, les flottants venant de la Seine et autres joyeusetés issues pour leur part des égouts s'accumulant depuis des années:

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Pour se faire une idée de la proximité avec la Seine, autre point de vue via ce lien : DO Concorde.
Le détail étant que seuls les ouvrages situés en amont des lieux de compétition de natation ont le droit à un traitement de faveur, les autres en aval, sans conséquence pour les JO, demeurant dans leur jus. Comme cet autre ouvrage, situé dans l'ouest parisien :

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Là encore, autre point de vue pour bien comprendre le souci : ouvrage le long des quais.
Loin des projecteurs, la situation en sous-sol est un peu différente des effets d'annonce quant à la qualité de la Seine. L'agence Seine-Normandie ayant investi dans les travaux d'assainissement parisiens, je n'ai personnellement pas l'impression que la mairie lui rende au mieux, vu l'état de certains ouvrages en aval des lieux de baignade pour les JO.
Certe on pourrait se réjouir des nouveaux équipements dont se sont dotés les services d'assainissement franciliens, comme le fameux bassin d'Austerlitz. Mais là encore, une question se pose : si les ouvrages déjà existants ne sont pas curés correctement et réparés régulièrement, à quoi bon agrandir le réseau ? Quid de l'entretien de ces structures une fois les JO passés ? À titre d'exemple, sur les égouts parisiens, nos données font état de 57600 dégradations diverses en égout, allant du simple enduit décollé à contrôler à des fissures annulaires importantes (comprendre s'étendant du radier à la voûte, en passant par les piédroits). L'un des records étant une fissure annulaire signalée à traiter en urgence par les égoutiers, toujours présente à l'heure actuelle. Signalée à l'origine en 2007. Nos archives pour illustration :

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Partant de là, il y a quelques raisons objectives de douter de l'héritage qui sera réellement laissé par les JO. D'autant plus que le fameux plan baignade n'est pas le premier ni le seul plan visant à améliorer la gestion des effluents. En effet, le plan Paris Pluie se voulait aussi un plan visant à limiter les rejets en Seine et valoriser la ressource en eau. (Les voeux pieux pouvant se trouver sur ce document : Plan Paris Pluie).
Sachant l'état du réseau d'eau non-potable, alimenté en partie par les eaux pluviales et se trouvant dans un état d'abandon total dans certains secteurs, on peut se permettre de douter du résultat réel de ces plans comparés aux effets d'annonce. Réseau d'eau non-potable qui a d'ailleurs fait l'objet d'une enquête de Mediapart : À Paris l'eau fuit et la ville regarde ailleurs.
On pourrait aussi être légèrement taquin et se dire que si le plan Paris Pluie avait prouvé une efficacité réelle, pourquoi les précipitations demeurent l'excuse principale de la mairie concernant la mauvaise qualité de la Seine? Ce plan aurait mérité un investissement conséquent, ne pas être simplement un prétexte pour des annonces grandiloquentes sans aucun suivi concret ou presque. Comme le soulignait un élu écologiste dans les lignes de Reporterre, au sujet du pharaonique projet du bassin Austerlitz :
« Avec ces moyens, on aurait pu imaginer des mesures plus vertueuses, regrette Jean-Claude Oliva. Comme une politique ambitieuse d’infiltration des eaux de pluie dans les sols, en désimperméabilisant, en multipliant des toitures végétalisées... » Le militant et élu vert à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) déplore une occasion manquée « pour un vrai projet écolo ». (Source : https://reporterre.net/Rendre-la-Seine-baignable-un-projet-couteux-et-pas-tres-ecolo )
D'autant qu'il ne faut pas croire que le prix de ces installations est un gage de qualité. Pour rappel, les précédents ouvrages qui devaient rendre la Seine baignable une bonne fois pour toute ont rencontré quelques avaries. Le bassin de stockage Proudhon, en plus d'être visiblement construit trop haut, présente toujours des problèmes de curage et ce malgré une campagne de diagnostic : Amélioration de la chaîne de déchets du bassin Proudhon à PARIS 12ème . Coût de l'analyse : 280 000 euros, pour en venir au même constat effectué par les égoutiers. Quant au TIMA, lors de sa mise en service, l'aération avait été si bien étudiée qu'une explosion de méthane eut lieu dans un poste de commande. Cet évènement est mentionné dans ce document : Refonte-volume2--v--20 novembre 2014 (yvelines.gouv.fr) . Ouvrage dont l'ensablement a été sous estimé selon cette analyse, nécessitant de mettre l'ouvrage au chômage de longs mois pour entretien : Fonctionnement du réseau d’assainissement à l’échelle de Paris et sa petite couronne (piren-seine.fr) .
À préciser que malgré ces précédents facheux, le service d'assainissement n'a pas jugé utile de doter le bassin d'Austerlitz de dégrilleur, système permettant de récupérer les déchets flottants de manière automatisée. Le curage et l'extraction des flottants s'effectueront donc manuellement par les puits d'accès dotés d'escalier hélicoïdaux et par un grappin, histoire de s'amuser comme à la fête foraine. On peut raisonnablement se dire que là encore, les périodes de chômage vont se révéler sous estimées.
Comme le résume très bien cet article de l'association Coordination EAU Ile-de-France, ces travaux sont principalement motivés par la tenue des JO:
<< Dans le plan de modernisation de l’assainissement de Paris des années 1980, qui avait fait dire à Chirac qu’il allait se baigner en Seine, et dont le dernier acte réalisé était la création du stockage Proudhon, il avait été décidé à la suite du constat que ce dernier ne fonctionnait pas, de ne plus faire de bassin de stockage pour éviter les déversements d’orage. Du coup avaient été annulés les deux projets suivants : le stockage Bibliothèque qui devait être en face du stockage Proudhon, et le stockage Branly qui devait être sous le musée. C’est donc le SIAAP qui a fait le second stockage, le Tunnel Ivry Masséna Austerlitz qui est une reprise du stockage Bibliothèque, mais prolongé jusqu’à Ivry/Seine. Après l’échec du Tunnel Ivry Masséna Austerlitz, il y avait un consensus général chez les ingénieurs de l’assainissement sur le fait que ce type de bassin était très cher pour ne servir à rien. Mais tout cela a vite été oublié dans la fièvre des JOP2024 ! >> (Source : https://eau-iledefrance.fr/le-bassin-dausterlitz-evitera-t-il-le-waterloo-de-la-baignade/ )
Des doutes demeurent donc quant à l'avenir de la baignade en Seine et l'héritage laissé par les JO. Même si la mairie réussit son pari, quitte à manipuler les données disponibles ou rejeter en Seine en aval des lieux de compétitions (la configuration actuelle de nos vannes allant dans ce sens), rien ne garantit que les ouvrages permettront sur le long terme la baignade pour tous. D'autant plus que leur entretien va demander un investissement constant et plus important qu'à l'accoutumée. Investissement habituellement insuffisant pour les ouvrages pré-existants.
Cela m'enchanterait et donnerait un peu de sens à ce travail d'égoutier qui n'en a aucun, si quoi que ce soit était réellement planifié. L'expérience me dit cependant que l'improvisation totale dans le service d'assainissement va perdurer, quel que soit le résultat cet été.