La mairie de Paris multiplie les annonces concernant la qualité de la Seine, qui sera irréprochable sous peu, bien entendu dans une volonté d'écologie qui dépasserait la tenue des J.O.P., pour le bien commun. Mais derrière les effets d'annonce, certains détails peuvent laisser dubitatif, à commencer par les emplacements des points de contrôle des déversements du réseau d'assainissement en Seine.
Ces fameux points de contrôle se situent en effet tous en amont du pont de l'Alma, ou juste au niveau. En clair : seule la tenue des épreuves de natation compte. Si fuites il y a en aval du pont de l'Alma cela sera invisibilisé. À tel point qu'on peut même noter que la légende sur la carte ci-dessous est placée sur l'ouest parisien, comme si la Seine n'existait plus à cet endroit. Léger signe que la qualité de la Seine et l'écologie sont en réalité les derniers des soucis. Les vannes peuvent continuer à fuir, les rejets se déverser en Seine à l'ouest. Tant que cela ne perturbe pas les J.O.P., la mairie n'a pas à s'en soucier et pourra même se vanter d'avoir épurer la Seine, si personne n'effectue de prélèvements à la sortie de Paris.

Agrandissement : Illustration 1

Où comment faire disparaître élégamment un épineux problème sous une légende. À noter d'ailleurs que pas moins de 25 exutoires potentiels sont à vérifier selon ce document. Comprendre par là que la mairie pense avoir des ouvrages se rejetant en Seine en plus de ceux déjà répertoriés, sans certitude. Chose qui visiblement n'inquiète personne, depuis combien d'années?
Mais que sont ces rejets en Seine ? De quoi s'agit il lorsque l'on parle de vanne qui fuit ?
Pour que l'explication soit plus claire, quelques précisions techniques s'imposent :
Le réseau d'égout parisien est en majorité unitaire, ce qui signifie que les eaux pluviales et usées sont indistinctement collectées dans les mêmes ouvrages. Ce réseau est doublé de déversoirs d'orage, qui comme leur nom l'indique, entrent en fonction en cas d'intempérie, avec malheureusement des rejets directement en Seine sans traitement lorsque le réseau est saturé. (Ce que l'ouvrage en construction au pont d'Austerlitz est censé temporiser.)
Une partie du réseau est quant à elle en séparatif, les eaux pluviales et usées étant recueillies dans des circuits séparés. Cette dernière configuration est notamment celle du quartier autour de la BNF.
Or c'est là que les choses se gâtent. En effet les erreurs de raccordements sont loin d'être isolées, ce qui conduit irrémédiablement à rejeter dans le circuit d'eau pluviale des eaux tout à fait contaminées par des matières fécales, qui de fait ne suivent pas le circuit de traitement nécessaire avant d'être rejetées en Seine.
C'est exactement ce qui s'est passé au niveau de l'usine Tolbiac qui a conduit à l'annulation des « test events » de natation en 2023: une vanne défectueuse n'était pas étanche et le rejet occasionné a contaminé la Seine. Ce qui aurait dû être sans grande conséquence, puisque l'eau devait être de la pluviale, si ce n'était les erreurs de raccordements en amont de la vanne. Engageant la responsabilité non seulement de la mairie de Paris mais aussi de Véolia, qui en avait l'entretien. Un partenariat public/privé à son meilleur.
Les égoutiers sur le terrain ont beau faire remonter ces informations, depuis des années, la réactivité de la ville de Paris ne suit pas. (Tableau ci-dessous pour illustration.)

Agrandissement : Illustration 2

EU dans EP, soit Eaux Usées dans les canalisations d'Eaux Pluviales.
Les erreurs de raccordements, un problème connu de longue date, y compris dans le secteur qui a mené à l'annulation des épreuves de natation en 2023. Provoquant un grand émoi de la mairie, qui s'alerte nettement moins de la pollution en Seine depuis des années.
Ce problème de séparation entre eaux usées et pluviales devait faire l'objet d'un rapport d'un «groupe de travail » suite à la déconvenue des épreuves en Seine en 2023. Résultats que l'on attend toujours à l'heure actuelle.
On pourrait se permettre une touche d'optimisme, en se disant qu'après un tel camouflet la mairie et le service d'assainissement ont pris conscience de l'ampleur du problème et vont corriger le tir.
Touche d'optimisme vite balayée par le séminaire organisé le 20 mars 2024, à l'attention des agents du STEA (Service Traitement Eau Assainissement).

Agrandissement : Illustration 3

Un grand moment d'onanisme.
Tentative de résumé de cette matinée, qui illustre la déconnexion totale entre les agents sur le terrain, et des responsables qui s'auto-persuadent que tout est sous contrôle :
Les égoutiers et agents d'Eau de Paris arrivent par petits groupes rue de Lobau. L'accès se fait par un rapide contrôle au niveau des portiques de sécurité, avant d'être reçu au milieu des dorures. Petit déjeuner sous forme de buffet, puis ouverture des festivités.
Départ sur les chapeaux de roues, avec ce qui s'apparenterait à un spectacle de marionnettes lors d'une kermesse. Des personnes sur scène, jouent le rôle de passants, interpellant des égoutiers au sujet de la baignade en Seine. Ces égoutiers, joués par des comédiens eux-aussi, leur donnant la réplique.
S'en suit un échange où des personnes doutant de la possibilité de se baigner en Seine, sont absolument tournées en ridicules par les comédiens-égoutiers, leur expliquant que leurs craintes sont infondées. Sous les ricanements d'un petit parterre d'élus et de responsables au premier rang, et les poings serrés ou l'indifférence totale d'une partie du public égoutier.
Les citoyens doutant de la baignade en Seine apprécieront l'image que la mairie a d'eux.

Agrandissement : Illustration 4

Après les applaudissements du premier rang, le « show-runner » pour ainsi dire, sûrement pour chauffer la salle, lance l'idée d'un sondage à main levée, savoir qui dans la salle croit en la baignade en Seine.
Mains levées au premier rang, bras croisés et aucune réactions parmi les centaines d'autres personnes présentes. Certains égoutiers se lèvent, quittent déjà le séminaire.
Ambiance.
Intervention suivante. Quatre joyeux lurons, dont le chef de projet qualité en Seine, discutent entre eux. Se lancent des fleurs, se sourient, vantent l'absolu savoir faire du service... et surtout tournent à leur tour en ridicule les mécréants ne croyant pas en la baignade en Seine, ce qui sera un letmotiv toute la matinée.
Arguments avancés :
- L'interdiction de se baigner en Seine était motivée pour contenir des troubles à l'ordre public, question de pudeur. Il est donc temps de lever cet interdit.
- Le réseau séparatif fonctionne au mieux.
- La société est trop aseptisée. Il suffit d'une cannette en Seine pour que les gens soient horrifiés. Il est temps « d'apprendre à se réapproprier nos rivières » (sic) .
Les athlètes ayant nagé dans une eau particulièrement contaminées en 2023, apprécieront d'être pour ainsi dire traités de petites natures par des responsables du service, sous les rires des élus. Cela, s'il faut le rappeler, devant une majorité d'égoutiers ayant clairement montré lors du sondage à main levée, leur incrédulité quant à la baignade en Seine. Les égoutiers, ces personnes si sensibles niveau hygiène et aseptisées faut il croire.
L'intervention finie, le « chauffeur de salle» propose de passer le micro dans l'assemblée. Un égoutier, particulièrement excédé, se rapproche de l'estrade et prend la parole. Rappelle aux intervenant sur scène, que les agents présents dans la salle savent l'état des déversoirs d'orage et du réseau séparatif. Que le manque d'enthousiasme de la majorité présente quant à la baignade en Seine, est due à un constat sur le terrain, pas une psychose comme on se plaît à le croire au premier rang. Que les égoutiers signalent des problèmes depuis des années, dans l'indifférence de la mairie. Que cette histoire de nettoyer la Seine n'est qu'une hypocrisie, motivée par la tenue des J.O.P.
Un ange passe. Le « chauffeur de salle » reprend la parole, expliquant que la réponse va demander un peu de temps.
Réplique de l'égoutier, retranscrite mot pour mot :
« Je n'ai pas posé de question, c'était une remarque. Je n'attends pas de réponse. Je n'attends plus rien du service. »
Tournant le dos à l'estrade, ce dernier s'en est allé, sous les applaudissements de ses collègues. Dire le malaise au sein de la mairie et du service d'assainissement.

Agrandissement : Illustration 5

Les étudiant.e.s délogé.e.s avec cent balles et deux billets pour les J.O. apprécieront le faste des réceptions à la mairie.
La suite des interventions a consisté en un débriefing sur la fuite de l'usine Tolbiac et l'annulation d'épreuves en Seine, sans rien apporter de nouveau. De quoi combler à peu de frais, même si une partie de l'assemblée se demandait pourquoi on lui expliquait ce qui est su dans tout le service.
Quels enseignements tirés de ces divers éléments ?
Tout d'abord que des obstacles concrets et techniques demeurent, sans réaction à la hauteur de l'enjeu écologique global. Que les plus hautes instances se sont enfermés dans ce qui semble être une méthode Coué. Ça fonctionnera, parce qu'on l'a décidé.
Le manque d'enthousiasme quant à la baignade en Seine ? Un manque de communication, un manque de foi pourrait on dire. Aucune remise en cause de la part de la mairie ou du service. Mairie dont l'adjoint au sport annonçait sans sourciller que la qualité de la Seine était excellente pour la baignade, pour reprendre ses termes cités dans le Huffington Post le 9 juin 2023, soit peu avant l'annulation des épreuves de natation:
Ce qui était un mensonge éhonté, les données disponibles dans le service annonçant clairement que les niveaux étaient fluctuants, ne correspondant pas aux normes exigées :

Agrandissement : Illustration 6

« Depuis le début de la saison, 58% des analyses sont sous le seuil excellent au Pont Alexandre III. » Difficile de faire plus clair.
Qu'importe que des journaux émettent de sérieux doutes quant à la baignade en Seine, comme Challenges, qui rappelle ceci :
« Au regard de la directive européenne "baignade" de 2006, aucun des 14 points de prélèvement parisiens de l'eau n'a atteint un niveau de qualité suffisant en 2023, globalement de juin à septembre. La concentration en E. coli dépasse le maximum demandé (900 unités formant colonie/100 mL) sur tous les points. Et celle en entérocoques, l'autre bactérie prise en compte par la réglementation, dépasse légèrement le seuil requis au pont d'Ivry (sud-est) et au pont du Garigliano (sud-ouest): 330 UFC/100 mL. »
( Source : https://www.challenges.fr/sport/jo-2024-nager-en-seine-une-bataille-pas-encore-gagnee_883666 )
Ou encore France Info, qui rappelle que des athlètes ont nagé dans de l'eau contaminée, certaines épreuves n'ayant pas été annulées malgré les seuils alarmants :
« Ces données montrent que le seuil limite de 1000 npp/100 ml a été dépassé sur l'ensemble des points de suivi disposés entre le pont Alexandre III et le pont de l'Alma pendant la journée du 18 août. La compétition masculine s'est pourtant tenue comme prévue. Seules les épreuves du para-triathlon et du relais mixte des 19 et 20 août ont été annulées. »
France Info qui n'a curieusement pas obtenu les relevés en Seine du mois de juin, à savoir lors de l'interview de l'adjoint au sport dans le Huffington Post, ces données étant perdues selon le service, comme d'autres du mois de juillet.

Agrandissement : Illustration 7

En gris, les données soi-disant égarées ou non valables suite à mauvaise manipulation selon la mairie. Graphique par France Info.
Données pourtant disponible en interne. À croire que la mairie assume difficilement ses effets d'annonce face aux faits, ou joue la transparence mais pas totalement :

Agrandissement : Illustration 8

« 73% des mesures sont sous le seuil suffisant au Pont Alexandre III » sur les données non transmises à France Info.
Commentaire difficilement compatible avec les annonces grandiloquentes de la mairie à l'époque.
Ce qui expliquerait une certaine pudeur de la part de la ville de Paris, en ignorant tout simplement ces données fâcheuses.
Partant de ces faits, comment croire un seul instant en l'honnêteté de la mairie quant aux ambitions écologiques affichées? Seuls les J.O.P. importent, quitte à (se) mentir ou ne pas transmettre l'intégralité des données.
Qu'il y a t il à craindre de ce manque de préparation ? Que les vannes soient tout bonnement fermées, voire murées en amont des lieux de baignades comme on a pu l'entendre dans les couloirs du service à plusieurs reprises. Les autres vannes en aval pouvant continuer à déverser loin des projecteurs. La mairie pourra s’auto-satisfaire d'avoir réussi son pari si la chose est suffisante, ce dont on peut franchement douter. Le léger détail étant qu'en cas de murage des déversoirs d'orage, rendant de fait ces ouvrages inopérants, l'eau s'écoulera bien quelque part en cas d'intempérie, à commencer par les caves et parkings.
De manière plus globale, le réseau d'assainissement se gère tant bien que mal dans l'indifférence de la mairie. À titre d'exemple, le nombre de fuites sur le réseau d'eau potable, qui passe par les égouts, éclairerait la conception de l'écologie par la ville de Paris et l'inutilité des informations que les égoutiers font remonter, dont le service d'assainissement se contrefout ou presque. (Au sujet des fuites, voir cet article de Mediapart : À Paris, l’eau fuit et la ville regarde ailleurs . La réponse de la ville étant que les égoutiers font remonter les informations de manière "ponctuelle et indirecte" lorsqu'ils viennent lors de leur activité à croiser des fuites. Signe que la ville ignore qu'un tiers des effectifs d'égoutiers est assigné à la surveillance du réseau. Signe que la ville ignore que le poste de ces égoutiers est justement de parcourir le réseau chaque jour et de faire remonter directement tout incident. Signe qu'on ne regarde effectivement pas ce qu'il se trame en bas.)
Quant on sait les discours complètement déconnectés des responsables du service, alors que les J.O.P. n'ont pas encore eu lieu, qu'y a t-il a espérer une fois ceux ci passés ?
Un retour à la normale, à la médiocrité habituelle. Rien de plus.

Agrandissement : Illustration 9

Égoutier en inspection sous Paris, dans un ouvrage particulièrement bas.
L'une des personnes trop « aseptisées » pour accepter de se baigner en Seine, si l'on reprend les termes des responsables de la mairie lors du séminaire Objectif Baignade.
Responsables ne se rendant visiblement pas compte d'être en train de se gausser de leurs propres agents.