Ce car
Cette nuit qui vaut mille nuits malheureuses, misérables, chaudes et froides
Un brin de folie m’assaille
Je n’entends plus que le tic-tac de la montre
Qui m’apprend que le moment fatidique de la séparation s’approchait
La clé de ma maison tourne sur mon pouce
Mes yeux fixent les murs de la maison, ses recoins, tous ses détails
Mon cœur se demande par moments
Cette porte se fermera-t-elle à jamais ?
Regarderai-je mon quartier depuis la fenêtre de ma chambre pour la dernière fois ?
La soif augmente en moi
Le paquet de cigarettes s’est vidé
Mon fils pleure et je ne supporte pas de le porter ou de le regarder
Que se passe-t-il ?
Est-ce l’âme qui agonise ?
Si seulement c’était le cas !
Le destin a voulu que je parte de ma ville
Je m’endormirai
Pour me réveiller à bord d’un car vert
Je m’endormirai en priant pour ne pas voir ce car
Pour finir mort plongé dans un sommeil éternel dans le giron de la terre de Homs
Mais les souhaits sont des vents
Et jamais les vents n’apportent ce que désirent les navires
Maintenant le réveil a sonné
Pour ramasser ce qui me reste du souvenir d’une patrie
J’emporte les photos de ma ville mouillées par les larmes
Que j’ai mises dans une valise que j’ai voulue rouge
Tant cette couleur exprime l’amour et le sang
Et le cœur (et l’expulsion parfois)
Je me dirige vers ce car au milieu d’une foule rassemblée
Tel ami me dit au revoir
Et voilà notre voisine qui envoie son salut à ma mère
Dans ma main la valise de la patrie
Dans l’autre mon petit qui pleure apeuré par le grondement du car
Un sentiment que je ne peux décrire
Mon épouse pleure de quitter ses parents et ses frères pour un rendez-vous avec l’inconnu
Je pose la valise des restes de ma patrie et m’assois dessus
Observant immobile ce qui se passait
Mon blême visage se tourne à mes yeux
Êtes-vous réveillés ?
Êtes-vous endormis et ce que vous voyez n’est qu’un rêve ?
Soudain le doute se mue en certitude quand le bruit du car se met à gronder
Les déplacés de force dont je suis se bousculent pour monter
Je parviens difficilement jusqu’à ma valise
J’embarque dans le car vert
Sa porte se referme et ses roues se mettent à tourner
Je regarde par la fenêtre et agite ma main
Mais à qui agitè-je la main ?
A un ami ? Un proche ? À ma maison ? Mon travail ? À ma ville ? À mes souvenirs ? À une terre que j’ai nourrie de mon sang ?
Ou est-ce à la dureté de la vie et aux années de misère ?
Le car se met en branle
Et démarre annonçant le non-retour
Il emprunte une route lointaine que je pourrais comparer à la route de la mort
À chaque tour de roues ma terre se dérobe davantage
Signifiant le non-retour à ces passagers
La voilà ma ville qui contient mes souvenirs, mon enfance, ma prime jeunesse, s’éloigner toujours plus jusqu’à s’évanouir de ma vue
Et après une journée pleine en abattements accompagnés du grondement de ce maudit car
Qui vrombit et mugit soudain de concert avec des dizaines d’autres cars
Verts comme lui
Ses tours de roues ralentissent jusqu’à s’arrêter
La porte qui s’était refermée sur les pleurs de séparation se rouvrait maintenant sur les larmes des retrouvailles
Et sur les youyous de joie comme si nous renaissions
Du moins aux yeux de ceux qui nous attendaient
Les mains qu’on agitait au départ me reviennent à l’esprit
Pour être accueillis par les mains qu’agitent ceux qui nous attendent
Voilà ma mère qui pousse des youyous de joie de me revoir
Et mon frère aîné à la virilité exemplaire
Pleure devant ces retrouvailles qui ont attendu six ans
Je serre ma mère, baise sa main et lui transmet le salut de notre vieille voisine
Soudain, se rappelant ses rêves le cœur s’émeut
J’aurais souhaité ces retrouvailles dans notre ville
Mon père tapote sur mon épaule en disant : Vainqueurs si Dieu le veut
Et depuis ce jour-là j’attends ce car pour me ramener dans le giron de Homs
Traduit de l’arabe par Abir DANDACHI
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