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Billet de blog 11 février 2025

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« The Brutalist » : Americaaa

Le film de Brady Corbet, grâce à la performance d’Adrian Brody, est une fresque plutôt réussie. L’acteur incarne à l’écran une seconde fois un artiste juif rescapé des camps, tel le pianiste de Polanski, qui débarque du fracas aux États-Unis plein de rêves et de traumas.

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Illustration 1
László Tóth (Adrian Brody) rescapé des camps découvrant l'Amérique. (Universal Pictures)

Il faut dire qu’on en avait entendu parler. Le film de Brady Corbet (un ambitieux acteur-réalisateur américain de 36 ans, qu’on ne connaît pas), bâti sur trois heures trente avec entracte, immense épopée de self-made man à l’américaine, et au casting brillant à peu de frais. On venait découvrir ce Brutalist avec beaucoup d’attentes, d’autant que le pitch est à l’avenant : soit l’émigration en 1947 aux États-Unis d’un architecte juif hongrois qui, littéralement, sort des camps de la mort. Massivement chargé, ce point de départ sera celui d’une fable épique qui voit László Tóth évoluer sans travail ni ressources, avant que son talent ne soit reconnu par un grand capitaliste aux humeurs incertaines, au point que celui-ci lui confie son gigantesque projet de centre communautaire.

Tourné en VistaVision, un format pellicule large qui autorise une très grande surface à l’écran, The Brutalist s’inscrit d’emblée par son ampleur dans une longue lignée de films du rêve américain, tel Once upon a time in America. Qu’il s’agisse de bâtir un monstre d’architecture d’avant-garde ou des vicissitudes sur plusieurs décennies d’un mafieux new-yorkais, tous ces films racontent un peu la même histoire, celle d’une ambition démesurée. Le visage buriné, Adrian Brody incarne un Noodles atteint par la catastrophe historique, lui-même profondément déprimé et enclin à l’alcool et aux drogues pour éloigner la douleur et les nuages tristes. 

Le monumental avec le minimal

À l’instar de ses illustres prédécesseurs, le film se déploie sur une ligne finalement assez simple et classique, contenant le gloubi-boulga thématique inhérent à l’exercice de sa démesure. Sorte de biographie rêvée bigger than life, The Brutalist brasse des grands sujets aussi variés que le syndrome post-traumatique des survivants de la Shoah, l’addiction, l’Amérique “terre d’accueil” xénophobe et antisémite, le capitalisme versus l’art, le handicap. À l’inverse d’un Paul Thomas Anderson, avec lequel il partage une folie des grandeurs certaine, Corbet fait par endroits dans l’étude psychologique à gros traits, comme lorsqu’il change en un raccourci romantique le lien légendaire entre la drogue et le génie créatif.

Ainsi de ce passage à Philadelphie auprès des élus locaux où Tóth, après avoir consommé de l'héroïne en compagnie de son ami et assistant dévoué (Isaac de Bankolé, parfait), présente avec maestria la maquette de sa futur grand-œuvre en béton brut. The Brutalist enchaîne les scènes intimistes, les triviales et les grandioses, souvent ça dialogue et quelquefois moins, quelquefois même émane un parfum onirique, comme dans cette superbe séquence dans les carrières de marbre de Carrare en Italie. Dans les limites d’un budget minimal à dix millions de dollars, Corbet nous apprend qu’il est encore possible de faire un bon film hollywoodien. Conclusion en béton qui, comme l’explique Tóth, est un matériau peu cher. Primitif, sauvage, il permet toutefois d’aspirer au monumental, par la taille colossale des édifices propres à son utilisation. La métaphore est claire et un brin prétentieuse : en mettant en scène un architecte qui se consacre à la construction de son premier chef-d'oeuvre visionnaire aux États-Unis, face à un commanditaire à la fois enthousiaste, ignare, et finalement abject, Corbet représente la douleur de fabriquer un film tel que celui-ci, et défend une certaine idée de l'auteurisme.

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