Daniel Akhoun (avatar)

Daniel Akhoun

cinéma

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 novembre 2023

Daniel Akhoun (avatar)

Daniel Akhoun

cinéma

Abonné·e de Mediapart

« La Chimère » : le nouveau conte rural et libre d’Alice Rohrwacher

Dans la Toscane des années 80, une bande de tombaroli, des pilleurs de tombes, profane le sacré pour vivre d’argent facile et d’aventures.

Daniel Akhoun (avatar)

Daniel Akhoun

cinéma

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Arthur (au centre, Josh O’Connor) dans “La Chimère”, d’Alice Rohrwacher. AD VITAM

Avec son film La Chimère, présenté à Cannes en mai 2023 en Compétition Officielle, Alice Rohrwacher clôt une trilogie tournée dans sa région natale et traversée par des figures aux marges de l’Italie contemporaine : c’était le très poétique Les Merveilles (2014), portrait miraculeux d’une drôle de famille anticonformiste, puis l’élévation à la sainteté d’un idiot dans Lazzaro Felice (Heureux comme Lazzaro, 2018), qui réussissait à faire dialoguer réalisme à vocation documentaire et fiction irrationnelle.

La Chimère, premier film au casting international de la réalisatrice italienne, poursuit cette appétence pour les reliefs imaginaires d’une écriture partant de faits réels : l’histoire de la contrebande archéologique, pratique populaire de pillages de tombes étrusques dans les années 80, et rouages d’un vaste trafic d’art international. Nous sommes dans une petite ville du bord de la mer Tyrrhénienne. Arthur, un trentenaire anglais, retrouve à contrecoeur - après un passage en prison - ses copains de braquage, les tombaroli, et avec eux reprend ses activités nocturnes. Dans cette communauté, tout le monde traite avec déférence ce revenant aux grandes guiboles chancelantes à qui Josh O’Connor prête sa grandeur naturelle. Car Arthur lit ce paysage riche de trésors antiques comme personne d’autre : il a le don tombé du ciel de sentir le “vide” sous terre, avec ses potentielles galeries d’inestimables merveilles.

Embardées lyriques

La comédie de bande (et de contrebande) tout en romanesque bascule peu à peu vers le film de deuil, l’absence d’une femme aimée déroulant un “fil rouge”, auquel Arthur se raccroche comme il peut : la tristesse se métamorphose en une romance en germe, avec la belle Italia (jouée par la brésilienne Carol Duarte), une singulière servante-étudiante en chant aux allures de grande fée. Il y a chez Alice Rohrwacher une volonté de renouveler sa forme à chaque séquence : ici du conte, les usages du super-16 et du 16 millimètres donnant la sensation de tourner les pages d’un livre, là de l'accélération et du renversement d’images ou des percées musicales - l’occasion de jolies chansons interprétées par les comédiens.

On sait gré à Alice Rohrwacher de ne rien systématiser, de nous surprendre par les détours et les rebonds de son récit, capable de décoller du monde tangible, de déroger à ses lois, seule condition pour que la forme puisse s’ouvrir, s’épaissir, séduire. Mais cette assurance du récit comme imaginaire sans cesse en expansion finit par se retourner contre lui : La Chimère ne cesse d’ouvrir des portes (la comédie néoréaliste et historique, la quête d’un amour passé, le conte, l’utopie communautaire), des embardées lyriques, tant et si bien qu’il ne tranche jamais dans le vif, rechignant à stabiliser sa forme pour la fugitivité de ses plans, qui finissent par tourner à vide. A force de rêver à tout ce qu’il peut être, La Chimère a finalement du mal à savoir ce qu’il est vraiment.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.