I La sacralisation de la sexualité par le droit pénal
L’évolution vers l’égalité des sexes n’est pas nécessairement accompagnée d’une plus grande liberté sexuelle : De la pornographie à la prostitution en passant par les pratiques sadomasochistes, différents rapports, quelques lois et projets de loi et un certain nombre de décisions de justice limitent fortement les pratiques sexuelles considérées comme dangereuses pour l’individu même s’il s’y adonne de plein gré. La pénalisation du racolage passif, la proposition de pénaliser le client des prostituées, le durcissement de la censure en matière de pornographie sont quelques exemples de la limitation croissante de la liberté érotique. S’agissant des pratiques non consentantes ou de celles qui sont entretenues avec des mineurs, le droit pénal considère la sexualité comme une criminalité d’exception, plus proches du terrorisme ou du trafic de stupéfiants que des crimes du droit pénal commun. Cette exceptionnalité caractérise par la concurrence de ces trois éléments : démesure répressive, victimisation et psychologisation.
Surpénalisation
Les statistiques du Conseil de l’Europe font apparaître que les condamnés pour agressions sexuelles détenus représentent 23% des condamnés définitifs en France, alors que la moyenne européenne est d’environs 5%. La France est aussi le premier pays d’Europe pour la longueur des peines prononcées : pour le crime de viol, 85% des condamnés le sont à une peine de cinq ans et plus, contre 12% en Allemagne, 5% en Italie, 4% aux Pays-Bas. La France doit ainsi être classée parmi les pays les plus répressifs. Le viol et les agressions sexuelles sont la première cause d’incarcération des condamnés dans l’hexagone. Le viol est, dans la pratique jurisprudentielle, plus sévèrement condamné que l’homicide. L’application extraterritoriale de la législation française dans les pays où les infractions sexuelles n’existent pas, le régime dérogatoire de la prescription, la prise en compte des moyens par lesquels l’infraction peut être commise et la mise en place des fichages spécifiques font de la criminalité sexuelle une infraction plus proche du terrorisme que des crimes de droit commun.
Victimisation
La possibilité pour les associations des victimes d’intervenir dans le procès a permis d’accroître la charge affective au sein du système pénal. Aujourd’hui, punir c’est permettre à la victime de faire son deuil. Le populisme pénal met la vengeance à la place de la justice et le sentiment de la victime devient l’axe autour duquel s’articule le procès. Avant même le jugement, la victime exige d’être reconnue comme telle, l’espace judiciaire doit également constituer un espace thérapeutique censé soulager la souffrance. La psychologie jouit ainsi d’une place dominante au détriment de la logique juridique.
Psychologisation
La psychologisation se produit non seulement du côté de la victime mais aussi du côté de l’agresseur supposé. Introduit par la loi du 17 juin 1998, le suivi socio-judiciaire oblige les auteurs d’agressions sexuelles à suivre un traitement psychiatrique qui peut durer plusieurs années. La réhabilitation légale ne se produit pas à l’expiration de la peine mais à la fin du traitement médical. Dans ce contexte, l’affaire d’Outreau apparaît moins comme un accident judiciaire que comme l’exemple paradigmatique d’un système pénal qui fonctionne non pas pour rétablir la justice mais pour satisfaire l’appétit de vengeance et pour alimenter les phantasmes les plus obscurs de l’opinion publique. Les pratiques sexuelles non-conventionnelles sont toujours suspectes car elles constituent le prélude de la criminalité sexuelle laquelle, dans nos sociétés sécuritaires, est devenue le paradigme du mal absolu.
II Contrôler la sexualité par le mariage
L’érotique consacrée par le matrimonium doit être de nature hétérosexuelle, contraignante, régulière et monogamique. La première des conditions de la légitimation symbolique de l’acte sexuel est que celui-ci ait lieu entre personnes de sexe différent. L’hétérosexualité est ainsi présentée comme de la nature même de l’institution. Au sein du rapport hétérosexuel, la sexualité est une obligation. Le code civil dit que "les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie" : communauté de toit et communauté de lit. Cette dernière prend la forme d'un devoir (le debitum conjugalis) à double dimension. Négativement, devoir de s'abstenir d'entretenir des rapports sexuels avec des tiers (fidélité) et positivement, devoir d'entretenir des rapports sexuels avec le conjoint (devoir conjugal proprement dit). "Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance", ordonne le code civil. Ainsi, l'adultère constitue une faute civil imputée à l'un des conjoints et susceptible d'entraîner le divorce. De surcroit, le devoir conjugal est pour les époux une obligation d’ordre public auquel on ne peut pas déroger par convention privée. Rien d’étonnant que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ait condamné, en mai 2011, un homme au divorce à ses torts exclusifs et à 10 000 euros de dommage-intérêt au motif qu'il ne faisait pas assez régulièrement l'amour avec sa femme.Le droit s’immisce ainsi dans la vie privée des conjoints, lorsqu’un contentieux survient, pour décharger toute sa force normalisatrice et faire de la sexualité matrimoniale l’espace de contrôle des individus par excellence.