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Billet de blog 16 décembre 2010

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Bioéthique d'Etat

La deuxième révision des lois de bioéthique confirme la place exorbitante de l'Etat dans les domaines relatifs à la disposition de la vie et du corps y compris lorsque cette maîtrise est exercée par l'individu directement concerné.

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La deuxième révision des lois de bioéthique confirme la place exorbitante de l'Etat dans les domaines relatifs à la disposition de la vie et du corps y compris lorsque cette maîtrise est exercée par l'individu directement concerné.

Le sens commun ne cesse de présenter nos sociétés postmodernes comme étant envahies par l'ultra-individualiste. Cependant, force est de constater que la liberté de la personne de disposer de son corps et de sa vie demeure, du point de vue juridique, l'exception. Cette liberté fondamentale est définie d'une manière négative par les restrictions propres à la santé, à la moralité et à l'ordre public et non pas comme un droit au plaisir et à l'épanouissement du corps. Pourtant, c'est exactement ce qui revendiquait haut et fort Robert Badinter à la fin des années soixante-dix au sein du Comité pour une charte des libertés[1]. De même, la CEDH sur le fondement de l'article 8 de la Convention, reconnaît sans ambigüité le droit de tout individu à « l'autonomie personnelle »[2] en tant que principe « placé au service de l'épanouissement de la personne » laquelle a le droit de « mener sa vie comme elle l'entend » et même de « s'adonner à des activités perçues comme étant d'une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne »[3].

Alors que, grâce au développement scientifique, les nouveaux pouvoirs de l'humain sur lui-même et sur son destin biologique permettent à l'individu de jouir d'une plus grande liberté, le droit français, loin d'accompagner cette émancipation, ne cesse de fabriquer - au travers d'un ordre public du corps et de la vie - des contraintes, empêchant la personne de devenir complètement maître d'elle-même et de sa destinée vitale.

Si certaines conquêtes politiques, telles la contraception (1967) ou l'avortement (1975) furent déclinées sous la forme de la liberté corporelle, d'autres comme la transfusion sanguine[4] (1952) et le don d'organes (1976) s'inscrivent dans une tradition collectiviste à laquelle s'aligneront les futures lois de bioéthique (1988/1994) et ses successives révisions (2004, 2010), conçues plutôt comme un garde-fou contre l'abus de la science et les dérapages de l'individualisme possessif que comme un élargissement du champs des libertés individuelles.

Si le respect de la vie privée ne cesse d'être célébré comme un acquis des sociétés démocratiques, le rapport de la personne à son corps et à sa vie, malgré son caractère essentiellement intime, est devenu un espace d'intervention publique. Dominique Memmi a raison d'affirmer que « organes, sang, sperme, cellules, gènes sont désormais sous l'œil du Léviathan »[5]. Et, si le corps fait dès nos jours l'objet des multiples conventions, ce n'est pas tant la personne physique qui détermine le contenu de celles-ci mais plutôt l'Administration. Ceci explique, sans doute, l'abandon du principe de la liberté corporelle au profit des prescriptions morales adoptées tardivement par la doctrine juridique, telles l'indisponibilité du corps[6], la dignité humaine ou la fonction anthropologique de la norme juridique[7].

A regarder de plus près, et indépendamment du discours politique qu'accompagne l'évolution juridique, on s'aperçoit que lois relatives à la dimension physique de la personne ne consacrent pas l'autonomie de l'individu sur son corps et sur sa vie, mais se limitent à dépénaliser un certain nombre de pratiques comme la contraception, l'avortement, le changement de sexe ou l'accouchement sous X, au point que la libre de disposition de soi apparaît plus comme une figure rhétorique que comme une véritable prérogative individuelle[8]. C'est, en effet, à partir d'une justification clinique que l'individu est autorisé à agir et non pas comme créancier des droits subjectifs sur sa propre personne[9]. Le député Jean Léonetti, rapporteur de la Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, souligne que « l'accès médical à la procréation doit être examiné sous un angle médical, pas un angle sociétal. La médecine doit répondre à une pathologie, pas à une insatisfaction ou un désir ». La raison clinique légitime ainsi l'accès à l'AMP, et non pas la volonté des individus. La disposition de soi-même n'est donc pas la source juridique de nos actes, il s'agirait uniquement d'une mise entre parenthèse de la sanction, grâce à une justification médicale émisse par les autorités publiques. Ainsi, l'avortement, le changement de sexe, l'AMP, l'accès aux informations génétiques ou les soins palliatifs sont soumis à l'autorisation administrative et lorsqu'un conflit survient entre nos choix et la « raison d'Etat », c'est cette dernière qui prime.

L'espace ouvert par le débat bioéthique a été investi par certains courants conservateurs (aussi bien de droite que de gauche), lesquels au nom du « respect de la dignité de la personne »[10] et de la « non patrimonialité du corps » ne font que réactualiser la vieille hostilité canonique envers la libre disposition de soi et de son corps[11]. Selon la théologie catholique, le corps est à la fois l'expression du péché originel, par sa mortalité et sa déchéance, mais également l'instrument de l'âme au service de Dieu. Le corps n'appartient pas au chrétien. Il est le temple de Dieu, comme le dit Saint Paul: « Mais le corps n'est pas pour l'impudicité; il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps. »[12]. Tout acte est donc placé sous l'égide divine : « Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu.»[13]. L'homme ne s'appartient guère, et il doit à son corps - dépositaire de l'âme - le respect, c'est à dire le refus de l'exposer à des agissements qui le saliraient spirituellement et qui seraient donc indignes de sa qualité de chrétien et même d'humain, en tant que créature de Dieu. On assiste ainsi à l'affirmation de la dignité humaine en tant que dignité de l'Homme en général. Celle-ci, lorsqu'elle tend à la protection de l'individu contre tout ingérence d'autrui constitue, à ne pas en douter, une avancée des droits de l'Homme mais, quand la dignité humaine est transposé au rapport réflexif (c'est-à dire, de l'humain vis-à-vis de lui-même), elle finit par se retourner contre la liberté individuelle. Pourtant, une telle atteinte à la liberté apparaît systématiquement justifiée par les instances officielles. En effet, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) s'exprime sans ambiguïté à cet égard : « la gravité de l'enjeu implique que la personne soit protégée contre elle-même (...). On sent bien en effet que, s'agissant de l'utilisation du corps, l'autonomie pourrait se retourner contre elle-même »[14]. Aussi, selon la doctrine juridique dominante « la dignité n'est pas qu'un droit de l'homme, c'est un droit de l'humanité que tout homme incarne et symbolise et auquel il ne saurait renoncer »[15].

Nouvelle figure métaphysique, la dignité humaine cesse d'être synonyme de protection contre les ingérences non consenties d'autrui pour devenir devoir réflexif, celui de respecter la part d'humanité qui est en nous. La question est d'autant plus inquiétante que l'Etat (à travers ses agents : juges, médecins, psychiatres, assistantes sociales...) impose une conception univoque de l'humain.

De surcroît, face à ces « experts en dignité » qui s'arrogent un rapport privilégié avec les valeurs universelles, l'individu concret se trouve dépourvu d'un véritable droit susceptible de garantir la disposition de son corps, avant et après la mort car, contrairement à ce que la majorité de la doctrine juridique proclame, il n'existe nullement une inflation des droits subjectifs de l'individu sur lui-même. Au contraire, depuis 1994, les normes bioéthiques entérinent une vision particulièrement restrictive de la relation de l'humain à sa vie et à son corps lesquels sont devenus un lieu sous control de l'Administration. En outre, les notions de « corps hors commerce » ou « indisponibilité du corps humain » ne proviennent pas de la loi mais d'une jurisprudence récente de la Cour de cassation contraire aux conventions des mères porteuses[16] et d'une interprétation contestable de l'article 1128 du code civil[17] ainsi que d'une confusion entre patrimonialité et disponibilité, comme l'a démontré Stéphanie Hennette-Vauchez[18].

Le champ d'intervention publique sur le corps et sur la vie apparaît sous diverses formes (interdiction du racolage, extension indiscriminée de la garde vue, pénalisation de la consommation de drogues douces...) et, en matière bioéthique, elle se manifeste notamment par la restriction à l'accès à l'AMP et dans les règles relatives au don d'organes, à l'information génétique, au changement de sexe, à l'euthanasie et à la disposition du cadavre.

La police de la reproduction

L'assistance médicale à la reproduction demeure fermée aux familles monoparentales et homoparentales au nom de l'intérêt de l'enfant alors que toutes les études scientifiques prouvent l'innocuité de ces agencements familiaux. Qui plus est, l'intérêt de l'enfant ne se constate pas in concreto mais à partir d'une formule extravagante énoncée par le Conseil d'Etat dans un rapport de 1988 comme suit : « deux parents, pas un de plus, pas un de moins »[19]. Seuls peuvent avoir recours à l'AMP les couples hétérosexuels stériles en âge de procréer. Les femmes célibataires, les femmes ménopausées en couple et les homosexuels se trouvent donc exclus de ces techniques. Le rapport final des Etats généraux de la Bioéthique fournit la justification de cette exclusion : « Que le désir d'enfant soit de fait, et de toute évidence, la raison fondamentale de recourir à l'assistance médicale à la procréation, n'implique pas de désigner la satisfaction de ce désir comme la finalité justifiant la mise en œuvre de cette pratique. S'il est admis que l'AMP a pour objectif de ‘remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité' (alinéa 1 de l'article L 2141-2 du code de santé publique), alors ce n'est pas la satisfaction d'un désir d'enfant qui justifie l'usage de ces techniques. La satisfaction de ce désir est ici une conséquence possible de l'AMP, et non pas sa finalité »[20]. Cette vision collectiviste de la santé permet à l'Etat, à travers ses médecins, de s'arroger un pouvoir exorbitant sur la vie des individus. L'ancien président du comité d'éthique, le professeur Didier Sicard résume parfaitement cet état d'esprit lorsqu'il prétend qu'une « société, dès lors qu'elle participe à la procréation, peut exiger qu'un enfant ait deux parents de sexe différent, et que l'intérêt de cet enfant passe avant celui des parents »[21]

En outre, une femme qui souhaite disposer de son corps pour participer à la gestation d'un enfant en portant l'embryon d'une autre femme (GPA), incapable de le faire, pour des raisons médicales, ne peut pas le faire sous peine de subir des sanctions pénales. Aussi, l'insémination et le transfert d'embryons post mortem sont interdits, toutefois, selon la Mission parlementaire, ce dernier devrait être autorisé à titre exceptionnel lorsque « le projet parental a été engagé mais a été interrompu par le décès du conjoint »[22]. Une enquête effectuée auprès de patients cancéreux de la région parisienne qui avaient été adressés au CECOS pour une autoconservation du sperme a permis de constater que 86 % des patients contestaient le fait que leur sperme soit détruit après leur décès et 70 % considéraient que la décision d'utilisation du sperme appartenait à leur épouse. Les patients interrogés refusaient ainsi toute immixtion institutionnelle au nom du respect de leur vie privée[23]. Cependant, dans l'état actuel du droit, une femme ayant engagé le processus d'AMP se trouve doublement pénalisée, par la mort de son compagnon et par l'impossibilité de concrétiser le projet parental commun.

Avec la levée de l'anonymat des donneurs, la dernière révision des lois bioéthiques instaure la prééminence de la filiation hétérosexuelle. En effet, même si dans le future l'AMP s'ouvre aux couples de même sexe le soubassement biologique de l'engendrement permettra à l'enfant de connaître l'hétéroparentalité qui se cache derrière l'homoparentalité.

La nationalisation des organes

Bien que la reforme de 2004 ait apporté un certain nombre de garanties[24], la loi continue à présumer le consentement au don d'organes après la mort, tant pour les prélèvements à des fins thérapeutiques que pour les prélèvements à finalité scientifique. Selon l'article L1232-1 du code de la santé publique « Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée (...) peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement... ». Depuis l'adoption de la loi du 6 août 2004, lorsque le défunt est un mineur ou un majeur "faisant l'objet d'une mesure de protection légale", le consentement écrit des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur est exigé[25].

La loi octroie la possibilité de refuser un tel prélèvement mais cette disposition est insuffisamment connue du public. Et, si l'Académie nationale de médecine exprime sa volonté d'alléger encore la procédure du consentement présumé afin de faire face à la pénurie d'organes[26], les Etats généraux de la bioéthique, en revanche, se sont prononcés pour une évolution inverse pour que la loi prenne davantage en compte la volonté du donneur, notamment à travers une communication plus neutre de la part des autorités médicales.

Entre vivants, le don d'organes peut s'effectuer à l'intérieur du cercle restreint de la famille. Avant la reforme de 2004, un tel don ne pouvait être réalisé que par les parents, les enfants ou les frères et sœurs du receveur, et, en cas d'urgence, par son conjoint. La loi 2004-800 du 6 août 2004 élargit le cercle mais opère une distinction selon le lien de parenté. Le père ou la mère du receveur peuvent, de plein droit, effectuer un tel don (C. santé publ., art. L. 1231-1, 1er al.). Son conjoint, ses frères et sœurs, ses fils et filles, ses grands-parents, ses oncles et tantes, ses cousins germains et cousines germaines, le conjoint de son père ou de sa mère, ainsi que toute personne "apportant la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans avec le receveur" peuvent être autorisés à effectuer un don par un comité d'experts (C. santé publ., art. L. 1231-1, al. 2). En dehors de l'espace restreint de la famille, l'Etat empêche à tout autre personne de disposer de manière altruiste de ses organes au profit d'un ami proche, par exemple.

L'inaccessible information génétique

S'il semble raisonnable de contrôler la circulation de l'information génétique auprès de la police, des assureurs ou des employeurs[27], la restriction de l'accès personnel à ses propres informations génétiques participe du paternalisme d'Etat. La reconstruction de l'histoire familiale, la localisation des origines géographique des ancêtres ou la simple curiosité ne justifient pas l'accès aux données génétiques. Selon l'article 16-10 du code civil, « L'étude génétique des caractéristiques d'une personne ne peut être entreprise qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique ». L'article 16-11 complète le dispositif : « L'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentées lors d'une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique ». En matière civile, l'identification génétique n'est possible qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides.

La prudence du droit français mérite d'être soulignée, d'autant qu'au même moment la mise en place du dépistage génétique sans contrainte ni encadrement (création d'officine d'ADN à l'étranger, publicité sur Internet) facilite énormément l'accès aux tests génétiques. C'est pourquoi, plutôt que de les interdire, il serait préférable, tout simplement, de garantir sa fiabilité et de contrôler le sérieux des fournisseurs de ce type de services lorsqu'un individu souhaite accéder à sa propre information génétique.

L'indisponibilité du sexe

En France, par le principe d'indisponibilité de l'état des personnes (élevé au rang de principe d'ordre public par la Cour de cassation) la modification du sexe dans l'état civil ne peut reposer sur la seule volonté du demandeur. Appliqué à la lettre, ce principe signifie que la mention du sexe dans l'état civil, qui est déterminé à la naissance par l'examen des organes génitaux externes, ne peut faire l'objet d'aucune modification. La seule exception à la règle serait celle de l'« erreur manifeste ». Conformément à ce principe, la Cour de Cassation avait refusé pendant longtemps le changement d'état civil des transsexuels, alors que certaines cours d'appel, suite à une opération de réassignation sexuelle, conférant à la personne transsexuelle l'apparence physique du sexe opposé, autorisaient la modification des registres. Condamnée par la Cour européenne des Droits de l'Homme en 1992, la Cour de Cassation a finalement accepté que lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état-civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence. Pour que l'acte médical de changement de sexe ne tombe pas sous le coup de la loi pénale, il est indispensable qu'il s'agisse d'un cas indiscutable de transsexualisme, ce qui ne peut être affirmé qu'au terme d'une période prolongée d'observation, réalisée par une équipe pluridisciplinaire avertie.

Contrairement à la loi britannique (Gender Recognition Act, entrée en vigueur le 4 avril 2005) et à celle de l'Espagne (Loi sur la rectification de l'état civil des personnes transsexuelles du 8 novembre 2006), seul peut solliciter un changement de l'état civil français l'individu ayant procédé à une opération chirurgicale de réassignation.

Bien que le transsexualisme ne soit plus considéré comme une maladie mentale en France[28], il demeure toujours un trouble nécessitant l'intervention médicale. Bien qu'elles souhaitent le remboursement par la sécurité sociale des frais provoqués par le changement de sexe, les associations de transsexuels considèrent une humiliation l'obligation par l'État de fournir des certificats de stérilisation et de modification génitale pour obtenir un changement d'identité. La législation française pourrait s'inspirer de nos pays voisins ou suivre tout simplement la recommandation n° 4 du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe qui, dans son rapport thématique sur « Droits de l'Homme et Identité de Genre » du 31 juillet 2009, prône que « dans les textes encadrant le processus de changement de nom et de sexe, cesser de subordonner la reconnaissance de l'identité de genre d'une personne à une obligation légale de stérilisation et de soumission à d'autres traitements médicaux ». Le changement de sexe légal pourrait ainsi se faire par simple requête auprès du juge, accompagnée de deux témoins attestant de la réalité et du vécu de la personne dans son sexe revendiqué.

La confiscation de la mortTout d'abord soulignons que l'Etat impose une définition de la mort fondée sur « l'absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée, l'abolition de tous les réflexes du tronc cérébral et l'absence totale de ventilation spontanée » (articles R. 1232-1 à R. 1232-4 du Code de la santé publique). Cette définition permet des actes tels que le prélèvement d'organes pour la transplantation : la mort légale précède en ce cas la mort physiologique. On maintient ainsi des personnes en état de mort cérébrale sous respiration artificielle, lorsque le cœur continue à battre spontanément, cela permet de maintenir les organes en bon état en vue d'un prélèvement. Au-delà de ces avantages cliniques, cette conception de la mort n'est qu'une parmi d'autres possibles, comme par exemple la cessation de la circulation sanguine ou celle selon laquelle la mort advient lorsque les fonctions cérébrales supérieures disparaissent. Contrairement à ce qui est établi dans certains états des Etats-Unis, en France l'individu ne peut pas choisir son idée de la mort, elle lui est prescrite par l'Etat. Aussi, la pénalisation de l'euthanasie[29] - considérée en France comme un homicide prémédité punissable théoriquement de la réclusion criminelle à perpétuité, comme un empoisonnement[30], ou une provocation au suicide - témoigne de l'incapacité de reconnaître à la personne une plus grande maîtrise sur sa propre vie[31]. Le consentement de la « victime » ne modifie en rien l'appréciation de l'acte décisif. Seuls les Pays-Bas et la Belgique ont légalisé la mort sur demande.

La loi française de 2005 (Leonetti) apparaît comme un dispositif permettant au médecin de décider de la fin de traitements dans l'absence de consentement préalable du patient inconscient plutôt qu'un renforcement des droits de malades. Cette emprise étatique sur la vie peut s'expliquer par la volonté de l'Administration (médicale) de maîtriser ses sujets de droit : « Comme la personnalité est un don du groupe qui confère une dignité, la faire disparaître par le suicide revient à nier le collectif qui a crée la personne en la conférant »[32]. Cette conception antilibérale continue à inspirer le dispositif juridique en matière d'aide active à mourir aussi bien au niveau national qu'au niveau européen. Ainsi, dans l'affaire "Pretty" en date du 29 avril 2002, relative au refus d'accorder un droit au suicide assisté d'une patiente, atteinte d'une maladie neurodégénérative incurable, la CEDH a jugé que l'article 2 "ne confère nullement à l'individu un droit à exiger de l'État qu'il permette ou facilite son décès"[33]

On peut également parler de confiscation de la mort lorsque ce n'est pas l'individu qui est maître de la destinée de sa dépouille mais l'Administration : seul l'inhumation ou l'incinération sont possibles, tout autre choix est exclue, tel la cryogénisation (congélation du cadavre dans la perspective d'une réanimation future), l'immersion en mère ou l'embaumement [34] même si ces pratiques n'encourent aucun risque pour la salubrité ou la santé publique. De même, la famille ne peut plus disposer librement des cendres du défunt. La pratique du partage des cendres est interdite puisque la loi sur la législation funéraire prescrit dans la nouvelle rédaction de l'article L. 2223-18-2 du CGCT : « A la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité... ». Les proches n'ont plus le droit de garder l'urne à la maison, elle doit être déposée dans un cimetière (columbarium, sépulture ou monument funéraire). Les cendres peuvent être dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques. Dans ce cas, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. L'identité du défunt, la date et le lieu de la dispersion des cendres sont inscrits sur un registre prévu à cet effet. Le non respect des obligations établies dans la loi est puni d'une amende de 15 000 € par infraction.

Conclusion

Les règles qui gouvernent le rapport de l'individu à sa vie et à son corps ne se fondent pas tant sur des principes juridiques, tels que le respect de la vie privée ou la libre disposition de soi mais plutôt sur des valeurs morales (plus ou moins camouflés dans la règle de droit) comme la « dignité humaine », la « non patrimonialité du corps » ou « la fonction anthropologique du droit ». Ces valeurs, lorsqu'elles prennent une dimension réflexive et s'imposent à nous (y compris contre notre volonté), finissent par confisquer notre liberté. Diane Roman a raison d'affirmer que la protection de la personne contre-elle même devient chose courante[35]. Le droit européen entérine cette vision de la « gestion collective » des vies et des corps car au nom de la protection de la santé l'on « peut mettre à la charge des autorités l'obligation positive de prendre préventivement des mesures pratiques pour protéger l'individu (...) dans certaines circonstances particulières, contre lui-même »[36].

Tout comme le théologien qui considère que l'esprit informe le corps, le juriste soutient que « ces choses conservent une trace de la personnalité de l'âme qui habitait autrefois ce corps, ce qui explique qu'elles soient soumises à un statut dérogatoire au droit commun. »[37]. N'est il toutefois pas paradoxal que certains attributs de la personne, comme le droit à la voix, à l'image, puissent faire l'objet d'une rémunération et d'autres soient complètement exclus ?

A la lecture des rapports officiels, l'individu apparaît rarement comme une source de créativité et d'indépendance mais comme un être irresponsable, brutal et sans scrupules qui ne vise qu'à opprimer les autres et s'enrichit à leurs dépens. C'est pourquoi, la bioéthique n'est pas là tant pour informer, expliquer, clarifier les enjeux, mais plutôt pour proscrire, censurer et se substituer aux personnes concernées. C'est aussi pourquoi, le dispositif bioéthique est destiné d'avantage à l'établissement des limites et des bornes plutôt qu'à l'élargissement du domaine des libertés offertes par la science, laquelle est présentée de surcroit comme étant à l'origine des nouvelles formes d'esclavage et d'aliénation. Le dispositif bioéthique français est désincarné (essentiellement théorique) qui regarde de haut au lieu d'accompagner les personnes dans leurs doutes ou de les aides à prendre une décision. Véronique Fournier montre d'une manière remarquable les conséquences des lois bioéthiques « conçues jusqu'ici comme défensives. Elles ont été construites sans souci des effets ravageurs qu'elles pouvaient avoir au niveau des individus »[38].

Si avec le développement scientifique, les rapports de l'individu à son corps, à sa personnalité et à sa reproduction ont évoqué l'idée d'une troisième génération de droits de l'Homme, il ne faut pas oublier que cette nouvelle génération ne peut pas effacer les acquis de la première génération (libertés individuelles). Au contraire, c'est uniquement sur cette base qu'une bioéthique démocratique peut se construire.


[1] R. Badinter, Liberté, libertés : Réflexions du Comité pour une charte des libertés, Gallimard, 1976, p. 272.

[2] CEDH, Tysiac c. Pologne, 20 mars 2007, § 107 ; CEDH, Evans c. Royaume-Uni, 10 avril 2007, §71.

[3] CEDH, Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, §61.

[4] Après la deuxième guerre mondiale le sang est devenu une substance hors commerce en France dont la circulation se fonde sur le principe du bénévolat traduit dans la loi du 21 juillet 1952 et le règlement du 16 janvier 1954 qui déterminent les modalités de l’organisation de la transfusion sanguine.

[5] Dominique Memmi, « Vers une confession laïque ? La nouvelle administration étatique des corps », Revue Française de Science Politique, vol. 50, n°1, février 2000, p. 3-19.

[6] Elaboré par la doctrine iusnaturaliste, le principe d’indisponibilité du corps humain trouve sa consécration jurisprudentielle avec la prohibition de la pratique de la maternité de substitution en 1991.

[7] Conçue par un courant conservateur de la doctrine, cette notion extravagante de « fonction anthropologique du droit » commence à apparaître dans les rapports officiels. Ainsi, dans l’avis n° 105, le Comité consultative national d’éthique souligne : « La loi joue un rôle structurant : elle contribue au développement de l’individu en lui assignant une place dans la société. Ce rôle du droit, dit anthropologique, est particulièrement important dans le domaine de la filiation. Les choix du législateur dans l’encadrement des pratiques d’assistance médicale à la procréation reconduisent ainsi le modèle traditionnel de filiation dite “ cognatique ”, organisée autour du triptyque pére/mére/enfants (famille dite ‘nucléaire’) », p. 3.

[8] S. Hennette-Vauchez formule l’hypothèse selon laquelle le droit de disposer de son corps serait une simple « commodité de langage, un énoncé performatif », voir Disposer de soi ? Une analyse du discours juridique sur les droits de la personne sur son corps. L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, Paris, 2004, p. 132.

[9] D. Borrillo, - "La question du consentement en matière de politique sexuelle" in Avortement, droit de choisir et santé, Actes du colloque au Sénat, Editons ProChoix, Paris, 2001.

[10] B. Edelman, La personne en danger, PUF, 1999, p. 512-513 ; « La dignité de la personne humaine, un concept nouveau », in M.-L. Pavia et T. Revet (dir.), La dignité de la personne humaine, Paris, Economica, 1999, p. 32.

[11] Encyclique Evangelium Vitae 25 mars 1995.

[12] I, Cor. 6,13

[13] I, Cor. 10-31

[14] CNCDH, « Contribution au débat Droits de l’homme, bioéthique et rapport au corps », 14 novembre 2007 : http://www.cncdh.fr/article.php3?id_article=493

[15] X. Bioy, « La dignité, question de principes », in S. Gaboriau et H. Pauliat, Justice, Ethique et dignité, 5e entretiens d'Aguesseau, PULIM, 2006, p. 47-86 ;

[16] Cass. Plen. 31 mai 1991.

[17] « Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions »

[18] S. Hennette-Vauchez, Disposer de soi ? Une analyse du discours juridique sur les droits de la personne sur son corps. L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, Paris, 2004.

[19] Présentée comme « affirmation de la valeur des structures naturelles de la parenté »

[20]http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/uploads/rapport_final.pdf, page 23

[21] Interview dans le journal La Croix, 14 avril 2009.

[22] Le Comité consultatif national d'éthique avait déjà pris position en faveur du transfert post mortem des embryons congelés dans son avis n° 40 du 17 décembre 1993.

[23] G. Moutel, K. Corviole, C. Ballouard, M. Alcaraz, M. de Surmont, M.O. Alnot, C. Hervé, « Autoconservation de sperme et prise en charge des demandes d' inséminations post mortem », Droit et médecine, n° 19, 1996, p. 1.

[24] Dans le cas où le médecin n’a pas “directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen” (C. santé publ., art. L. 1232-1, al. 3)

[25] C. santé publ., art. L. 1232-2

[26] Académie de Médecine, Le recours aux donneurs vivants en transplantation d'organes, 24 mars 2009

[27] Le rapport de l'OPECST sur l'évaluation de l'application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique comme celui du Conseil d'Etat du 9 avril soulignent les dangers du recours à ces méthodes en tant que données personnelles et à des fins autres que thérapeutiques par des compagnies d'assurances, des employeurs ainsi que les risques de leur utilisation à l'insu des personnes.

[28] Décret n° 2010-125 du 8 février 2010 portant modification de l'annexe figurant à l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l'affection de longue durée «affections psychiatriques de longue durée »

[29] La loi Leonetti de 2005 ne modifie en rien la prohibition de l’euthanasie. Elle interdit uniquement l’acharnement thérapeutique dans ces termes :: « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10 (...) ». (art.L. 1110-5 du code de la santé publique).

[30] Toutefois, le député UMP Jean Leonetti, chargé d'évaluer sa propre loi de 2005 sur l'accompagnement en fin de vie, a plaidé pour ne pas poursuivre les auteurs d'"homicides par compassion", dans certains cas d'euthanasie, dans une allusion à l'affaire Chantal Sébire.

[31] L’hypocrisie du système juridique français est nuancée par la clémence des magistrats devant ces situations dramatiques : B. Legros, L’euthanasie et le droit. État des lieux sur un sujet médiatisé Les études hospitalières,

[32] X. Bioy, Le concept de personne humaine en droit public, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », vol. 22, 2003, p. 709.

[33] CEDH, 29 avr. 2002, § 63, Pretty c/ RU : AJDA 2003, p. 1383, note B. Le Baut-Ferrasèse

[34] S. Douay, note sous TA Nantes 5 sept. 2002 et Angers 9 sept. 2002, JCP 2003. II. 10052 ; J. Michel, Hibernatus, « Les droits de l'homme et la mort, le juge administratif face à la cryogénisation », D. 2005. Chron. 1742 ; J.-F. Millet, concl. sur CAA Nantes 27 juin 2003, AJDA 2003. 1871 ; I. Poirot-Mazères, « Toute entreprise d'immortalité est contraire à l'ordre public. Ou comment le juge administratif appréhende... la cryogénisation », Dr. adm., n° 7, 2006. Etude 13.

[35] D. Roman, « ‘A corps défendant’ : La protection de l'individu contre lui-même », Recueil Dalloz 2007 p. 1284.

[36] Tanribilir c. Turquie, CEDH 16/11/2000. §70.

[37] D. Fenouillet, JCP, fasc. 12

[38] V. Fournier, Le bazar bioéthique. Quand les histoires de vie bouleversent la morale publique, Paris, Robert Laffont, 2010.

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