Espérons que le courage politique de la Garde de Sceaux lors du mariage pour tous ne soit pas éclipsé par la réforme de l'aide juridictionnelle qui semble devenir « l'accès à la justice pour certains ». Le projet de loi de finances 2016 propose en effet une réforme qui se veut généreuse, en apparence, puisqu’on annonce cent mille bénéficiaires supplémentaires et une revalorisation de la rétribution des avocats.
A lire l’exposé des motifs du projet de loi, le profane pourrait imaginer que le Gouvernement prend une mesure en faveur des plus démunis. Ainsi, dans le projet de loi, on trouve des belles formules telles que « diversification des sources de financement », et « rendre le dispositif plus juste et plus simple » cachant en réalité en certain nombre de mesures qui pénalisent les plus défavorisés. Ainsi, la dite « diversification » n’est autre chose que l’abandon par l’Etat d’une politique sociale, celle consistant à financer l’aide juridictionnelle par l’impôt universel, et mettre à sa place un dispositif financé en partie par les justiciables y compris les plus fragilisés.
La droite n’avait pas osé aller aussi loin puisque le droit de timbre de 35 euros qu’elle avait instauré n’était pas dû par les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. La gauche supprimant ce droit de timbre en 2014, afin de faciliter l’accès à la justice pour tous, ce qui était tout à fait louable, avait dû en réalité augmenter un an plus tard (pour compenser la perte de recettes) deux taxes à la charge des justiciables condamnés, y compris bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, à savoir : le droit fixe de procédure pénale - porté de 90 à 127 euros pour les jugements correctionnels et de 375 à 527 euros pour les arrêts des cours d'assises - et d'autre part, la taxe forfaitaire collectée par les huissiers de justice, passée de 9,15 à 11,16 euros. Mesures financières plus injustes que celles proposées par la droite puisque l’on fait payer les plus désavantagés.
La seule mesure progressiste inscrite dans le projet de loi, consistait à instaurer une participation financière des avocats (passant de 5 millions en 2016 à 10 millions en 2017) pour mieux payer ceux qui assurent la défense des pauvres. Pourtant adoptée en première lecture, cette mesure est déjà abandonnée par la ministre de la Justice face à la mobilisation des avocats. Leur grève ne devrait pas, pour autant, éclipser le fait que cette participation ne taxait pas la profession, mais consistait uniquement en un prélèvement sur les intérêts financiers des fonds appartenant à leurs clients et qu'elle ne fait que gérer.
Cette mesure était pourtant bien timide au regard de celles proposées par les nombreux rapports rendus tant sous la droite que sous la gauche, comme la taxation du chiffre d'affaires.
Tenté de sortir de l'impasse, le Gouvernement pourrait être incité à financer la revalorisation de la rétribution des avocats par un nouveau relèvement des taxes dues par les justiciables condamnés, dont la parole est inexistence face à la spectaculaire mobilisation des avocats.
La réforme de l'aide juridictionnelle, si elle était portée à son terme, pourrait apparaître comme une mesure en trompe l'œil, car sous couvert d'améliorer la situation des plus démunis, on demande à ces derniers de financer non seulement l'élargissement des bénéficiaires de l’aide mais aussi l'augmentation de la rétribution de leurs avocats. Ce qui est présenté comme une réforme de justice sociale risquerait de devenir la plus injuste des solutions envisageables : les pauvres paieraient à la fois pour eux-mêmes et pour une profession trop soucieuse de ses intérêts.