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Billet de blog 27 novembre 2013

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De la guerre aux prostituées à la lutte contre la prostitution

De la droite moraliste à la gauche conservatrice, les principales forces politiques s’accordent pour mettre en place une politique répressive de la sexualité entre adultes consentants, la première a fait la guerre aux personnes prostituées, la seconde entend livrer bataille contre les clients.

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De la droite moraliste à la gauche conservatrice, les principales forces politiques s’accordent pour mettre en place une politique répressive de la sexualité entre adultes consentants, la première a fait la guerre aux personnes prostituées, la seconde entend livrer bataille contre les clients. Mon analyse porte sur la sexualité consentie car, bien évidemment, nous sommes tous d’accord pour dénoncer sans aucune nuance l’exploitation de la prostitution d’autrui et les réseaux mafieux.  La Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949 et la loi pénale française sanctionnent ces crimes.  

En 2002, afin de mobiliser l'ensemble de la société, et pas seulement les "riverains" inquiets pour la tranquillité de leur voisinage, la droite a fait appel aux bons sentiments. C'est pourquoi on a réduit toutes les prostituées au statut d'esclaves sous la coupe de réseaux mafieux : on a justifié ainsi la répression par la compassion.

En 2013, la gauche opère le même escamotage d'une autre réalité, celle d'une prostitution, surtout française, affranchie de tout proxénète. Pour la même raison, hier comme aujourd’hui on a fait l'impasse sur la masculinisation de la prostitution : dans l'imagerie actuelle, l'homme n'existe qu'en qualité de client, et la clientèle resterait exclusivement masculine. La logique sécuritaire de la droite et le paternalisme de la gauche peuvent ainsi récupérer la critique féministe de l'exploitation sexuelle. Pour la droite, les prostituées sont des délinquantes[1], pour la gauche conservatrice elles deviennent des victimes  innocentes y compris celles et ceux qui le font de manière occasionnelle même en échange d’une promesse de rémunération ou de tout autre avantage (chapitre IV de la proposition de loi en débat).

A la différence de la morale religieuse qui imposait un sens univoque de la sexualité[2], l´Etat laïc doit renoncer à une telle prétention : chaque individu est libre de donner à sa sexualité la signification qu’il souhaite. La laïcité implique ainsi l’abandon d’une érotique uniformisée au profit d´une conception pluraliste des sexualités qui accorde la même valeur aux différents choix individuels à condition qu’il s’agisse d’adultes consentents. Si les féministes rappellent avec pertinence que le consentement a eu pendant longtemps une valeur différente pour les hommes que pour les femmes, ces dernières ne pouvantconsentir qu’à une forme ou à une autre de dépendance[3]. Toutefois, cette critique du consentement ne doit pas mettre fin au consensualisme en tant que principal critère permettant de déterminer la légitimité des comportements sexuels. Le combat des féministes a justement permis que les femmes puissent devenir des actrices autonomes, capables de choisir en toute liberté leur destin aussi bien sur le plan privé que politique. C’est pourquoi, de ce point de vue,  lorsqu’une femme décide de se prostituer, il ne faut pas la juger mais l’aider à conquérir les meilleures conditions de travail. Pour ce faire, il ne faut pas confondre la prostitution avec les conditions dans lesquelles s’exerce la prostitution. Comme le note la philosophe Judith Butler : « il est incompréhensible que des féministes se désintéressent de ces questions (les conditions économiques, les conditions de sécurité, les conditions de santé - je pense en particulier au sida), trop occupées sans doute par la condamnation morale pour s’occuper des vies concrètes de ces femmes »[4].

Dans une démocratie, la personne adulte est la seule capable de déterminer ce qui lui convient sexuellement. La liberté devient tyrannie dès lors que l´Etat prétend connaître mieux que l´individu ce qui est bon pour lui. Seuls l’absence de consentement et le dommage causé à des tiers justifient la sanction du droit. Les juges de la Cour européenne des droits de l’Homme rappellent que, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature moralement dommageables pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps »[5]. Mais s’agissant d’actes sexuels rémunérés, la proposition de loi française va plus loin car elle met en place de stages obligatoires de rééducation sexuelle. Ceux et celles qui ne s'accomodent pas à la norme sexuelle de la gratuité seront désormais considérés comme des aliénés.

Assurer à tous les citoyens le libre exercice de leur sexualité est une chose, considérer que certains choix ne peuvent jamais être le fruit d´une élection authentique et les prohiber en est une autre. De quel droit l´Etat interdirait-il à une personne d’avoir des relations sexuelles moyennant rétribution et de faire de cela sa profession habituelle ?

La proposition de loi invoque la non-patrimonialité du corps humain et le respect de la dignité de la personne. Ainsi, les autorités de l’Etat (législateur, juge, administration…) peuvent déterminer ce qui constitue la dignité de la personne et peuvent la protéger contre elle-même si nécessaire afin de sauvegarder sa dignité. Cette conception de la dignité humaine véhicule une métaphysique de la personne plus proche de la théologie que du droit. Elle actualise la vieille théorie catholique selon laquelle Dieu est le propriétaire de toute vie et les hommes ne sont que des simples usufruitiers. Son caractère sacré rend à certains égards notre propre personne indisponible et, si aujourd’hui l’Etat a remplacé le Créateur, la logique sous-jacente demeure la même : une instance supérieure connaît mieux que nous-mêmes ce qui est digne ou indigne pour nous. Il suffit qu’une autorité invoque la dignité humaine pour qu’automatiquement le consentement de l’individu soit invalidé. Comme le note le jursite Olivier Cayla « le concept de dignité humaine est apparu, à ce puissant courant antimoderne, comme le moyen idoine, (…) de parvenir à réglementer d’abord et surtout le rapport que chacun entretient avec lui-même, afin de lui interdire, au nom d’un impératif éthique supérieur, de disposer de son propre corps d’une manière qui, le reléguant à la qualité de chose, porte absurdement atteinte à sa dignité de personne »[6].

Quant à  l’argument de la non-patrimonialité du corps humain, la proposition de loi opère une confusion majeure entre achat et location de service. Nul ne peut acheter un acte sexuel car le code civil définie la vente comme une « convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer ». En aucun cas le client n’acquière le corps de la personne prostituée. Il s’agit d’un abus de langage ayant comme finalité la confusion et la compassion publique. La prostitution n’est juridiquement autre chose qu’un service rémunéré et c’est justement cette reconnaissance qui demandent les syndicats et les associations des travailleurs et travailleuses du sexe.

Plutôt que de lutter contre la prostitution comme le fait la proposition de loi, la gauche devrait garantir à ces travailleurs et travailleuses les mêmes conditions par l’application du droit commun du travail (droits sociaux, droits sanitaires, sécurité, hygiène, retraite….). La lutte contre les mauvaises conditions dans lesquelles s’exerce la prostitution et l’exploitation me semblent les seuls combats justes. En revanche, vouloir mettre fin à la prostitution libre et consentie constitue un combat moral et nous savons comment elles finissent ce type de croisades.


[1] Borrillo, Fassin, Favret-Saada, Gaspard, « Non à la guerre aux prostituées », Le Monde 07/11/2002.

[2] « L’instinct sexuel, s’il est un des plus nobles que le Créateur ait doté l’homme, a une finalité déterminée : il est au service de l’amour conjugal et de la procréation », Note de la Commission épiscopale française de la famille, 23 juillet 1965.

[3] Mathieu, N.-C., 1985, « Quand céder n’est pas consentir », in Mathieu. N.-C. de (éd.), L’arraisonnement des femmes : essais en anthropologie des sexes, Paris, Ed. de l’EHESS (Cahiers de l’Homme), p. 169-243.

[4] « Une éthique de la sexualité », entretien avec Judith Butler, Vacarme n° 22, hiver 2003.

[5] Pretty c/ Royaume-Uni, 29 avril 2002, n° 2346/02.

[6] O. Cayla, « Le coup d’Etat de droit ? », Le Débat, 1998, n°100, p. 133.

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