Ce salut flamboyant est le titre de l’ouvrage de Christian Saout[1]. L’auteur a rédigé un livre bilan de son long et puissant engagement, comme Président d’Aides (1998-2007) puis du CISS, Collectif Interassociatif sur la Santé (2007-2012), Président également de la Conférence Nationale de Santé (2006-2010). Sa présence médiatique a donné une forte notoriété à cet esprit aiguisé. Il exprime ses positions sur la santé avec une liberté de parole qui bouscule les conformismes, irrite certains, révulse quelques uns et réjouit beaucoup d’autres.
Je partage son diagnostic sur le système de santé que j’ai découvert tardivement par un engagement dans une structure soignante, l’Association de Gérontologie du 13ème arrondissement de Paris. J’y ai pris conscience des considérables enjeux sociétaux qu’impliquent la Santé Publique de notre société moderne. Nos vues se croisent d’une manière d’autant plus intéressante que nos pôles d’intérêt sont largement disjoints, Christian Saout venant du VIH-Sida alors que mon expérience est dans la santé et le vieillissement…
Christian Saout salue avec respect les 19 recommandations du comité des sages sur la Stratégie Nationale de Santé, qui constitue un texte de référence dans ses axes de propositions qu’il intitule « feuilles de route ».
L’auteur déplore que la santé publique soit le parent pauvre de notre politique de santé où une hiérarchie abusive s’est construite entre soin et prendre soin, entre les individus et les populations, entre le médical et le médicosocial/social. Puis il analyse de manière impitoyable les faiblesses structurelles de notre système de santé, pour appeler à de états généraux sur la santé à partir des propositions des sages dans l’espoir, entre autres, d’une maîtrise partagée des dépenses de santé.
Très intéressant est le chapitre de Christian Saout sur les « im-patients », utilisateurs du système de santé ou malades. Il intègre les changements paradigmatiques qu’entraînent la chronicité des maladies et le vieillissement de la population. Il énonce alors dans sa feuille de route les quatre facteurs clés de succès suivant :
- L’appropriation par les usagers des enjeux et la nécessité de débats sur le terrain sur les transformations indispensables pour répondre aux besoins des malades.
- La détermination par les modes de fonctionnement du système de santé des modalités de financement (et non l’inverse).
- L’accompagnement des patients chroniques.
- La qualité des soins comme fil d’Ariane des transformations structurelles.
Enfin, son dernier chapitre est une analyse vécue de l’intérieur des forces et faiblesses des associations des usagers de santé dans leurs fonctions de représentation, de coopération et d’alerte. Son diagnostic du monde associatif de la santé est sévère : très grand éparpillement, faiblesse importante de nombreuses structures et difficultés des actions coordonnées. Devant cette situation, les pouvoirs publics qui n’ont pas choisi l’autonomie des associations. Ce sont eux qui nomment les représentants dans les instances tout en refusant les moyens financiers indispensables aux associations pour leur participation à des fonctions de gouvernance du système de santé. Je ne veux pas céder au pessimisme devant ce tableau, car des résiliences importantes se manifestent dans le foisonnement anarchique des structures. Il en est de même dans les innombrables organisations professionnelles de toutes natures et de tous statuts. Ce désordre est aussi un signe de vitalité et il précède probablement l’émergence d’une forme nouvelle d’organisation de la santé. En effet, citant Edgar Morin, j’ose affirmer : « le probable n’est pas le certain et avec mes faibles forces j’œuvre pour l’improbable ».
J’exprime quelques remarques qui sont plus des compléments que des critiques.
Un chapitre du livre est consacré aux données et aux hommes. Mon diagnostic sur les insuffisances des systèmes d’information de santé est radical. Le système d’information interagit à la fois avec le système de production (de santé) et le système d’organisation. La très grande complexité de l’organisation et du système de production explique l’incapacité des acteurs à développer des systèmes d’information partagés. Déjà à l’intérieur d’un l’hôpital, c’est une très difficile fonction. Si l’on transfère au niveau plus global, les problèmes deviennent encore plus complexes et il fallait beaucoup de naïveté de la part du Ministre Douste-Blazy et de ses conseillers pour prédire une généralisation rapide du DMP. Les dysfonctionnements de l’organisation sont amplifiés et/ou révélés par des Systèmes d’information inadaptés. S’il fallait une preuve à cette affirmation, elle se trouve dans qualité de la base de données de l’assurance maladie, dont l’accès au public est Ameli.fr. Cet organisme a créé son système, non sans mal et après de multiples tâtonnements, dans le cadre de sa propre organisation et de sa propre production, le remboursement des soins aux assurés sociaux. Le défi à relever est de mettre en place une maîtrise d’ouvrage collective, mais forte et légitime, disposant des moyens nécessaires, défi d’abord culturel et sociologique, puis défi politique et organisationnel, enfin défi technique et financier.
Mon autre remarque concerne l’engagement du patient comme acteur de sa santé. Au delà de l’intelligence de la maladie, il y a la volonté de la personne. Soigner une maladie n’est jamais un processus uniquement bio-technologique. D’importantes études et recherches montrent que la prise en compte des objectifs du patient est un facteur clé du succès du soin. Jusqu’aux décisions concernant l’accompagnement de la fin de vie.
Je félicite très chaleureusement Christian Saout de nous avoir donné cette somme qui va éclairer nos actions. J’en recommande vivement la lecture aux professionnels de santé comme aux citoyens.
[1] Christian Saout Santé, Citoyens! Éditions de Santé 2013