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Billet de blog 6 juillet 2009

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Violence d'État

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son très récent ouvrage, Ruwen Ogien analyse l’implication de l’État dans les sphères les plus intimes de notre vie privée. Avec la rigueur de l’expert en philosophie morale, il met en lumière la manière dont la Puissance Publique « contrôle de façon directe et coercitive le début et la fin de vie de ceux qui vivent sur son territoire. »
La Vie, la Mort, l’État (Grasset 2009) est un ouvrage sur le débat bioéthique. Ruwen Ogien y développe des raisonnements philosophiques et scientifiques, appuyés sur une abondante bibliographie. Ouvrage de référence, parfois ardu, tant il fait appel à des concepts et utilise des modes de raisonnement qui ne sont pas toujours familiers, c’est également un ouvrage engagé dans le débat public, principalement dans sa deuxième partie sur la liberté de ne pas procréer et le droit de mourir.
L’auteur met fortement en cause les justifications de la loi Leonetti, sur les trois plans suivants.
La neutralité éthique de l’État.
Ce principe s’interprète de deux manières :

1. « Il concerne la justification publique des actions de l’État : elles ne doivent pas faire appel à des conceptions religieuses ou morales, surtout lorsqu’elles sont controversées.
2. Il vise à protéger le pluralisme moral tel qu’il s’exprime dans le style de vie des personnes
La loi Leonetti n’est neutre ni au premier, ni au deuxième sens de cette notion.
»
La neutralité des justifications
L’auteur démontre que « la loi Leonetti est fondée sur des distinctions morales controversées inspirées des théories kantiennes ou thomistes ». Or dans un État démocratique, laïque et pluraliste, aucune loi ne peut se justifier en invoquant, même implicitement, des principes philosophiques dont aucun n’est à l’abri de la contreverse.
La protection du pluralisme des styles de vie
« Les législations des États qui ne sanctionnent pas l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté n’obligent évidemment personne à demander ces interventions. Mais elles n’interdisent pas non plus à certains citoyens, d’y recourir et de vivre ainsi selon leurs convictions morales. Elles vont dans le sens du pluralisme moral. Ce n’est pas le cas de la loi Leonetti . »
Le législateur justifie sa loi par le soutien de la communauté scientifique. Or, c’est au sein même de cette communauté que s’exprime une contestation radicale des fondements philosophiques et moraux d’un texte voté il y a quatre ans à l’unanimité par le Parlement.
Ruwen Ogien met ensuite en évidence la confusion entre laisser mourir et faire mourir. « L’incurable qui ne veut plus vivre,... veut l’un ou l’autre… Il se moque des intensions du médecin et de ses distinctions subtiles entre les effets positifs voulus et les effets négatifs non voulus de son action. De son point de vue de patient, il ne voit pas la différence morale. »
Enfin, l’auteur pose la question suivante : « Pourquoi donne-t-on moins de valeur à la demande de mourir qu’à celle de vivre ? »
« Lorsqu’un patient incurable qui a conservé ses capacités cognitives…préfère rester en vie, même dans des conditions difficilement supportables, alors que le coût est extrêmement élevé pour lui-même, ses proches et la société, on estime que sa décision doit être respectée. Les affirmations du patient qui veut continuer de vivre sont prises à la lettre. On ne cherche pas leur sens psychologique caché…
Mais lorsqu’un patient incurable, qui a conservé ses capacités cognitives, formule une demande d’aide active à mourir ou de suicide assisté réitérée, lorsqu’il affirme qu’il ne veut pas rester en vie dans certaines conditions qu’il juge répugnantes, on change de façon de raisonner. On considère que ces affirmations n’ont pas de sens littéral. C’est un appel qu’il faut décoder…ce n’est pas la manifestation d’une authentique volonté de mettre fin à sa vie
»
J’ai été témoin de la force du déni qui s’exerce. Une manipulation lénifiante de la personne s’instaure et toute possibilité d’expression autonome est anéantie par la camisole chimique des antidépresseurs et des anxiolytiques.
Qui exerce alors une violence sur l’autre en déniant son droit d’être aidé à mettre un terme à son existence qui ne pourra plus lui procurer aucun des bonheurs de la vie ?
Merci à Ruwen Ogien d’avoir brillamment contribué à un débat qui participe au combat pour notre liberté.

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