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Billet de blog 8 avril 2008

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Sortir de l'assistance : RSA ou créations d'activités?

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Problématique de l’offre d’emploi
Les travaux conduits par Martin Hirsch autour du concept de RSA préfigurent des changements indispensables pour sortir du maquis réglementaire actuel. Pourtant cette approche fait l'impasse sur l'offre de service ou de produit qui génère l'activité donc l'emploi.

Le Livre Vert du Commissariat présente toutes les facettes d’un projet passionnant. Des interrogations subsistent, mais ce n’est pas pour moi le principal questionnement.
L’offre d’emploi n’est présentée que de manière très globale, dans un contexte politique national et européen. Certes, une meilleure répartition des richesses de notre société d’opulence permettrait de réduire la misère. Mais il y a une dimension incontournable qui est celle de la participation du plus grand nombre à la création de notre richesse. Cette question se pose dans un Monde qui s’ouvre à l’échange instantané d’information qui permet un partage de l’acte productif et une gestion des flux de marchandises dont personne ne mesure réellement l’impact.
Or, l’offre d’emploi ne se génère pas par des décisions globales, mais résulte de décisions locales où les considérations micro-économiques du décideur individuel sont déterminantes.
Typologie des besoins d’emplois

L’insertion dans le travail ne peut se traiter sans une analyse fine des possibilités de développement d’activités qui permettent d’offrir des emplois.
Une première approche montre que le chômage affecte plusieurs catégories de perte d'employabilité :
1. Les personnes de faible niveau de formation, sans métier aucun, qui ne peuvent accéder qu’à des emplois mal payés avec des conditions de travail difficiles et /ou des horaires contraignants.
2. Les personnes avec des formations académiques qui n’offrent pas de débouché, car ne répondant pas à une demande solvable ni parfois à un métier identifiable. Il est possible de classer dans cette catégorie les hommes et les femmes dont le métier a disparu par obsolescence technique.

3. Les personnes qui sont licenciées en fin de carrière, après cinquante ans, et qui ont des chances très limitées de retrouver un emploi équivalent à celui dont ils ont été démis.

Une seconde approche est celle des métiers :
1. Les métiers sans débouché, chômage lié à la disparition de la demande, comme ceux d’employé de bureau /dactylo ou de tireur de photo ou d’ouvrier du textile ou chômage structurel entraîné par le déséquilibre entre l’offre et la demande, par exemple dans les secteurs de la communication ou de la production de spectacles.
2. Les métiers en pénurie de ressource, offre d’emploi excédant la demande, dans des niveaux de qualification élevée (infirmières, ingénieurs…).
3. Les métiers sous-tension, à cause de la pénibilité (hôtellerie/restauration, bâtiment, transport routier) ou des horaires (coupures, temps partiels)
4. Les métiers en pénurie d’offre, compte tenu de la faible qualification requise (Services à la Personne, logistique et sécurité).
Une troisième approche est territoriale : l’accès à une activité est conditionné par les problèmes géographiques. Habiter la Seine-Saint-Denis et aller faire des ménages dans les Hauts-de-Seine demande un grand effort de mobilité.
Une quatrième approche est celle de la motivation à s’insérer par le travail dans la société. Pour une large part, le RSA se situe sur ce plan, mais il y a une autre dimension qui est culturelle, tant du côté salarié que du côté employeur. Une personne ne va pas finaliser sa recherche par la demande (qu’est-ce que le marché du w propose que je puisse faire), mais par l’offre (qu’est-ce que je veux faire). Un recruteur va écarter tout risque en ne donnant pas sa chance à la personne qui n’a pas un profil « qualifié », oubliant que ce qui compte c’est le savoir faire (potentiel) et non le savoir (historique).
L’optimisation de l’offre et de la demande est certes un objectif permanent. Mais le développement l’offre est une condition nécessaire pour insérer ceux qui sont exclus.
Conditions nécessaires au développement de l’offre
La création d’un emploi pérenne est conditionnée par une demande solvable, elle-même pérenne. Il faut générer un « produit » par une offre répondant à une demande. L’entrepreneur, le créateur est celui qui a la capacité de vendre un service ou un bien qui va couvrir les coûts, les « charges » et qui anticipe que cette demande va se renouveler, lui permettant de prendre le risque de créer de l’emploi.
Toute action de réduction des coûts va réduire le risque, donc encourager l’entrepreneur, mais c’est le soutien de la demande qui va entraîner le développement durable de l’activité, soutenue par l’excédent d’exploitation.
Ce rappel un peu naïf m’est inspiré par d’un échange avec Edgar Pisani, en 1981.
« Nous autres élus et fonctionnaire ne savons gérer que des dépenses, d’où nous déduisons les impôts à lever, alors que vous, les hommes d’entreprises, créez des recettes, à l’intérieur desquelles vous gérez des dépenses. »
L’offre d’emploi ne vient pas d’une volonté de création d’emploi, mais de la création d’activités de production de services et de biens. Certes, il faudra nécessairement des hommes et des femmes pour acteur du process, comme il faudra des capitaux pour financer l’entreprise. Le facteur-clé de succès est la capacité d’offrir et de vendre biens et services, qualité première de l’entrepreneur, qu’il soit commerçant, président de coopérative, de mutuelle ou d’association.
L’équilibre d’exploitation
La balance entre produits et charges est le paramètre micro-économique fondamental. L’activité est saine si elle crée une balance positive. La maîtrise de la structure d’exploitation est un art, qui fait que, sur un même marché, des entreprises prospèrent et d’autres disparaissent.
Subvenir directement aux coûts salariaux, n’est-ce pas une manière de soutenir la création d’emploi ?
La difficulté réside dans la notion de prix de revient. Le coût salarial ne suffit pas à créer l’activité qui équilibre l’exploitation.
Dans l’activité industrielle, il y a le poids de l’investissement, équipements et fonds de roulement. Mais aussi tous les coûts indirects, non directement liés à la production, coûts qui pèsent très lourds dans la haute technologie.
Dans l’activité de service, le coût direct de production est beaucoup plus élevé que dans l’industrie, mais plus le service est sophistiqué, moins le coût direct de production pèse. Dans de nombreuses activités de service, il est autour de 50%. C’est-à-dire que le coût de production ne représente que 50% des coûts totaux. Il peut descendre en dessous, si ce sont des activités où la préparation du travail est importante (Formation). Il atteint 75% dans des services à faible valeur ajoutée (Services à la Personne).
Ceci veut dire que pour une production assurée par une personne coûtant 50 000 € par an (salaires+charges), il faut générer un chiffre d’affaires annuel de 100 000€ Ht pour créer un emploi qualifié.
Mon expérience de la création d’entreprise, montre qu’une entreprise individuelle n’est viable que si elle arrive à générer un flux de produits minimum de 40 000€ HT par an. Ceci correspond à un tarif de facturation HT de 40€ de l’heure, pour mille heures de production. Soit un taux de facturation horaire TTC de 50€. Ceci ne signifie pas que l’entrepreneur individuel travaille à mi-temps. Il consacrera au moins un temps égal à son temps de production pour son activité commerciale, sa gestion et sa formation.
Si une activité de service emploie du personnel à plein temps, le prix de revient va être déterminé à la fois par le niveau de salaire et le plan de charge des personnels. Si l’entreprise vend 100% des heures payées, son équilibre sera bien plus facilement obtenu que si elle ne vend que 70% de celles-ci. C’est la source du développement du temps partiel ou des horaires en vacations fractionnées et de la sous-traitance.
Exemple des Services à la Personne
L’État considère que les Services à la Personne constituent un gisement d’emploi important. La loi Borloo prévoit pour 20 métiers répertoriés des avantages fiscaux importants, qui soutiennent la demande de manière importante.
Les Services à la Personne sont très affectés par le travail au noir, qui concerne au moins 60% des emplois directs par les particuliers. Le travail au noir n’est pas spécifique à ce secteur : comment peuvent vivre les sans-papiers aujourd’hui, sinon au « black » !
L’autre concurrent est l’emploi direct, via le CESU bancaire. Ce mode d’emploi met directement les personnes au contact d’employeurs qui ignorent le droit du travail, ce qui occasionne de nombreuses procédures prud’hommales.
Compte tenu des faibles niveaux de qualification requis, il devrait être facile de recruter. Or il n’en est rien !
La raison la plus importante est la difficulté d’offrir une rémunération à temps plein pour les services rendus sur ce marché. La conséquence est que c’est un secteur où il y a beaucoup de travailleurs pauvres qui effectuent 25 heures par semaine au SMIC horaire, soit une rémunération nette de moins de 700€ par mois.
L’autre cause des difficultés de recrutement est l’intégration sur ce marché des femmes étrangères, courageuses et dévouées, mais dont les habitudes culturelles sont très éloignées des nôtres, même quand elles ne sont pas analphabètes.
De nombreuses petites entreprises de Service à la Personne ont été créées. Beaucoup peinent à survivre. Les grandes antennes nationales soutenues par l’ANSP à renforts de millions de subventions mettent leur offre en sourdine, car elles ont peu de capacité de production dans leur réseau de sous-traitants qu’elles ne maîtrisent pas.
Le secteur est pour une part importante sous l’influence des services sociaux des Pouvoir Public. Ceux-ci intègrent dans leurs grilles de prise en charge les horaires à temps partiel. Le SMIC est un concept trompeur et le véritable butoir inférieur de rémunération est aujourd’hui le RMI plutôt que le SMIC ! Il convient donc de développer l’activité économique pour développer l’emploi. Si dans les services à la personne il n’y avait pas d’utilisation massive du travail à temps partiel, le tarif horaire permettant d’employer à plein temps des personnes dont on désire valoriser en enrichir l’emploi serait au minimum de 25à 30 € de l’heure (18,5 actuellement).
Deux axes stratégiques de changement :
1. Promouvoir des valeurs de solidarité qui modifient les valeurs économiques et monétaires elles-mêmes, et solvabilisent les actions économiques nouvelles, créant des emplois durables.
2. Investir sur le plan humain pour avoir des hommes et des femmes de talent qui s’investissent dans le développement de l’insertion par le travail.
Quelques réflexions sur la viabilité d’un système d’insertion
Les pièges à éviter :
Financer les coûts directs sans prendre en compte les coûts structuraux des organisations.

La prise en compte du seul coût direct conduit à une impasse. La personne en insertion a besoin, plus qu’une autre, d’être encadrée, managée et formée. Le travail fournit doit être vendu, contrôlé, administré, facturé, comptabilisé. L’administration du personnel prend en charge le salarié. Enfin, le travail fournit résulte d’actions commerciales et de développements d’organisations. Si les mécanismes ne prennent en charge que le coût direct, la situation n’est pas consolidée dans le temps, sauf de manière marginale. Or le phénomène d’exclusion est un phénomène massif.

Financer les emplois au lieu de financer les développements d’activités


La création d’ateliers nationaux où les chômeurs sont mis au travail est une caricature. Toutefois, le chômage est tellement injuste, que la tentation est grande d’oublier que le travail résulte de la satisfaction d’une demande solvable. L’insertion sera d’autant plus efficace et durable, que la demande solvable se développe dans des activités où s’emploient utilement les personnes en insertion. Nous devons développer les méthodes et nous devons financer les entrepreneurs capables de créer des activités, sans quoi l’insertion devient une déviation de l’assistance. La finalité première est la création d’activités qui génère une offre d’emploi. L’insertion a plus besoin d’entrepreneurs que de travailleurs sociaux.
Une transformation culturelle est indispensable. À la problématique du talent de la personne (je sais faire cela), il faut associer la problématique du besoin (je sais répondre à une demande).

La conjoncture de la "rigueur"

Les arbitrages du gouvernement contre le RSA montrent de manière cruelle les limites de l'approche. Le partage de richesse se fait au détriment des plus démunis, exclus progressivement d'une société où les riches deviennent de plus en plus riches. Ce n'est pas un mécanisme limitant les pièges à pauvreté qui résoudront le problème du chômage.

Je concluerait ce billet par une citation de Galbraith :

La dichotomie capital contre travail, qui fut la base de tous les discours et de toutes les actions politiques, ne peut plus résister à l'analyse. Les économies modernes connaissent un autre type de fracture qui est perceptible dans tous les pays industrialisés. Il y a désormais, d'un côté, les riches et ceux qui aspirent à ce statut et, de l'autre côté, les économiquement faibles ou les pauvres. (...) Les riches sont plus nombreux et plus diversifiés que la classe des capitalistes des premiers temps. Ils sont également mieux organisés sur le plan politique. Les moins favorisés sont ceux victimes de la pauvreté, les personnels des industries de services, les chômeurs, et ceux qui subissent les discriminations de race, de sexe ou d'âge. Tous ceux-là sont pour la plupart sans le moindre soutien politique

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