La délivrance d’Eluana Englaro est traitée d’assassinat par Silvio Berlusconi. Il applaudit cyniquement à la damnation par l’Église Catholique du Président de la République italienne, des malheureux parents d’Eluana et de soignants impies.
Le « Cavaliere » prend ainsi une posture de bigot, signe de soumission à un pouvoir qui l’oblige et le comble. Il s’incline devant le Vatican pour faire oublier ses manquements : il n’a rien à perdre et conforte son assise politique. L’issue de ce drame aurait été différente en France, mais…seulement à partir du 6 février 2006, date de promulgation des décrets d’application de la loi sur la fin de vie de 2005.
Il est toutefois facile de charger nos amis Italiens, qui s’enflamment sur le destin d’Eluana, quand en France la parole est donnée majoritairement aux tenants du « laisser les vivre ».
La commission d’évaluation de la loi de 2005 a très chichement mesuré la parole des partisans de l’évolution de cette loi. Une place importante a été donnée aux courants conservateurs de l’éthique médicale. Les « bigots » développent sur plusieurs fronts une casuistique, dont je dénonce plusieurs aspects.
1) « Ouvrir la voie à l’assistance au suicide ou à la demande d’euthanasie active, c’est encouragé le suicide des personnes fragiles. » La prise en charge de la demande d’euthanasie s’établit dans la durée, la preuve en est le nombre important de demandes acceptées d’euthanasie non suivies d’effet. Les personnes psychologiquement fragiles sont identifiées très en amont.
2) « L’euthanasie est une pratique barbare qui se décide en quelques minutes. » La perception des spécialistes de l’ « éthique médicale » sur les pratiques effectives d’aide à la fin de vie sont simplistes, sinon fausses. Dans les pays pratiquant l’euthanasie (Belgique Hollande) ou tolérant le suicide assisté (Suisse), l’accompagnement de fin de vie est beaucoup plus développé que dans notre système de santé français. Un processus d’accompagnement prend place très en amont, pour le malade avec un pronostic défavorable, en particulier dans le cas de cancer. Le choix des modalités de sa mort est laissé au malade, dans un dialogue singulier avec l’équipe soignante. L’alternative de soins palliatifs est effective. Et surtout le service de soin palliatif n’est pas le service lointain, où l’oncologue est parfois contraint, faute de lit, d’orienter la personne pour laquelle tout traitement curatif est arrêté. Ce brutal changement constitue un traumatisme pour le mourant et sa famille, quel que soit le dévouement et le professionnalisme des personnels soignants.
3) « Une loi sur la fin de vie permettant l’euthanasie ouvrirait les vannes de désir de mort, principalement chez les personnes âgées. » Cet argument passe sous silence le nombre très élevé de suicides de personnes âgées, dont l’envie de vivre a disparu et qui expriment violement leur souffrance en se pendant ou se défenestrant. Un départ en douceur ne serait-il qu’une ultime pirouette ?
4) « Une loi sur la fin de vie entraînera la culpabilisation des personnes âgées quand le coût de prise en charge de leur existence devient très élevé, avec en conséquence des demandes d’euthanasie pour éviter d’être une charge pour leurs descendants ! » Mon âge me permet de rappeler que cette perception est aussi ancienne que l’humanité. Au Népal, la vieille sherpani part dans la montagne mourir quand elle estime ne plus pouvoir contribuer à la vie du village.
J’ai notamment entendu ces propos dans des auditions de la Commission d’évaluation de la loi sur la fin de vie. Des clercs tentent ainsi de maintenir un statut quo législatif, sourds à la souffrance des laïcs. Des enseignants tentent de convaincre les futurs soignants du bien fondé de leurs positions, en déniant le poids de l’interdit religieux.
Monsieur Jean Leonetti aime bien évoquer la complexité des situations de fin de vie. Il tourne délibérément le dos à ce constat quand il bloque tout processus d’évolution. Qualifier de « bigot » un homme aussi attaché aux valeurs du radicalisme est certes paradoxal. Mais il prend paradoxalement cette posture, qui simplifie par le dogmatisme la vision du réel qu’il projette dans ses conclusions.
Je suis convaincu de l’extrême complexité des situations de fin de vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Ce qui plaide fortement pour une grande diversité de réponses et moyens que l’homme des lumières peut choisir librement pour « quitter son corps », comme disent les Indiens.
En conclusion, je voudrais témoigner ma compassion et mon affection aux parents d’Eluana et mon admiration aux soignants qui l’ont « débranchée ». Car, les « bigots » sont très violents. Certes, aujourd’hui les flammes du bûcher de l’Inquisition ne crépitent plus en Italie, mais les hommes sont toujours aussi cruels dans leurs exclusions et leurs exécutions.
Paris, le 10 février 2009.
Billet de blog 10 février 2009
Le retour des Bigots
La délivrance d’Eluana Englaro est traitée d’assassinat par Silvio Berlusconi. Il applaudit cyniquement à la damnation par l’Église Catholique du Président de la République italienne, des malheureux parents d’Eluana et de soignants impies.
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