Je constate que les débats actuels font évoluer les positions sur la fin de vie lors de mes rencontres et échanges avec les Professionnels de Santé comme avec les citoyens usagers du Système de Santé. Malheureusement, le rapport récent du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) exprime une résistance des clercs que je dénonce. En effet, dans ce rapport, toutes les avancées prennent un caractère conditionnel qui ignore la volonté du sujet, réduit en objet de soins, en totale contradiction avec la déclaration solennelle de l’importance de la parole du patient.
La sédation terminale à la demande du patient en impasse thérapeutique est actée. Ce qui est à la fois une excellente nouvelle et la preuve que les médecins veulent garder la main. Sinon, le patient aurait le choix entre une sédation en phase terminale et une injection de penthotal, car le résultat final sera absolument identique, juste un problème de temporalité.
Les directives anticipées doivent être contraignantes. Mais à condition qu'elles aient été élaborées avec le médecin. Sinon, ce n'est qu'une déclaration d'intention sans valeur.
J’exprime ma révolte devant les refus de prise en compte des directives anticipées. Ne pas tenir compte des volontés du patient conforte l’inégalité de la relation soignant/soigné en faveur du « sachant » : inadmissible et indigne en face d’une personne affaiblie et très irrespectueux du choix exprimé par le citoyen alors qu’il disposait de tous ses moyens. Un signe éclatant aussi du manque d’écoute qui conduit au déni. Un changement de Loi est indispensable pour reconnaître un droit qui se situe au niveau constitutionnel. Sinon les petits juges continueront de ne voir dans les Directives Anticipées qu’un souhait et non une décision irrévocable.
L’objection la plus courante est de considérer que vous avez pu changer d’avis entre le moment où vous avez rédigé vos DA et leur application, tout en étant dans l’impossibilité de modifier vos DA. Justifier ce refus de prise en compte des DA, en citant des propos de malades vivant leurs dernières heures dans une période grise, marqués par la souffrance et la perte de contrôle est inacceptable. D'autant que les DA ne sont applicables que lorsqu'il n'y a plus d'expression possible du malade. Et que son écrit lorsqu'il était lucide marque un désir profond appuyé sur des valeurs incontestables, l'expression d'une volonté irrévocable qui ne souffre aucune interprétation de la part du soignant confronté à un être qui est dans une situation irréversible. Ce désir peut aussi s'interpréter comme l'expression anticipée d'une prise de risque.
La demande d'aide active à mourir a divisé le CCNE. Le grand malentendu entre soins palliatifs et aide active à mourir n’est pas éclairé. En premier lieu le passage aux soins palliatifs ne signifie nullement l'accompagnement systématique de la mort et, en Belgique, beaucoup de demandes d'euthanasie sont exprimées par des malades passés par les soins palliatifs. Enfin, de très nombreuses situations intolérables ne sont pas du ressort des soins palliatifs qui prennent en charge majoritairement des cancéreux.
La demande d'aide active à mourir implique un niveau de conscience et une énergie de décision que la maladie grave détruit très souvent. L'aide à mourir est l'ultime accompagnement du patient volontaire, conscient et déterminé qui anticipe et ne veut plus vivre les jours, mois ou années qui impliquent l'assistance permanente d'une médecine technicienne de plus en plus performante. Ce n’est donc pas l'acte désespéré de la personne dépressive. Cette aide à mourir devrait pouvoir être prodiguée de manière ouverte, contrôlée et sereine dans une société qui produit un allongement de la durée de la vie que l'humanité n'a jamais connue.
Le Président du CCNE Jean-Claude Ameisen déclare que le rôle du médecin n’est pas de donner la mort : n’est-il pas aussi de ne pas prolonger inutilement la vie ? Il n'y a aujourd’hui plus beaucoup de morts naturelles : que ce soit une décision possible du citoyen de décider de son départ est une nécessité, totalement nouvelle, une contradiction nouvelle à gérer dans la complexité de la fin de vie, une liberté indispensable à conquérir.
Je revendique pour moi avec force cette liberté même si je peux gérer ma fin, car il y a tous ceux qui n’ont pas cette chance. Je suis également disponible pour dialoguer en vérité avec les soignants confrontés à des demandes d’aide active à mourir, qui n’est jamais une décision facile à prendre, ni à réaliser.
J’espère plus que jamais que le Législateur prendra rapidement en compte cette importante évolution de notre Société, constat partagé par de plus en plus de monde, les citoyens mais fort heureusement aussi de nombreux médecins et soignants confrontés dans leur pratique à la fin de vie de leurs patients.