Mesdames et Messieurs les Jurés de la Cour d’Assises de Pau, le Docteur Nicolas Bonnemaison comparait devant vous pour répondre de l’assassinat de sept patients dans son service d’Unité de Soins de Courte Durée au Centre Hospitalier de la Côte Basque à Bayonne. Un procès est ouvert pour juger Nicolas Bonnemaison, qui avait pris sept décisions compassionnelles pour calmer des souffrances d’agonie, chez des personnes incapables de s’exprimer, déposées dans ce service des urgences, ultime recours d’une société ne sachant plus accompagner la mort.
Que pouvait-il être fait pour prendre en charge ces pauvres êtres ? Les laissez souffrir, prendre le risque qu’ils souffrent dans leurs derniers spasmes avant la mort ou traiter, anticiper, prévenir pour que la mort arrive dans le sommeil. Que souhaiterions-nous pour nos proches chers ou pour nous même ? Un médecin dont le devoir professionnel est d’éviter toute souffrance ou un médecin qui laisserait faire la « nature » en évitant tout traitement qui risquerait d’accélérer le décès. Innombrables sont ceux qui désirent croiser en ces instants tragiques un Nicolas Bonnemaison, pour ceux qu’on aime, pour soi bien sûr. Des dizaines de milliers de citoyens ont signé la pétition dans ce sens.
Certes, aucune des victimes n’avait rédigé de directives anticipées, certes l’avis de la famille n’a pas toujours été recueilli de manière satisfaisante. Mais dans tous les cas concernés, il y a eu une décision collégiale préalable avec des essais de traitements qui échouent. Des personnes toutes très âgées sauf une, moribondes et n’ayant que quelques heures à vivre, pour lesquelles de simples gestes de sédation s’imposaient. Ces patients arrivent alors dans ce service de soins courte durée où ils n’auraient jamais du aller si notre système de santé accompagnait correctement la mort. Un service où règne la suspicion, un service où la délation traduit la dégradation des relations. Tous ces graves dysfonctionnements, que le rapport de l’IGAS sur les urgences du centre hospitalier de Bayonne[1] analyse, expliquent les errements du dossier. Le Docteur Nicolas Bonnemaison a été très lourdement sanctionné depuis 3 ans par des décisions administratives et ordinales : suspendu de sa fonction de praticien hospitalier, interdit de tout exercice de la médecine. Où sont les victimes, où sont les coupables ?
Je ne peux accepter la qualification criminelle des actes. Pour quel motif Nicolas Bonnemaison aurait-il « empoisonné » ses patients ? Nicolas Bonnemaison a commis des erreurs : est-ce un motif pour le traduire devant une cour d’Assises.
D’aucuns rêvent d’ériger ce procès en celui de l’euthanasie. Il n’a jamais été question de mort choisie, acceptée ou demandée par les patients des urgences de Bayonne. Les gestes pratiqués par Nicolas Bonnemaison n’étaient pas euthanasiques, c’est à dire conçus pour entrainer une mort rapide, mais des actes médicaux pour calmer et/ou prévenir douleurs et souffrances.
Ce procès est révélateur de la très mauvaise prise en charge de la fin de vie dans notre système de santé. Il met aussi en évidence une situation totalement nouvelle qui médicalise la fin de vie, trop souvent avec des obstinations déraisonnables. Le total respect des volontés du patient doit alors être la ligne directrice de l’accompagnement. Quelles que soient les circonstances, le devoir absolu des soignants est d’accepter la mort prochaine, puis d’accompagner le mourant pour qu’il parte sans douleur ni souffrance, grâce à l’efficacité de leurs ultimes soins, même s’ils accélèrent de quelques heures le décès.
Nicolas Bonnemaison ne doit pas devenir la victime expiatoire des mauvaises conditions dans lesquelles nous mourrons en France.
Mesdames et Messieurs les Jurés de la Cour d’Assises de Pau, j’espère qu’un Nicolas Bonnemaison m’épargnera les douleurs ultimes de mes dernières heures si je suis un jour proche transporté agonisant et sans connaissance aux urgences. Je ne doute pas que vous partagiez ce point de vue. Permettez-lui de sortir de ce prétoire innocenté des crimes qui lui sont imputés.
[1] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000671/0000.pdf