J’ai lu avec grande attention votre déclaration sur la fin de vie dans Libération le 12 mars dernier. Votre désarroi me peine beaucoup, d’autant que vous êtes des professionnels de grand talent et des soignants attentifs confrontés à des situations très difficiles.
Je suis un vieux bonhomme né en 1933, de cette génération qui a vu s’ouvrir 20 ans supplémentaires de vie dont je profite pleinement. J’anticipe ce que pourront être les quelques années qui me restent à venir. J’espère que mes volontés seront respectées par mes soignants, y compris celle de m’aider à mourir si je désire ne pas prolonger une vie déjà très longue, qui ne m’apporterait alors plus ni joie, ni plaisir, mais douleurs et souffrance. Ce sera ma demande d’un geste ultime de soin pour partir sereinement, sans imposer le choc brutal du suicide à mes très nombreux proches et amis. Je dialogue parfois avec mes soignants sur cette perspective, qui ne les choque pas. J’ai beaucoup apprécié la prise de position du Professeur Maurice Tubiana.
Cette détermination vous trouble peut-être. Ce désir n’est exprimé que par une minorité de citoyens et ne concernera qu’un faible nombre de décès : je vous demande seulement de l’entendre et de le respecter.
L’exercice de ma liberté n’entravera en rien vos admirables missions. Vous pourrez, comme aujourd’hui, aborder de manière collégiale les fins de vie difficiles, les décisions très complexes en face de symptômes réfractaires à vos traitements. Vos patients sauront très bien que vous n’avez en aucun cas le droit de donner la mort. Vos patients seront réconfortés s’ils savent aussi que leur volonté sera respectée sans réserve.
L’idée même de pouvoir interrompre sa vie libère de l’angoisse d’une mort dans des conditions inconnues. Je vous recommande pour cela de visionner le documentaire Belge qui montre comment les personnes et les soignants peuvent vivre autrement les fins de vie, en particulier à l’Institut Bordet spécialisé comme vous dans le cancer :
Nous vivons des temps pour lesquels les références historiques n’existent plus. Les progrès de l’hygiène, de l’alimentation, des conditions de vie, des biotechnologies et de la médecine font qu’aujourd’hui il n’y a plus de mort naturelle. Vous êtes à la pointe de cette réalité, dont l’autre face est notre destin inéluctable, la mort. Un passage si bien décrit par Épicure, mais dans des conditions totalement nouvelles, qui comporteront inéluctablement l’assistance médicalisée à mourir, comme l’affirme dans un article récent « The Economist », un fin connaisseur des courants de pensée de ce monde sans frontière.