Le 18 décembre dernier, le Professeur Didier Sicard présentait son rapport au Président de la République. Ce document commence par un constat lucide et complet sur les très médiocres conditions de fin de vie dans notre pays, analyse que je partage totalement. Par contre, les propositions de solutions qui en découlent ne sont pas une réponse claire à l’attente de la grande majorité des citoyens.
Alors que la commission Sicard recommande formellement de ne pas légiférer, le dépôt du rapport a entrainé de manière immédiate une consultation par le Président de la République du Comité National Consultatif d’Éthique, avec pour objectif un Projet de Loi à débattre par le Parlement en Juin 2013.
Fin de Vie au 21ème Siècle
Un contexte totalement nouveau
L’impact des transformation de notre cadre de vie (conditions de logement, de travail, de nutrition, de sécurité), l’évolution de l’hygiène, des bio-technologies et des soins médicaux ont radicalement transformé les conditions de notre vie même.
Les grandes épidémies ont été vaincues et la plupart des affections sont devenues des maux chroniques (comme le Diabète puis maintenant le Cancer, le VIH et bien d’autres). L’espérance de vie a augmenté d’une manière exponentielle depuis 50 ans. Nous faisons face à une situation pour laquelle nous ne disposons d’aucun repère historique et qui implique de nouveaux paradigmes. Les conditions de la fin de vie incitent à la maîtrise de la fin de vie elle-même. L’alternative est celle des utopistes de « l’anti-aging medecine » qui évoquent de manière subliminale l’immortalité. Or les faits montrent que nous sommes heureusement mortels, certains exprimant même l’hypothèse que l’asymptote de notre durée de vie serait de 85 ans[1], avec des accidents statistiques, qui expliquent des cas comme ceux de Stéphane Hessel ou Rita Levi-Montalcini. Le plafonnement récemment constaté de l’évolution de l’espérance de vie et l’augmentation de la prévalence des polypathologies et des maladies dégénératives confortent cette hypothèse. La fin de vie naturelle devient un évènement de moins en moins probable.
Des demandes d’aide active à mourir.
Des demandes d’aide active à mourir se manifestent chaque jour et des passages à l’acte en résultent. Elles ne viennent pas de personnes fragiles isolées et abandonnées par la Société. Le Professeur Maurice Tubiana[2] en est l’archétype. Un nonagénaire très digne, comblé d’honneur, respecté, profondément religieux souhaite pouvoir être euthanasié ! J’apprends qu’une très vieille dame du même âge que lui, extrêmement entourée par sa famille, reliée au monde en permanence par Internet, organise son dernier voyage, en toute transparence vis-à-vis de ses très nombreux enfants et petits-enfants.
Ces demandes concernent des cancéreux qui refusent une ultime chimio, des personnes atteintes de maladies dégénératives comme Sclérose en Plaque ou Maladie de Charcot. Puis aussi des malades Alzheimer comme le brillant écrivain Flamand Hugo Claus[3] ou Michel Salmon qui ne supportait plus son Locked-in Syndrom[4].
Comme le dit Antoine Spire, citant Robert Misrahi,[5] dont la position basée sur une démarche éthique inspirée de la pensée Spinoza : « Il appartient à la puissance publique de légaliser la possibilité de l’euthanasie thérapeutique, c’est à dire la possibilité pour le médecin non pas de décider, mais d’accéder à la demande d’un malade qui deviendrait l’objet de souffrance extrême, qu’il est seul habilité à dire tolérables ou intolérables... » Ce geste d’interruption volontaire de vie n’est acceptable que s’il est l’accomplissement d’un cheminement qui conduit patient et soignant à cet acte ultime de soin, tant l’impasse thérapeutique est grande, comme l’illustre un récent film Belge[6].
Anticiper plus que subir devient une forte revendication chez des personnes de grand âge. Seuls des experts minimisent ce phénomène de demandes à mourir qui s’expriment même si c’est illégal. Le traitement marginal de cette demande par la Commission Sicard motive à réclamer encore plus vigoureusement une Loi de Liberté, autorisant l’euthanasie en fin de vie des personnes qui la demande.
Sédation Phase Terminale
Le rapport Sicard acte clairement le refus de l’obstination déraisonnable ainsi que les limites de la médecine palliative, qui ne répond pas de manière universelle à l’accompagnement des fins de vie, comme le montre Philippe Bataille dans son dernier ouvrage[7]. Ceci n’enlève rien à la nécessité de développer la culture palliative et les moyens nécessaires en soins palliatifs.
Le laisser mourir qu’induit l’arrêt de soin, notamment l’arrêt de l’alimentation, est sévèrement critiqué par le rapport Sicard. La Sédation en Phase Terminale décidée en concertation avec l’équipe de soins, la personne de confiance et les proches est la proposition phare de la commission Sicard, qui constitue une évolution très importante par rapport aux pratiques actuelles.
Le point clé pour que cette démarche soit acceptable sans réserve, est le vote d’une Loi pour l’officialiser. C’est en effet un droit du malade d’obtenir cette sédation s’il en fait la demande formelle suite à un arrêt de soin décidé par lui ou s’il a prévu dans ses directives anticipées le refus de toute prolongation inutile de sa vie quand il a perdu sa compétence. Dans la mesure où il y a une expression claire de la volonté du patient, la décision finale ne peut en être laissée, même après concertation, au seul médecin.
Inclure cette décision dans les bonnes pratiques, seulement encadrées par la Loi Leonetti actuelle, c’est conférer à la Sédation en Phase Terminale un caractère de norme professionnelle qui n’est par nature pas opposable (sauf par d’autres professionnels ou par des pairs).
Qui dit Droit, dit Loi. Il faudra donc préciser par la Loi et ses textes d’application les conditions de prise en compte de la volonté exprimée formellement par le malade conscient ou dans ses DA s’il est inconscient, dans la décision de Sédation en Phase Terminale. Cette démarche est complémentaire de l’aide active à mourir dont l’instruction de la demande entraînerait des délais incompatibles avec l’urgence de la réponse à une souffrance d’agonie.
Cette modification de la Loi devra intégrer le cas où la décision vient de l’équipe médicale seule en face de la détresse d’un malade inconscient et qui est dans l’incapacité de consulter une personne de confiance ou des proches ou des Directives Anticipées. Sans cela, cette situation fréquente pourrait se traduire par des situations dramatiques, comme l’illustre le cas du Docteur Bonnemaison.
Directives anticipées
Rappelons d’abord que les directives anticipées (DA) expriment les volontés de la personne dans l’impossibilité de communiquer (coma ou perte de compétence). Tant qu’une forme d’expression cohérente subsiste, le médecin et l’équipe soignante écouteront la personne en fin de vie, qui peut alors se faire assister d’une personne de confiance, qui deviendra son porte parole prioritaire en cas de perte de conscience.
La question essentielle est le caractère opposable et contraignant des Directives anticipées.
J’exprime ma révolte devant les refus de prise en compte des directives anticipées. Ne pas tenir compte des volontés du patient conforte l’inégalité de la relation soignant/soigné qui devient l’expression du pouvoir du « sachant » : inadmissible et indigne en face d’une personne affaiblie et très irrespectueux du choix exprimé par le citoyen alors qu’il disposait de tous ses moyens. L’objection la plus courante est de considérer que vous avez pu changer d’avis entre le moment où vous avez rédigé vos DA et leur application, tout en étant dans l’impossibilité de modifier vos DA. Justifier ce refus de prise en compte des DA, en citant des propos de malades vivant leurs dernières heures dans une période grise, marqués par la souffrance et la perte de contrôle[8] est inacceptable.
La prise en charge de la fin de vie
Des changements importants doivent mis en œuvre dans le Système de Santé pour prendre en charge la fin de vie et l’accompagnement de la mort. Les conditions d’hébergement longue durée hospitalière (USLD) ou médicosociales (EHPAD et assistance à domicile) sont un chantier prioritaire, tant leur fonctionnement est médiocre, parfois inacceptable et très majoritairement rejeté par la population. Qui en effet veut finir sa vie en EHPAD ?
L’ignorance par le système sanitaire de la Loi Leonetti est considérée par certains comme une preuve qu’il faut transformer le fonctionnement du Système de Santé avant de changer la législation sur la fin de vie : une illusion dangereuse, d’autant que l’évolution du Système de Santé sera progressive et lente.
C’est la démarche inverse qu’il faut privilégier. L’aide active à mourir à la demande du citoyen et la prise en charge de situations d’obstination déraisonnable par la sédation terminale serviront de levier au développement des soins palliatifs et à la transformation de la prise en charge de la mort par les Hôpitaux, les EHPAD et les organisations médicales, médicosociales et sociales à domicile.
Relations avec les Personnels de Santé
Je respecte profondément tous mes soignants, qui connaissent mes Directives Anticipées et savent que je les ai renforcées par un Mandat de Protection Future. Les directives anticipées constituent un excellent support de dialogue avec le médecin et deviennent progressivement un contrat moral entre le médecin et son patient, un engagement de confiance réciproque, à mes yeux plus fort qu’une Loi.
Quand Télérama demande à Jean-Louis Trintignant, de peu mon aîné, qu’espérez-vous maintenant, il répond, « La mort. Je n’ai vraiment pas d’autre ambition. Je vais essayer de la réussir. Ne pas finir sous perfusion, dans un hôpital, mais mourir en bonne santé.» Je partage cette ambition et je m’en donne les moyens.
Néanmoins pour conclure ce billet, je proclame la nécessité d’un changement législatif pour les raisons suivantes :
- Rendre transparent l’assistance du médecin, sans enfreindre la Loi,
- Donner au médecin un accès contrôlé aux produits nécessaires à cette aide, encadrée par la Loi,
- Ouvrir à tout citoyen la possibilité d’un accompagnement de fin de vie dans la dignité conforme à ses volontés.
[1] Malades d’inquiétude Nortin Adler trad Fernand Turcotte PUL 2010 Chapitre 1 Le complexe de Mathusalem
[2] Garantir le droit de mourir dans la dignité : envisageons l’euthanasie en dernier recours Le Monde Vendredi 14 décembre 2012
[3] Le Dernier Choix Annick Redolfi Piments Pourpres Productions France 5 4/12/2012
[4] Quand un homme demande à mourir Anne Georget France 2 52’
[5] Le Cancer : le malade est une personne d’Antoine Spire et Mano Siri.
[6] http://www.clav.be/prod_euthanasie.html
[7] À la vie à la mort Philippe Bataille Ed Autrement 2012
[8] « Le droit de mourir dans la Dignité » Jean Baubérot Médiapart 18/12/2012