L’affaire Bonnemaison a éclaté en août 2011. Le Dr Nicolas Bonnemaison, urgentiste au Centre Hospitalier de la Côte Basque (CHCB) de Bayonne, est accusé d’avoir euthanasié des patients très âgés de son service. Deux ans déjà, sans que pour autant l’issue judiciaire se dessine clairement, le Parquet de Bayonne informant la Presse le 12 août dernier que l’accusé serait jugé aux Assises sur huit cas d’empoisonnement reconnus de caractère « criminel ».
Je rappelle brièvement les faits connus depuis deux ans. À la suite de dénonciation par des personnels soignants, le Dr Nicolas Bonnemaison est accusé d’avoir euthanasié des patients de son service. Il reconnait immédiatement les faits : il a procédé à des injections létales (hypnovel puis curare) à des patients très âgés, déposés aux Urgences sans connaissance, ni accompagnement de famille ou de proches, personnes dont le pronostic vital est irrémédiablement engagé. Il a pris seul ces décisions pour des raisons compassionnelles.
Cette note a pour objet de faire un point sur les causes de ce drame et la manière dont il est traité. Le seul document dont nous disposons en dehors des déclarations de Nicolas Bonnemaison et de son avocat est le rapport IGAS, dont sont extraites les informations qui argumentent cette note et qui nuancent les positions du Parquet de Bayonne.
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000671/0000.pdf
L’état de la législation est en cause.
Le Dr Bonnemaison aurait pu appliquer la Loi Leonetti en convoquant d'urgence une commission de concertation, pour mettre en œuvre, par exemple, une sédation en phase terminale, l’aide active à mourir étant illégale. Une procédure peu claire et hypocrite qui entraîne le laisser mourir.
Dans ces circonstances, la position de l’ADMD est claire, seule la volonté du malade peut mettre en œuvre une aide active à mourir ; mais alors quelles dispositions sont elles possible pour ceux qui ne se sont jamais exprimés de manière explicite ?
Cependant, autant que la carence législative, ce qui est en cause est le grave dysfonctionnement du système de santé. C’est en effet ce qui a entraîné les décisions solitaires de Nicolas Bonnemaison devant des situations sans issue autre que la mort prochaine.
Il faut au préalable rappeler la structure particulière des Urgences de Bayonne. Une réorganisation en 2009 a constitué quatre entités au fonctionnement très cloisonné, quatre structures distinctes dotées chacune d’un responsable (SAMU-SMUR, flux ambulatoire et traumatologie, flux hospitalisés et Unité d’hospitalisation de courte durée UHCD).
Une UHCD a normalement deux fonctions:
· héberger les patients qui ont besoin de surveillance de courte durée (alcoolisation, perte de sang, post-crise d'angor ou d'épilepsie,...) ou qui attendent un avis spécialisé non disponible immédiatement.
· trouver un lit dans le service le mieux adapté pour ceux qui justifient une hospitalisation, ce qui permet d'éviter les "hébergements", ce qui est toujours difficile pour les personnes âgées, qui deviennent vite des patients encombrants.
Les médecins de ces UHCD font un travail très ingrat; pas de suivi un peu long des patients, pas la gloire des SAMU ou des urgentistes, perte de temps énorme en négociations, c'est le meilleur endroit pour déprimer.
Le Dr Bonnemaison était en 2004 coordonateur du secteur urgence de l’hôpital. Un arrêt maladie du 17/9/2008 au 30/11/2009 interrompt sa mission. La réorganisation a eu lieu pendant son absence. À son retour en activité, il est nommé responsable de l’Unité d’Hospitalisation de Courte Durée après avoir été chef du service des Urgences dans la précédente organisation. C’est le poste qu’il occupe en août 2011 lors de sa mise à pied.
L’accueil aux urgences des Personnes Âgées agonisantes
Le point soulevé est très général et non spécifique à Bayonne. Les EHPAD accueillent à l’heure actuelle une population très âgée. 10% seulement des décès y ont lieu, soit environ 55 000 par an alors que la durée moyenne de séjour y est de 2 ans, pour 550000 hébergés, les partants allant mourir chez eux ou à l’Hôpital, ce qui signifie que de nombreux transferts en Urgences Hospitalières sont effectués pour des personnes agonisantes. Cette situation s’explique par le manque d’effectif qualifié pour prendre en charge les fins de vie en EHPAD. Les décès se passent très majoritairement pendant la nuit. Or la situation type d’un EHPAD hébergeant 80 personnes est un effectif de nuit de 2 personnes, dont au mieux une aide soignante. Il faut également souligner que ce sont hélas souvent les familles qui poussent l’EHPAD à transférer aux Urgences leurs proches en fin de vie.
Aux Urgences de Bayonne, ces patients sont affectés à l’UHCD, qui a un taux d’emplissage de lit supérieur à 100% (rapport IGAS), c’est à dire des patients sur brancard faute de lit disponible.
Deux réponses possibles à cette situation :
· Affecter plus de moyens aux Urgences
· Construire une coordination entre l’Hôpital et les EHPAD ainsi qu’entre l’Hôpital et les soins de ville pour les personnes très âgées à domicile.
Tous les spécialistes militent aujourd’hui pour la seconde solution. En effet, la prise en charge de la fin de vie ne peut le plus souvent se traiter par des soins médicaux de pointe que l’Hôpital propose. Hospitaliser, c’est aussi risquer de voir des vieillards pris en charge par des unités de soins intensifs, avec une disproportion considérable entre les moyens de réanimation mis en œuvre et le confort apporté aux derniers jours de vie.
Ce défaut de fonctionnement de notre système de santé est identifié. Des changements mis en place dans des Établissements de Santé montrent qu’il est possible d’assurer une bien meilleure prise en charge qu’actuellement. Partage de dossier médical, télémédecine, transfert direct, si nécessaire, en unité de soins gériatriques (ou autre) sans passer par les urgences, tout cela est possible et constitue des enjeux majeurs de réorganisation. La grande difficulté est le nombre d’acteurs et d’établissements concernés, 8500 EHPAD/maisons de retraite auxquels il convient d’ajouter les innombrables organisations de maintien à domicile (SSIAD, SAD) et des centaines d’établissements sanitaires.
Il faut rappeler que le Dr Bonnemaison et les autres médecins de l’UHCD n’ont aucune responsabilité dans cette inadaptation globale de l’organisation du système aux besoins. C’est en effet une situation dont nous sommes tous responsables que nous soyons politique, professionnel de santé ou citoyen.
C’est dans ce contexte que les passages à l’acte compassionnels de Nicolas Bonnemaison se sont produits. Cet environnement a très fortement contribué à ces transgressions désespérées.
Les problèmes généraux d’organisation interne des Urgences et ceux de Bayonne
Les graves problèmes que pose la désorganisation progressive de la permanence de soins ambulatoires et du premier recours font que les Urgences sont devenues le point focal vers lequel convergent d’innombrables problèmes. Une vive tension y existe comme dans beaucoup de services d’urgence.
Le rapport de l’IGAS déclare sans ambigüité pour Bayonne « Un secteur des Urgences difficile à manager » et « L’UHCD une variable d’ajustement du CHCB ».
En termes crus, c’est reconnaître que cette unité (UHCD) est un cul de basses fosses des patients dont on ne sait que faire.
Les inspecteurs de l’IGAS décrivent les violents à-coups successifs d’organisation, évoquant de manière elliptique les problèmes de santé de Nicolas Bonnemaison. Faire revenir avec des responsabilités réduites par rapport à son affectation antérieure, un professionnel éprouvé par un long arrêt maladie provoqué par une dépression est une grave erreur de gestion des ressources humaines. De plus, les relations entre les professionnels de santé de l’UHCD étaient profondément affectées par les restructurations successives opérées, dans un contexte globalement peu valorisant. Une ambiance exécrable que les évènements vont révéler.
Les ingrédients du drame étaient présents et n’avoir rien pu prévenir constitue aussi une grave erreur, sinon une faute, dont le Dr Nicolas Bonnemaison paye aujourd’hui lourdement le prix. Une attention à cette situation aurait permis d’anticiper et d’éviter la crise qui a explosé lors de la révélation des faits lors de leur dénonciation au directeur par des personnels soignants. Un burn-out dévastateur en résulte dont tout le monde est victime. Les soignantes, le directeur, et bien entendu Nicolas Bonnemaison, le mouton noir dont la mise à mort s’imposait.
L’explosion de solidarité dès les premiers jours autour de Nicolas Bonnemaison est le signe des puissantes tensions qui traduisent à la fois le mal-être des professionnels de tout niveau, de l’Agent hospitalier au Président de CME et les dysfonctionnements sociaux à l’intérieur du Centre Hospitalier tout entier.
Ce billet manifeste ma solidarité avec Nicolas Bonnemaison.
Il convient de noter que ce mouvement de solidarité s’est poursuivit. Un site permet de suivre le point de vue de la défense et de signer une pétition citoyenne à laquelle je me suis associé :
http://soutien.nbonnemaison.free.fr/spip.php?article7
Cette affaire resurgit à la suite de sa radiation par le Conseil Régional de l’Ordre des Médecins d’Aquitaine le 24 janvier dernier. Le Conseil Départemental de l’Ordre des Pyrénées Atlantiques fait appel à la décision du Conseil Régional d’Aquitaine qui radiait le Dr Bonnemaison.
Une lettre ouverte de 240 médecins et professionnels de santé a été envoyée le 6 février 2013 au Gouvernement, en réaction à la radiation par le Conseil de l’Ordre. Des témoignages de solidarité sont préparés dans la perspective d’un procès aux Assises pour empoisonnement de 8 personnes vulnérables qui a été révélé le 12 août par la Presse.
Philippe Bataille, un des signataires de la lettre, a donné son analyse de la situation au Nouvel Obs :
Il s’inquiète à juste titre du changement de contexte entre 2011 et 2013. Des positions très idéologiques « d’experts », en particulier parmi les rédacteurs des Rapports Sicard et Comité National Consultatif d’Éthique se prononce pour le statu quo.
Un écart grandissant existe entre la réalité des conditions de fin de vie en institution (Hôpital ou EHPAD) et les écrits lénifiants et désincarnés des rapports officiels. Il est urgent de passer du laisser mourir à l’aide à mourir de personnes qui sont dans des situations insoutenables, très souvent créées par des soins finalisés par le seul objectif de retarder le plus possible la mort. C’est à dire reconnaître que cette aide à mourir est un ultime soin, comme le déclare le docteur Bernard Senet.
Conclusion
La machine administrative et judiciaire a broyé Nicolas Bonnemaison. Les faits de 2011 n’ont donné lieu qu’au rapport IGAS qui heureusement se garde bien de juger. Le jugement du CROM d’Aquitaine de janvier 2013 à partir d’information partielle, puisque le Conseil de l’Ordre n’avait pas accès au dossier d’instruction, porte sur des arguments moraux et idéologiques, un vice de forme qui devrait faire casser le jugement.
Deux ans d’attente constituent en soi une terrible peine sociale infligée à Nicolas Bonnemaison, sans recours possible en dehors de son appel du jugement de Bordeaux. Celui-ci apparaît comme la victime d’une mise à l’écart arbitraire, devant des faits certes regrettables, mais pour lesquels une seule plainte a été déposée, pour avoir accès au dossier selon le dire des plaignants. Le procès aura lieu avant la fin...2014 !