Daniel Carré (avatar)

Daniel Carré

Dirigeant associatif

Abonné·e de Mediapart

107 Billets

2 Éditions

Billet de blog 16 mai 2008

Daniel Carré (avatar)

Daniel Carré

Dirigeant associatif

Abonné·e de Mediapart

Les Services à la Personne peinent à trouver leur public

Daniel Carré (avatar)

Daniel Carré

Dirigeant associatif

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Tel est le titre du « Parisien » du jeudi 15 mai 2008. J’ai attentivement suivi depuis deux ans le fonctionnement des Services à la Personne. J’ai par exemple constaté que la MACIF, dont je suis sociétaire, devenait d’une très grande discrétion sur cette activité. Une évolution prévisible ?
Que représentent les services à la Personne (SAP)
Les Services à la Personne sont considérés comme un important gisement d’emploi pour les années à venir. Ils constituent une forme possible de la redistribution de la richesse créée, soit dans le cadre d’emplois résultants d’initiatives personnelles (je consacre une part de mon budget à des services que je rémunère) ou des politiques d’assistance vers les personnes dépendantes, à cause du handicap ou de l’âge.
Ces emplois correspondent donc pour une part à des activités « domestiques », fonctions précises de la société bourgeoise traditionnelle (femme de chambre, cuisinière, précepteur, chauffeur…). Les structures domestiques sont très importantes dans les sociétés en développement : le couple d’ingénieurs de Bengalore héberge plusieurs personnes, comme le cadre financier de Sao Paolo qui a une embregada pour le ménage et une nounou pour les enfants. Ce sont des emplois de subsistance très faiblement rémunérés.
Pour une autre part, ces emplois sont générés par des modifications très importantes des structures démographiques de notre société, entraînées par l’allongement explosif de la durée de vie de l’ensemble de la population (espérance de vie augmentant depuis 20 ans d’un trimestre par an) et handicapés. Ces deux phénomènes ne peuvent plus être pris en charge uniquement par les « aidants naturels », même si la solidarité intergénérationnelle doit être de plus en plus importante pour faire face à la croissance des besoins des populations fragiles.
En plus de ces deux activités, il y a la garde de la petite enfance (les nourrices et les gardes à domicile) qui est une fonction particulière, dont le développement est fonction de l’extension de l’emploi féminin.
Situation actuelle de l’emploi SAP
C’est un ensemble d’activités qui sont mal mesurées. Il y a deux marchés, le « domestique », marché de confort, et le « médicosocial » concernant les publics fragiles. Ces deux marchés interfèrent et utilisent largement des compétences communes, la différence entre la femme de ménage et « assistante de vie » étant très mince. Ils concernent une population très majoritairement féminine, de faible qualification avec un taux d’étranger élevé (dont des "sans-papiers").
La législation prend acte de ce flou en créant un niveau d’agrément qualité (travail chez les personnes de plus de 60 ans et pour enfants de moins de 3 ans).
Le seuil discriminant entre marché domestique et marché médico-social est celui du diplôme d’aide-soignante, premier niveau de qualification du système sanitaire et médicosocial. Selon la législation sanitaire et médicosocial, l’aide-soignante est encadrée par des Infirmières DE, dans le cadre d’un Service de Soins Infirmier à Domicile, structure agréée par le CROSS, pour que les soins soient remboursés par la SS. Elles interviennent en coordination avec du personnel de ménage et des "assistantes de vie", salariées le plus souvent d'une autre structure.
Les services finançables par l’APA (Allocation Personnalisée d'Autonomie) sont inclus dans les SAP. Aujourd’hui, ce marché est très majoritairement capté par le secteur associatif, qui se positionne principalement en « mandataire », intermédiaire entre le bénéficiaire qui paie (et demeure employeur) et le salarié (rémunération de mandat de l’ordre de 10%, comprenant l’assistance au recrutement et la gestion administrative).
La législation définit 20 métiers, classés en trois catégories :
1. Services à la Famille (garde enfants à domicile, soutien scolaire, assistance informatique, assistance administrative)
2. Vie quotidienne (entretien maison, travaux ménagers, petit jardinage et bricolage, gardiennage temporaire, préparation repas, livraison linge repassé, courses et repas)
3. Services personnes fragiles (aide et assistance hors soins aux handicapés et personnes âgées).
D’après l’IDAP, ces activités correspondent actuellement à 1,8 millions de particuliers déclarés, acheteurs de prestation (450 000) ou employeurs directs (1 350 000) dont la moitié passent par des structures mandataires. Le nombre total de particuliers utilisant des services est estimé à 4,5 millions, ce qui signifie que l’emploi au noir concerne au moins 60% des cas !
Il est très difficile d’estimer le nombre d’ETP correspondants. L’AVISE estime le marché en 2003 à environ 800 000 ETP pour le travail déclaré des services à la personne à domicile (2 000 000 ETP pour le total !).
Compte tenu de l’importance du temps partiel dans ces activités, le nombre total de personnes employées par le secteur est au moins de trois millions. C’est le plus gros bataillon des travailleurs pauvres, dont le revenu net mensuel moyen est de l’ordre de 700 à 800€. Les femmes, dont de nombreuses étrangères, constituent la plus grande majorité des emplois SAP qui sont dans les cas les plus favorables des compléments de revenu familiaux.
Le législateur se réjouit du nombre d’entreprises créées.
Le secteur associatif, dans la mouvance des services sociaux (UNA, ADMR), représente 6800 structures. Il a peu évolué. Il a perdu des clients avec la généralisation du CES devenu CESU bancaire, donc il n’a pas embauché. Il se pose des questions sur l’évolution des structures de prix de revient (coût des enseignes -centres d’appels avec des fonctions gestionnaires ou commerciales variables selon les structures-, coûts d’encaissement des titres prépayés), pour des activités qu’ils ont beaucoup de mal à équilibrer.
Le secteur commercial connaît un développement important. 2200 entreprises environ (mars 2006) dont le nombre et le volume d’activité croissent fortement depuis 1999. Toutefois l’explosion récente du nombre de structures doit être corrigée de l’effet réglementaire : pour bénéficier des avantages fiscaux, il faut que la structure se consacre exclusivement au SAP (plus de client commerciaux), ce qui entraîne la création de structures ad hoc par les entreprises commerciales de services (pe FNAC, Carrefour,…).
Ce dynamisme s’explique aussi par une meilleure politique commerciale et une organisation plus efficace que celle du secteur associatif, routinier et mal managé. Les entreprises vont aller à la recherche des clients les plus solvables (en particulier les retraités aisés). Comme toute entreprise de service, elles doivent gérer la proximité du client, ce qui requiert des savoir-faire pointus où l’effet d’échelle a peu d’incidence. Gestion du taux de charge et qualité de service seront des variables difficiles à bien contrôler.
L’organisation qu’entraîne l’encadrement réglementaire est contraignante. Elle élimine les travailleurs indépendants dont les enseignes ne peuvent gérer la situation. Une masse critique minimale de CA sera indispensable. Si l’objectif est de payer au SMIC à plein temps les salariés, le CA minimal par salarié sera de l’ordre de 30 k€/an, le CA minimal de l’entreprise de 500 k€ par an. L’entreprise aura beaucoup de mal à s’équilibrer avec des tarifs de l’ordre de 18€ qui sont affichés. Le temps partiel imposé par l’employeur va nécessairement perdurer. Pour bien travailler avec des personnes formées, expérimentées et encadrées, il faudrait pouvoir faire payer le service au moins 30€ de l’heure, plus frais de déplacement. Qui peut alors payer ?
Il reste les services à la personne avec une meilleure valeur ajoutée : soutien scolaire et assistance à la mise en œuvre de l’informatique personnelle sont le plus souvent évoqués. Le soutien scolaire bénéficie déjà très largement des mesures annoncées et exploite l’angoisse des parents concernant l’avenir de leurs enfants. Il repose parfois sur l’exploitation d’intellos précaires faciles à recruter. Acadomia rémunère à des taux très faible (Smic horaire) les heures facturées 35€/h.
Les remarques pessimistes doivent être inscrites dans une vue plus prospectives.
Deux facteurs indépendants vont entraîner une augmentation du SAP :
1. L’activité des couples de cadres disposants de bonnes ressources, dont la mobilité et la flexibilité des horaires, justifiant une aide domestique, solvable compte tenu des revenus élevés.
2. L’allongement de la vie et l’assistance au maintien à domicile de personnes dont la dépendance croit avec le vieillissement.
Les dispositifs actuels ne répondent correctement qu’au premier groupe. Il est en effet démagogique de prétendre développer le service à la personne dans les milieux modestes, qui pourraient ainsi bénéficier d’un crédit d’impôt !
Le second groupe, pose à la fois des difficultés de coordination des multiples acteurs et des problèmes de solvabilité des personnes âgées et de leurs familles. En particulier, le maintien à domicile de personnes dépendantes implique de nombreuses heures de travail et/ou de présence, que seuls les retraités aisés peuvent financer (coûts se chiffrant en milliers d'eusos par mois).
Les lourdeurs administratives de gestion.
La réglementation qui entre en vigueur entraîne des lourdeurs de gestion qui constituent à la fois des freins et des surcoûts importants.
1. Les Services à la personnes ne bénéficient de régimes fiscaux spécifiques (TVA 5,5%, déductibilité IRPP) que s’ils sont payés à des organisations qui ne font exclusivement que du SAP. (ou des emplois directs par des particuliers dans le cadre du CESU bancaire).
2. Les titres prépayés ont un coût d’encaissement, d’autant plus fort que le volume est faible.
3. Les entreprises doivent respecter par type d’activité des plafonds annuels de service (nombre d’heures).
4. Un relevé annuel des montants déductibles à l’IRPP doit être adressé au client (ainsi qu’à l’URSSAF).
5. Les dossiers de référencement en Enseigne implique une capacité de couverture que seuls certains réseaux peuvent fournir.
Prévisions d’évolution justifiant les dispositifs Borloo.
Les mesures fiscales prévues par les mesures Borloo devrait permettre la création de 500 000 emplois à relativement court terme. Ce chiffre est l’objectif qui avait été affiché fin 2006 par le gouvernement.
Ce chiffre a été contesté par de nombreux experts. L’étude du Centre d’analyse stratégique (publiée en janvier 2007) sur l’évolution de l’emploi d’ici 2015 prévoit 450 000 emplois peu qualifiés du tertiaire, dont environ 300 000 dans le SAP tel que défini par la loi (le Monde 1/1/2007).
Une grande question : quelle part représente dans ces évolutions le transfert du travail au noir au travail déclaré ? Le précédent du Chèque Emploi Service (devenu CESU bancaire) démontre l’importance du transfert que cette création a entraîné. Le crédit d’impôt compense la différence de coût total entre noir et déclaré. C’est une évolution positive à mettre au crédit du législateur. La déclaration comporte des avantages certains pour l’employeur. Toutefois, pour de nombreux travailleurs pauvres, le piège est là s’ils bénéficient d’une allocation d’assistance (RMI, API), car les avantages accessoires tombent et à court terme, il n’y a aucun avantage pour le travailleur. La mise en place du RSA de Martin Hirsch devrait contribuer à résoudre cette difficulté. Toutefois, ce dispositif ne sera efficace que si les SAP génèrent des emplois à plein temps, or, ce n’est pas évident que ce soit structurellement et économiquement possible.
Plusieurs incertitudes sur l’évolution de ce marché :
1. Est-ce que de nouveaux usages des SAP vont être effectivement développés par le CESU prépayé et ses avantages fiscaux, qui peuvent constituer des effets d’aubaine, pour les employeurs actuels.
2. Les employeurs vont-ils largement utiliser ce mode de rémunération particulièrement avantageux pour les cadres ? Les salariés vont-ils être tentés par un mode de rémunération dont l’usage est limité ?
3. L’emploi créé est majoritairement de l’emploi peu qualifié, pour lequel il est difficile d’organiser des temps pleins.
4. La ségrégation géographique est une difficulté importante (comment travailler à Neuilly chez 4 ou 5 donneurs d’ordre différents pour celle qui habite à Montfermeil ?).
5. Les tarifs, pilotés par le versant social de l’appareil d’État, sont très bas par rapport aux tarifs effectivement payés à Paris et dans les grandes agglomérations (écart d’au moins 35%). Trouvera-t-on des prestataires de qualité à ces prix ?
6. Les emplois les plus qualifiés (assistance informatique, soutien scolaire, garde d’enfant) correspondent à des petits boulots « étudiants » qui vont ainsi sortir du noir, mais ne constituent le plus souvent que des activités temporaires ou d'appoint.
Bilan après 18 mois
J’emprunte au "Parisien" daté du 15 mai 2008 les résultats auxquels nous sommes actuellement arrivés.
Globalement, le nombre d’emplois créés est très largement inférieur aux annonces gouvernementales. 46 000 emplois (ETP) auraient été créés en 2007 selon l’Agence pour les Services à la Personne. Ce chiffre est contesté par l’OFCE, qui conclut qu’un an après la promulgation de la loi, 10% seulement de l’objectif est de 500 000 emplois en trois ans atteint.
Les raisons de l’échec mises en évidence dans l'enquête du "Parisien" sont les suivantes :
• Le CESU pré-financé par les employeurs patine sérieusement.
• Les Français sont encore réticents. Ils continuent de privilégier l’emploi direct, parfois avec le CESU bancaire, cet efficace dispositif que gère l’URSAFF, mais, ils paient leur femme de ménage ou leur jardinier le plus souvent, au noir.
• Les grandes enseignes sont un fiasco.
• Le personnel qualifié fait défaut et le service public de l’emploi est incapable d’assister efficacement des structures de service bloquées par leur capacité de production.
• Les coûts de gestion des structures employeurs auxquels s’ajoutent celui des enseignes et du CESU prépayé sont importants. La compétition est inégale avec le travail au noir, seul mode d’emploi des travailleurs sans-papiers et dispositif hélas très avantageux pour le travail à temps partiel des bénéficiaire d’une allocation ou du RMI.
Les conclusions des journalistes du « Parisien » confortent l’analyse que je viens de livrer.
Une belle démonstration de la difficulté de pilotage par le haut de systèmes où la proximité et la capacité d’adaptation conditionnent le succès d’une activité, pourtant promise à un avenir certain.
NB : Ce texte ne décrit pas les dispositifs mis en place. Le site de l’Agence Nationale des Services à la Personne explique tous les dispositifs :
http://www.servicesalapersonne.gouv.fr/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.