Les recours de Rachel Lambert et du CHU de Reims contre le jugement du Tribunal Administratif de Chalons du 16 janvier 2014 ont conduit à une décision du Conseil d’État communiquée le 14 février dernier, qui comporte deux parties :
· Le Conseil ne statuera pas sur le fond avant consultation de trois experts et avis de quatre institutions, consultation et avis qui devront être rendu fin avril.
· Le Conseil a cependant statué sur plusieurs questions nécessaires à la résolution du litige.
Les réactions et les prises de position du Conseil d’État ont une très grande importance au moment où la concertation sur une future Loi sur la fin de vie va s’ouvrir.
Une nouvelle expertise, pourquoi, comment
Les experts ont été désignés par l’Académie de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil national de l’ordre des médecins. Dans sa logique juridique et administrative, le Conseil ne pouvait que faire appel à de nouveaux experts. Il leur est demandé une expertise clinique sur le caractère irréversible des lésions de Vincent Lambert. C’est donc une expertise neurologique : confortera-t-elle celle des experts de Liège, qui auraient suggéré à la possibilité d’une euthanasie, alors rejetée par Rachel ? Ce choix pose également la question de la pertinence de ce type d’exploration. En effet, des interprétations subjectives[1] sur la nature des activités cérébrales, quand elles existent encore, risquent de fragiliser l’expertise. Des contestations subsistent même en cas de mort cérébrale : la technique est nécessairement confrontée aux interrogations éthiques.
Celles-ci seront importantes dans les observations demandées aux institutions qui ont désigné les experts plus, à titre personnel, Jean Leonetti. La Communauté médicale s’est très majoritairement insurgée sur le rejet par le Tribunal administratif du caractère d’obstination déraisonnable de l’alimentation par sonde de Vincent Lambert retenu par six des experts médicaux consultés par le Docteur Éric Kariger, seul l’expert désigné par la mère de Vincent réfutant cette qualification.
Le très violent conflit familial irrigue le cœur même de la décision. C’est même le principal motif de la situation et il confère un coté tragique au déroulement des évènements. Pour sa mère, garder en vie Vincent, est une décision qui condamne Rachel, l’épouse qui lui a ravi son fils, à veiller sur un être condamné à vivre sans que son consentement à cette situation puisse être exprimé. Des motifs religieux conduisent à une instrumentalisation du corps de Vincent, dont la mère prie pour qu’un miracle lui rende la vie. Le Conseil consultatif national d’éthique devrait se saisir de cette dimension tragique des évènements.
Les points jugés par décision du Conseil d’État
Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État a déclaré : « Le juge n’est pas le médecin et c’est pour cela qu’il a recours à des expertises. Il statue exclusivement sur des décisions de droit. » Il précise aussi dans sa déclaration du 14 février 2014 :
« Par sa décision, le Conseil d’Etat se prononce aussi pour la première fois sur d’importantes questions de droit. Il juge que la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, s’applique à des patients qui, comme M. Vincent Lambert, ne sont pas en fin de vie. Il juge aussi que l’alimentation et l’hydratation artificielles constituent, au sens de cette loi, un traitement qui peut être interrompu en cas d’obstination déraisonnable. Il reconnaît enfin, à côté du droit au respect de la vie et du droit du patient à consentir à un traitement médical, une autre liberté fondamentale : le droit de ne pas subir un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable. »
Ces décisions sont d’une grande importance, car elles ont dès maintenant valeur de jurisprudence concernant la loi Leonetti et l’alimentation artificielle. Cette décision est applicable au cas de tout patient en état de perte de compétence irréversible, même s’il n’est pas en fin de vie. Si le patient refuse dans ses directives anticipées l’alimentation et l’hydratation artificielle au cas où il se trouve dans cette situation, continuer l’alimentation artificielle constitue une obstination déraisonnable et l’issue alors est une sédation terminale.
Cette synthèse résume les informations données sur le serveur du Conseil d’État, où le jugement complet est accessible :
http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/m-vincent-lambert-kgg.html
Il convient de placer le cas Vincent Lambert dans un contexte qui a entrainé deux référés en Tribunal Administratif. Dans le cas où le consensus des proches aurait été d’arrêter l’alimentation artificielle, la décision médicale aurait été prise sereinement. L’existence de directives anticipées l’aurait grandement facilitée.
Quelle que soit la loi en vigueur, le recours devant la justice en cas de conflit important est inéluctable et même indispensable. Notamment, s’il y a présomption de complicité entre les proches et le médecin pour accélérer la mort avec des motifs inacceptables, c’est la justice pénale qui doit être saisie.
En cas de conflit entre les proches, pour toute autre raison objective ou subjective, le droit doit contribuer à protéger la personne vulnérable. Est-il cependant judicieux que la justice saisie soit la justice administrative ?
Le droit précise la procédure et la légitimité des acteurs et des écrits. Si la volonté du patient en situation d’impasse thérapeutique s’exprime par ses propres paroles, ou par des écrits, ou par la voix d’un mandataire formellement désigné, elle doit absolument être respectée. Sinon, la complexité des situations ne permet généralement pas de trancher uniquement sur des considérations juridiques : l’équité de la décision implique que les interrogations éthiques soient prises en compte, dans l’intérêt du malade en fin de vie ou faisant l’objet d’une obstination déraisonnable.
Espérons que cette dernière interrogation soit prise en compte par le Conseil d’État dans sa décision finale.
[1] http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp1400930?query=TO