Le dialogue entre les citoyens et les médecins sur l’aide active à mourir s’impose d’autant plus en cette période de campagne électorale. Ce thème de société est évoqué par tous les candidats à la Présidence de la République, qui s’expriment samedi 24 mars prochain devant les adhérents de l’ADMD au Cirque d’Hiver.
Les différences de point de vue prennent des aspects paradoxaux : quand ils sont questionnés par les instituts de sondage, une très large majorité des Français sont à la fois pour les soins palliatifs et pour l’euthanasie. Cette apparente confusion n’est que l’expression de la sagesse populaire.
- S’ils sont pour l’euthanasie à la demande du malade en fin de vie, les citoyens expriment à la fois leur sens de la liberté et leur compassion pour ceux qui n’ont plus envie de vivre, sans espoir de guérison, dans la douleur et la souffrance.
- S’ils sont pour les soins palliatifs, c’est qu’ils souhaitent que la fin de vie de déroule avec une prise en charge prioritaire de la douleur dans un environnement compassionnel.
Ces sondages expriment un regard extérieur des personnes sur la fin de vie en général. Or, il est maintenant possible d’exprimer ses vœux concernant sa propre fin de vie. Depuis dix ans, la loi permet de désigner une Personne de Confiance et depuis sept ans de rédiger des Directives Anticipées. Depuis la loi du 4 mars 2002, le médecin doit prendre en compte de manière impérative le consentement éclairé du patient, pour tout traitement ou protocole thérapeutique. La loi du 22 avril 2005 modère ce point de vue en donnant le pouvoir de décision au médecin pour les personnes en fin de vie n’ayant plus leur compétence. À ces dispositions du code de la Santé, il convient d’ajouter le Mandat de Protection Future défini par la loi de protection juridique des majeurs du 7 mars 2007, qui peut formaliser un mandat impératif pour les conditions de fin de vie.
La prise en charge de la fin de vie par les citoyens
La préparation de sa mort ne concerne à l’heure actuelle qu’une minorité très faible de personne. La récente étude du Centre d’Éthique Clinique de Cochin sur les Directives Anticipéesporte certes sur un effectif très limité de 186 personnes. 90% des personnes interrogées ignorent ce dispositif (si l’on exclue les membres de l’ADMD) et 83% ne sont pas intéressées à en rédiger. Ces résultats recoupent le très faible nombre de Directives Anticipées déposées par les patients hospitalisés. De même, le Mandat de Protection Future est un dispositif encore peu utilisé par les personnes vieillissantes, mais il se développe fortement.
En face de cette situation, plaçons nous dans le contexte d’un échange privé qui n’est pas pollué par l’éclairage médiatique. La réaction des médecins peut se classer en deux catégories.
- De nombreux praticiens dialoguent avec leurs patients si ceux-ci leur présentent leurs directives anticipées. La problématique de l’aide active à mourir est parfois évoquée dans la perspective d’une évolution de la loi. Quand cette discussion s’ouvre, elle se déroule sans passion, ni préjugé, ni, le plus souvent, hostilité à une évolution encadrée de l’aide active à mourir.
- L’affrontement avec les médecins concerne une minorité de soignant, le plus souvent de soins palliatifs ou de réanimation. Ces praticiens sont effectivement confrontés en permanence avec la mort, le plus souvent avec des patients très affaiblis s’ils ont encore leur compétence. Comment établir le dialogue avec ces médecins ?
Les réticences des médecins
Leur réaction la plus courante est d’affirmer qu’ils se trouvent rarement confronter à des demandes d’euthanasie. Ce n’est pas du déni car, si l’on prend en considération les résultats de l’étude de Cochin, le pourcentage de ceux qui ont écrit des directives anticipées est très faible, donc les demandes exprimées sont encore plus faibles d’autant que leurs patients sont en situation de faiblesse ou inconscient.
Cet état de fait conforte les médecins dans leur conviction d’être les seuls à détenir une capacité de décision. Quand l’échange ne se situe pas dans une relation soignant/patient, les considérations idéologiques prennent une ampleur importante dans un dialogue qui tourne trop vite à un affrontement de points de vue subjectifs. L’analyse des situations complexes de fin de vie ne peut se conduire ainsi.
Un autre constat est l’interprétation de la parole du malade par des soignants. Oui, il avait signé une déclaration, mais quand il n’était pas souffrant. Maintenant il pense autrement : voyez comme il mange la cuillère de yaourt qu’on lui présente ! Ce peut être à la fois admissible et inadmissible. Admissible, si aucune demande d’arrêt de soin n’est exprimée par un malade lucide, inadmissible si le malade n’a plus la compétence d’exprimer une volonté et que l’on en déduise une dénonciation de la directive anticipée, document devenu caduc et sans intérêt.
Enfin, il est très difficile d’admettre que les protocoles palliatifs ne soient pas d’une efficacité absolue. Les taux d’échecs de soins palliatifs concerneraient des pourcentages de plus de 5% qui n’incluent probablement pas tous les cas de désespoirs silencieux devant une vie misérable prolongée sans consentement sincère. En particulier, les états provoqués par les maladies dégénératives et les modes de survie artificielle, rendus possible par des progrès technologiques.
Des médecins opposés à l’aide active à mourir qualifient les positions de l’ADMD d’agressives contre les médecins qui s’estiment accusés injustement pour leur démarche d’accompagnent de la fin de vie. Les médecins se sentent agresser par l’attitude de certaines familles. Ils revendiquent leur capacité à décider devant un risque d’obstination déraisonnable. Leur position est aussi un rempart contre des dérives que l’acceptation de l’euthanasie entraînerait. Les professionnels de santé mettent en avant le serment d’Hippocrate pour refuser d’exercer l’euthanasie.
Le désarroi des patients
Inversement, les partisans de l’aide active à mourir se plaignent du manque d’écoute, quand ce n’est pas le refus d’appliquer la loi de certaines équipes soignantes. La loi Leonetti est une régression par rapport à la loi Kouchner et sept ans après son adoption elle n’est paradoxalement pas encore connue dans le système de Santé. L’ADMD a toujours soutenu les soins palliatifs : des extrémistes sont cependant d’une très grande violence contre ses positions. Il en résulte en conséquence des réactions brutales et des polémiques très vives qu’explique l’absence d’écoute.
La formation actuelle des médecins rend le dialogue très difficile. Le médecin spécialiste est un bio-technologue, très pointu dans l’interprétation des données d’imagerie ou d’analyse, féru d’Evidence Based Medecine. Mais sa culture scientifique s’apparente plus à celle de l’ingénieur qu’à celle de l’humaniste et sa rationalité ne facilite pas l’ouverture vers la personne tant il est investi dans la maladie.
La mort est considérée comme un échec des soins, alors qu’elle n’est que la phase ultime de la vie de tous les êtres vivants. De plus la mort survient en institution dans 70% des cas, trop souvent (65% des cas) dans de mauvaises conditions. Il faut sortir de l’impasse qui entraine des incompréhensions mutuelles stériles.
Décision Médicale ou Choix de Société
Les décisions de fin de vie se situent au delà du plan sanitaire. Un choix doit être offert par la Société. Le choix entre soins palliatifs et euthanasie médicalement assistée sont donc fonction avant tout des valeurs philosophiques de la personne et pas de celles du médecin. Ce choix se situe dans un monde qui connaît des transformations entrainant de nouveaux paradigmes. Notre Société n’est plus celle du IVéme siècle avant JC où a été formé le serment d’Hippocrate : le médecin n’avait alors que le glaive ou la cigüe pour provoquer la mort de son patient qui se tord de douleur.
L’amélioration des facteurs déterminants de santé et la maîtrise médicale des biotechnologies sont simultanément la cause d’un allongement de la durée de vie et de l’explosion des maladies chroniques. La conséquence est qu’il y a de moins en moins de morts naturelles. Tout citoyen doit pouvoir exprimer son désir de ne plus vivre lorsqu’il est dans un état de souffrance dont il ne estime ne pas pouvoir sortir. La pratique des soins palliatifs conduit à pratiquer des sédations terminales, une euthanasie lente qui peut durer de 24 heures à trois semaines et qui contient l'admission explicite que les soins palliatifs ne peuvent pas soulager tous les mourants.
Arrêt de traitement ou aide active : au citoyen de décider et d’en anticiper clairement le choix. Demeure alors l’argument de la pente glissante qui incite à mourir plutôt qu’à survivre les personnes influençables qui se sentiraient « inutiles ». La preuve n’est plus à faire que l’écrasante majorité des personnes demande à vivre, souvent même à réclamer un acharnement thérapeutique aux soignants. C’est la meilleure garantie contre une pente glissante qui conduirait à une exécution des plus vulnérables, exécution qui ne serait possible qu’avec la complicité de médecins déviants.
Vers un dialogue serein
Si un libre choix du citoyen d’être aidé à mourir devient possible, comment construire les conditions d’un dialogue serein ?
Ce dialogue concerne d’abord la relation entre le soignant et le soigné. Idéalement, c’est la construction d’un contrat sur des bases explicites, avant tout pronostic vital ou le plus en amont possible si une maladie potentiellement mortelle est diagnostiquée. Ce contrat intègre les valeurs philosophiques et spirituelles de chaque partie. L’accompagnement par le soignant peut alors, si nécessaire, évoluer et conduire à des soins et une issue correspondants à l’objectif du patient. L’engagement du médecin s’ajuste de manière respectueuse à cet objectif, qui peut aussi bien être une volonté de prolonger la vie à tout prix que de mettre de manière compassionnelle un terme à une vie de souffrance à la demande du patient. Un tel contrat éclaire le soignant et le dégage de responsabilités importantes.
Le médecin doit bénéficier d’un droit de retrait si l’objectif du patient mettait en cause ses propres convictions philosophiques. L’aide à mourir ne peut ni ne doit devenir un produit de consommation ou un service banalisé.
La réflexion collective comporte ce que peut et doit faire le médecin devant un malade qui n’exprime rien ou qui lui a tout délégué sur les décisions à prendre en fin de vie. Ce champ d’investigation est d’autant plus important que les conditions de fin de vie au grand âge ou dans les évolutions ultimes de certaines maladies dégénératives impliquent souvent des choix délicats et irréversibles.
Sur le plan collectif, cela suppose une évolution des cultures. La Société s’oriente vers une médecine « préventive, prédictive, personnalisée et participative ». La préparation de la fin de vie et de la mort s’intègre totalement dans ce nouveau paradigme, qui prend en compte l’extraordinaire complexité de nos Parcours de Vie et de Santé. Il conviendra d’adapter dans cette perspective nos institutions de Santé, ce qui est un formidable enjeu de Société.
NB : ce texte emprunte des idées à un texte signé par un certain nombre de personnalité importante du Québec que j’ai posté sur mon blog de Mediapart.
http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-carre/220312/le-debat-sur-la-fin-de-vie-au-quebec