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Billet de blog 23 novembre 2010

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Euthanasie : ouvrez le débat!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Deux ouvrages récents édités chez Odile Jacob relancent le débat sur l’euthanasie : Faut il légaliser l’euthanasie, sous la signature de Luc Ferry et Axel Kahn, et Le Cancer : le malade est une personne d’Antoine Spire et Mano Siri.

Avec Faut-il légaliser l’euthanasie,Luc Ferry et Axel Kahn anticipent le futur débat sur la fin de vie prévu prochainement au Sénat, en affichant leur opposition à toute évolution de la loi du 22 avril 2005.

Luc Ferry développe un argumentaire moral. Il oppose la position des religions du Livre et des utilitaristes anglais, sans référence à d’autres pensées philosophiques importantes, notamment les épicuriens et les stoïciens ou les démarches éthiques inspirées par Spinoza.

Pour Axel Kahn, la tolérance et l’indulgence de la Justice justifient à ses yeux le statu quo. Après un geste compassionnel, quelle est terrible l’épreuve de l’inculpation puis du procès pénal, même si les procédures n’entraînent qu’un non lieu ou qu’une condamnation avec sursis ou un acquittement. Axel Kahn a lu Ruwen Ogien dont il reconnaît la force de l’analyse, cependant il en rejette les conclusions, sans argument convainquant. Il cultive son soutien à la loi Leonetti, sans admettre que la frontière entre l’aider à mourir et le laisser mourir est dans la réalité totalement floue et indiscernable.

Axel Kahn oppose une pratique palliative qui est imprégnée d’une culture d’accompagnement à une pratique euthanasique qui ne serait qu’abattage. Cette vision est contraire aux pratiques cliniques de nos voisins belges et néerlandais. L’anthropologue américaine Frances Norwood dans son ouvrage The Maintenance of Life, Carolina Academic Press, 2009, décrit la démarche des médecins de famille néerlandais qui accompagnent la fin de vie de leurs patients. Dans ses récits, l’euthanasie est toujours le résultat d’un long cheminement.

Axel Kahn et Luc Ferry stigmatisent les pratiques de Dignitas, un procès basé que sur la terrible image du tourisme de la mort. Ce jugement est injuste quand on connait bien les cas concrets, même les plus critiques. Allez mourir à l’étranger, quelle épreuve qui résulte de notre législation restrictive !

Amélie de Bourbon Parme décline enfin de manière détaillée les arguments contre la légalisation de l’euthanasie et pour cette légalisation. Hélas, les deux premiers chapitres réduisent ce livre à un texte de circonstance.

Cancer : le malade est une personne, d’Antoine Spire et Mano Siri, deux philosophes, est un livre consacré à la relation entre la maladie, le médecin et le malade, un vaste sujet dont nous ne parlerons que du chapitre 10 sur l’Approche de la mort, soins palliatifs et euthanasie. Ces 25 pages mettent en perspective la fin de vie dans le parcours du malade atteint du cancer, à la suite de 9 chapitres sur la prévention, les thérapies et l’accompagnement social et psychologique.

Les auteurs décrivent l’émergence parallèle en France d’un mouvement en faveur de la légalisation de l’aide à l’euthanasie à la stricte demande de la personne malade, évolution défendue par l’ADMD, fondée il y a 30 ans, et de la création du premier service de soins palliatifs, en 1987, à l'hôpital international de la Cité universitaire à Paris, suivi de la création de la SFAP, en 1989.

La création des unités de soins palliatifs est très tardive en France par rapport à leur émergence au Royaume Uni, où Cecily Saunders ouvre son premier établissement en 1959, avec une énergie fondée sur une foi catholique immergée dans des racines irlandaises et polonaises. L’idéologie catholique des soins palliatifs explique l’affrontement avec les partisans de l’euthanasie, en majorité des militants laïcs, dont le Président fondateur de l’ADMD, le Sénateur Henri Caillavet.

Les auteurs montrent l’influence considérable de penseurs comme Paul Ricœur et Emmanuel Levinas sur les tenants des soins palliatifs. Ils insistent sur les valeurs religieuses implicites qui conditionnent les positions des membres du Comité National d’Éthique, même s’ils s’en défendent.

J’apprécie la mise en cause de l’utilisation trop fermée de Marie de Hennezel du « clivage de moi » des psychanalystes. Son interprétation du « je veux mourir » et du « je veux vivre », accrédite « l’emprise ambiguë que l’équipe soignante peut exercer sur la liberté du malade », et se traduit par l’octroi d’un pouvoir au soignant qui confisque la parole de son patient, s’il n’entend que le « je veux vivre » et dénie le « je veux mourir ».

Les auteurs citent Robert Misrahi, dont la position basée sur une démarche éthique inspirée de la pensée Spinoza se résume ainsi : « Il appartient à la puissance publique de légaliser la possibilité de l’euthanasie thérapeutique, c’est à dire la possibilité pour le médecin non pas de décider, mais d’accéder à la demande d’un malade qui deviendrait l’objet de souffrance extrême, qu’il est seul habilité à dire tolérables ou intolérables... »

Les auteurs rappellent les résultats de l’importante étude MAHO (Mort à l’hôpital, 2007) qui met en évidence que seulement 35% des décès qui ont lieu à l’hôpital, se déroulent dans des conditions jugées acceptables par les soignants. Ils identifient les conséquences de la fin de vie au grand âge avec les conséquences des poly-pathologies chroniques et des maladies neurodégénératives. Ils sous-estiment cependant l’importance de ces deux observations en matière de santé publique.

Le soutien populaire des positions de l’ADMD est un signe d’évolution vers un changement législatif. Les sondages sont depuis plusieurs années extrêmement favorables à ses demandes (86%). Un nombre très important de personnes fréquente les nombreuses réunions publiques de l’ADMD, qui sont animées avec passion par Jean-Luc Romero et d’autres militants. Les voix contradictoires s’y font de plus en plus rares. Les citoyens ne comprennent plus l’incapacité d’écoute des élus à leur demande. Les réactions des « élites », comme les auteurs du premier ouvrage analysé, ne touchent que des minorités. Les crispations défensives et les discours agressifs de certains soignants et bénévoles de soins palliatifs traduisent une nouvelle situation. Exception d’euthanasie, comme l’évoque les auteurs, ou plutôt, comme je le souhaite, nouveaux protocoles d’encadrement de la fin de vie vont inéluctablement s’inscrire dans la législation.

Tout le monde reconnaît qu’à un certain stade de la vie, le retour en bonne santé est impossible. Plus aucun traitement curatif ne peut redonner la joie de vivre. Seuls des soins symptomatiques accompagnent l’inéluctable fin de vie. Le choix doit alors être celui de la personne qui vit ses derniers instants : attendre une fin de vie « naturelle » ou décider du moment de sa mort. Ces deux voies ne sont nullement exclusives, comme certains l’affirment, car comme le dit Vladimir Jankélévitch : « Au nom de quoi, imposerait-on à une personne en fin de vie un chemin qu’elle ne veut pas suivre ».

La loi du 4 mars 2002 place le patient au centre du système de santé et affirme le principe de la démocratie sanitaire. Que cette loi soit appliquée et précisée, avec toutes ses conséquences sur les demandes des personnes en fin de vie. Je souscris totalement à la conclusion de l’excellent livre d’Antoine Spire et de Mano Siri : le malade est une personne. Que ses volontés soient entendues !

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