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Billet de blog 25 mai 2008

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Combattre la pauvreté, le RSA, et après ?

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Combattre la pauvreté, le RSA, et après ?
Lorsque j’ai connu en 2006 la proposition de Martin Hirsch de créer un Revenu Social d’Activité, j’ai trouvé l’idée géniale. La mise en œuvre du RSA suscite de nombreuses interrogations que je partage. Je crains que nous n’ayons pas encore trouver la solution pour éradiquer la pauvreté.
Depuis 2000, je coordonne une permanence hebdomadaire d’accueil de chômeurs, qui accueille des demandeurs d’emploi en situation difficile. J’en écoute une cinquantaine par an et j’analyse environ trois fois plus de dossiers, soit un millier de « cas » en huit ans. Je perçois ainsi directement les ravages du chômage de longue durée et les difficultés des systèmes d’assistance.
Les points-clés de mes observations
• Nombre de personnes vivent avec des revenus très faibles : ceux des transferts sociaux, ASS, RMI, AAH, API, qui sont les seuls revenus de 20% des personnes à Paris. Les conditions de logement creusent l’inégalité, les allocations familiales ne compensent pas le surcoût d’enfants à charge. Je comprends vite que le revenu minimum n’est pas le SMIC, mais, pour une personne seule, 450€ par mois !
• Un voile pudique est jeté sur le mode de survie des émigrés avant qu’ils aient leurs papiers. Pendant un, deux, trois ans et plus, des hommes et de femmes subsistent grâce au travail au « noir », ou au travail au « marron », faux papiers dont le patron n’est pas dupe. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes triment ainsi pour effectuer des tâches pénibles, voire rebutantes.
• Les emplois aidés ne sont pas considérés comme de « vrais » emplois. La rémunération qu’ils procurent ne fournit que peu de revenu supplémentaire par rapport au RMI. L’intérêt du travail est faible, et, sauf exception, l’encadrement de ces emplois est défaillant. Leur seul intérêt est la socialisation.
• L’assistance par le transfert social est bien la trappe à grande pauvreté que dénoncent les organisations. Des troubles de santé et des ruptures affectives s’y associent fréquemment pour rendre le retour à l’emploi difficile. Les boulots possibles sont de moins en moins qualifiés et sont à temps partiel. Le travail au noir se multiplie, il toucherait 2 millions de personnes dans les Services à la Personne, sans parler des ateliers clandestins, ni des bricoles démarchées aux portes de Conforama ou de Leroy-Merlin.
Le Revenu de Solidarité Active

En 2006, je découvre le concept de Revenu de Solidarité Active dans l’ouvrage de Martin Hirsch et Sylvaine Villeneuve, « La Pauvreté en Héritage, deux millions d’enfants pauvres en France ». Le concept me séduit immédiatement. Ségolène s’en empare pendant sa campagne. Nicolas achète l’idée et séduit Martin qui devient Haut Commissaire au RSA.
Martin Hirsch anime alors le « Grenelle » de l’insertion, qui mobilise l’énergie des associations militantes du social et de l’emploi. La lecture du Livre Vert provoque chez moi un premier recul : http://www.premier-ministre.gouv.fr/information/les_dossiers_actualites_19/haut_commissaire_solidarites_actives_920/experimentations_924/livre_vert_sur_rsa_1281/
En effet, le RSA devra supporter la gestion de mécaniques administratives complexes, qui génèrent inéluctablement des effets d’aubaine et des coûts bureaucratiques peu productifs. Les travailleurs sociaux vont, une fois de plus, gérer un dispositif, au lieu de travailler au bénéfice de personnes en difficulté. La modalité de mise en œuvre est lourde et les employeurs pourront se servir de la subvention pour faire pression sur des personnes en situation de faiblesse. Une naïveté serait la « confidentialité » du dispositif vis-à-vis des employeurs des bénéficiaires du RSA!
P + Q éme réforme en cours de mise en orbite, le RSA est maintenu. Mais, crise oblige, le Gouvernement limite les transferts indispensables au soutien de la réinsertion des exclus dans le travail. L’exercice consiste à mouliner de manière certes intelligente, mais à enveloppe quasi constante, les crédits d’assistance et d’aide à l’emploi, en particulier la PPE (Prime Pour l’Emploi). Patrick Savidan, le Président de l’Observatoire des Inégalités estime que les classes moyennes vont subventionner un nouveau dispositif de redistribution, au moment où elles sont fragilisées. (le Monde 20 mai 2008).
Le point le plus préoccupant demeure celui des emplois proposés aux exclus du travail. Peu formées, démolies par le chômage de longue durée et la précarité, les populations concernées ont hélas une employabilité réduite. La transition entre une situation d’assisté, ignorant les contraintes sociales et luttant pour sa survie physique, et une situation de travailleur, disponible et motivé 7 heures par jour, 5 jours par semaine, auxquels s’ajoutent souvent 2 heures de transport quotidien, constitue un bouleversement sidérant. L’hypothèse des promoteurs du RSA est que la reprise s’effectue sur un travail à temps partiel. Le RSA permet de rémunérer l’effort consenti pour travailler, alors que la situation présente incite le chômeur à rester dans son RMI. La faille béante du raisonnement est la suivante : les boulots accessibles à temps partiel, sont structurellement des temps partiels.
Pour la population concernée, si le travail doit faire vivre une personne, c’est au minimum 35 heures rémunérées au SMIC. Or ces postes, quand ils existent, ne sont pas pris aujourd’hui par la population cible du RSA !!!
Ma position actuelle, avant évaluation sérieuse des expérimentations et de la généralisation attendue, est que le RSA n’est intéressant que comme une rationalisation des financements disponibles.
Mon pronostic est que peu d’emplois seront créés de manière significative par ce dispositif. Je serais heureux de me tromper. L’expérience des Services à la Personne m’a rendu très réservé sur les dispositifs globaux.
Une autre illusion est l’emploi acceptable que le Gouvernement tente de définir par la Loi. Si les emplois à pleins temps, des secteurs sous-tension, ne sont pas pourvus, c’est que les demandeurs d’emplois n’en veulent pas. Leur culpabilisation ne marche pas. Alors, la baguette ! En oubliant qu’un contrat de travail implique est signé par un patron. Or les patrons n’embaucheront pas des personnes « contraintes » à venir travailler. Ils leurs préféreront le sans papier, avec de faux papiers, volontaire pour effectuer les tâches pénibles ou peu valorisantes qui sont proposées.
Que faire ?
Si le RSA ne crée pas d’emploi que faire ?
La France a toujours privilégié la voie réglementaire, construisant des systèmes administratifs très sophistiqués qui sont tous des échecs.
Je pense que la seule stratégie est la création d’activités par des mobilisations de ressources humaines et financières. C’est ainsi que des emplois pérennes seront créés, l’activité générant l’emploi.
Cela passe en particulier par la voie que nous indique Mohammad Yunus :
« Pourquoi ne pas construire des entreprises qui visent l’amélioration de la situation sociale plutôt que la réalisation de bénéfices pour ses dirigeants et ses actionnaires »
Un indice intéressant qui marque l’intérêt de nos concitoyens, c’est la croissance des fonds responsables et la bonne santé de la collecte par les adhérents de Finansol.
J’y ajoute l’engagement croissant de jeunes et brillants diplômés à faire autre chose qu’un métier de trader. La rupture du pacte social, que l’on observe dans les entreprises et les administrations, peut également être considérée comme le signe d’une transformation profonde en cours.
Cette stratégie passe par une mutation culturelle. L’emploi n’est plus nécessairement l’emploi « salarié ». Passer d’une culture de la sécurité à la culture de responsabilité est indispensable, mais ce passage ne sera tolérable que s’il intègre de manière forte à la fois les valeurs de solidarité et l’acceptation collective du risque.

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