DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

22 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 avril 2015

DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

On vit une époque formidable... où de pauvres hères meurent dans la rue !

DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Complainte de l'oubli des morts

Les morts
C'est discret
Ça dort
Trop au frais

Dans cette complainte, allègre et grinçante, Jules Laforgue dénonçait, au XIXème siècle, l'oubli des morts - et de leur propre mort - par ses contemporains. Mais il est des morts, aujourd'hui, qui sont bien plus oubliés, bien plus discrets, des morts quasiment invisibles, ce sont les sans-abri, étoilés du sigle SDF, les morts de la rue. Il est scandaleux et révoltant, soixante ans après l'appel de l'abbé Pierre, pendant le rude hiver 1954, que tant de personnes vivent encore aujourd'hui dans la rue et qu'elles en meurent !

Un cri de révolte

Scandalisés, révoltés par la mort indigne des sans-abri, un groupe de citoyens a créé en 2002 le Collectif les Morts de la Rue. Depuis, ce collectif s'est constitué en association. Sa mission consiste, selon ses statuts, à mettre en œuvre et développer les actions nécessaires :

pour la recherche, la réflexion et la dénonciation des causes souvent violentes des morts de la rue ;
pour des funérailles dignes de la personne humaine ;
pour l'accompagnement des personnes en deuil et de leur entourage sans distinction sociale, raciale, politique ni religieuse.

Dans un livre intitulé «  A la rue ! », le collectif a livré les témoignages de rescapés de la rue, de SDF, de travailleurs sociaux et de citoyens. Il y insiste sur le fait que la mort des personnes à la rue est dissimulée, quasiment escamotée. Notre société veut l'oublier. C'est pourquoi l'association s'attache à ériger un mémorial, la liste de ces morts, en tout cas de ceux dont elle a connaissance. Le chiffre publié est bien sûr très largement inférieur à la réalité. Quoi qu'il en soit, en 2014, même s'il ne s'agit nullement d'un chiffre exhaustif, elle a pu en recenser 483.
Pour faire échapper ces morts à l'anonymat, à une « seconde mort », l'association rend donc public un faire-part nominatif bisannuel, communiqué à un grand nombre de personnes et publié dans la presse :

" Le faire-part indique aussi des causes de décès. Il le fait globalement, pour éviter une indiscrétion peu respectueuse. Certaines mentions, dans leur laconisme, évoquent des drames : « brûlé vif dans une voiture », « attaqué par l'un de ses chiens », « le visage dévoré par les rats », « mort brutalement sur le trottoir », « morte d'un trop-plein de misère », « se laissait mourir », « retrouvé au bout d'un mois », sans parler des tristes et trop fréquents cas d'overdose, de destruction par l'alcool, de suicide. "  (Collectif Les Morts de la rue, A la rue !, 2005, Buchet/Chastel)

Une mort prématurée

Comme on le voit, ces morts sont souvent brutales et soudaines. On ne fait pas de vieux os quand on est à la rue. La moyenne d'âge des décédés est juste inférieure à cinquante ans !

" Avoir cinquante ans dans la rue, c'est donc déjà être un vieux. Bien sûr, les disparités sont fortes, beaucoup de morts prématurées n'empêchent pas que quelques personnes puissent atteindre 60 ans, parfois 70 ans. Mais, dans la rue, on vieillit vite. Si, à 50 ans, on a derrière soi plusieurs années de cette vie – comme c'est généralement le cas -, à l'usure physique et morale s'ajoutent fréquemment des maladies insidieuses d'autant plus mal diagnostiquées et tardivement traitées que l'individu se désintéresse de son corps et de sa santé. Fragilisé, vulnérable, son âge réel ne correspond pas à son état-civil. " (op. cit.)

Sous les sunlights

SDF go home. Autrement dit : vous gênez, on ne veut plus vous voir ! Allez-vous-en ! Eh bien, lui, Robert Biver, cinéaste, va les mettre sous les feux des sunlights, ces indésirables ! Et il réalise un documentaire-fiction que l'on verra en 2003 : SDF go home. Samir Gherab, dit «Samy», y interprétait son propre rôle de sans-abri. Lors du Festival de Cannes, c'est son jour de gloire. Habillé d'un smoking offert, il tente, accompagné de Robert Biver et d'un autre acteur du film, SDF lui aussi, de gravir les marches du Palais des festivals. En vain, le trio est refoulé par les agents de sécurité. Ne trouvant ni distributeur ni salle pour projeter son film lors du festival, Robert Biver avait imaginé, pour qu'on en parle, cette petite provocation. Samir a été retrouvé mort le 3 août 2003. Il avait quarante-huit ans.

En 2010, Robert Biver réalise, avec leur concours, un documentaire sur la vie quotidienne de quatre SDF sexagénaires, à la rue depuis plus de vingt-cinq ans : Pignon sur rue. Là-aussi, la Grande Faucheuse frappe. Depuis la fin du film, trois des quatre SDF sont morts, victimes de la misère et de la rue.
Le 3 mars 2011, lors de l'avant-première de ce film, autoproduit et sans distributeur, il a fait salle comble alors qu'il n'avait bénéficié d'aucune publicité promotionnelle. Mais aucun journaliste ne s'était déplacé pour le voir malgré l'envoi d'une centaine de mails aux médias. Des êtres déglingués et pouilleux, ce n'était certainement pas tendance... En 2015, Robert Biver continue à se battre pour que le maximum de personnes puissent voir son film.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.