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Billet de blog 5 juin 2015

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N'écoutons pas les faux prophètes de son inéluctable déclin : il faut croire au bel avenir de l'Etat-providence !

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Selon ses contempteurs, ses détracteurs, notre Etat-providence serait à ranger parmi les vieilles lunes du passé... La protection sociale ferait de nous des assistés, elle étoufferait la création de richesses et les charges de son financement seraient dispendieuses. Eloi Laurent, économiste à l'OFCE, pourfend ces mythes dans " Le bel avenir de l'Etat-providence " ( Les liens qui libèrent, mai 2014). Bien sûr, le système actuel n'est pas intangible, il doit être adapté et l'auteur propose justement d'y introduire la dimension environnementale.

Qu'est-ce donc que l'Etat-providence ?

Pourquoi un Etat-providence est-il nécessaire et quelle est sa conception ? Voici comment Eric Laurent en justifie l'existence et décrit les caractéristiques :

" Dans sa plus simple expression, l'Etat-providence oppose un droit à un risque. D'une part, il assure une protection sociale, comprenant une fonction d'assistance (le traitement de la pauvreté) et d'assurance sociale, avec la couverture des risques sociaux que sont la retraite, la santé, le chômage et la famille. D'autre part, il fournit des prestations sociales en nature, principalement sous forme de logement et d'éducation. On peut, alternativement, considérer que l'Etat-providence asssure des "dépenses sociales" comprenant des "transferts sociaux" (aides sociales, indemnités chômage, systèmes publics de retraite, dépenses publiques de santé et financement public du logement), auxquels s'ajoutent les dépenses publiques d'éducation. Le point essentiel de ces typologies est de montrer que le bien-nommé Etat-providence est avant tout un assureur qui substitue aux hasards de l'existence individuelle la certitude de la solidarité sociale. " (op.cit.)

Un corset qui étoufferait l'économie ?

L'Etat-providence comprimerait l'économie comme un corset qui étoufferait son dynamisme. Eric Laurent démontre que c'est précisément le contraire, que l'Etat-providence est un atout supplémentaire pour l'économie, corrigeant ses défectuosités et optimisant son efficacité :

" [...] l'Etat-providence n'étouffe pas le dynamisme, il le libère. A l'abri de la protection sociale, les individus peuvent s'engager dans des activités risquées, car ils savent que le coût d'éventuels dommages sera amorti par l'effort collectif auquel ils contribuent. L'Etat-providence ne déresponsabilise pas les personnes, il les déculpabilise en désamorçant moralement la réalisation des risques sociaux. Plus les couvertures sont étendues, plus l'efficacité économique de la fonction d'allocation s'accroît, comme le montrent avec éloquence les pays nordiques. L'Etat-providence ne contraint donc pas le marché, il le complète : il pallie ses manques, compense ses insuffisances et rattrape ses erreurs. Sans lui, les biens dits "tutélaires", comme l'éducation et la santé, dont les bénéfices sont immenses pour les individus et les sociétés, ne seraient jamais produits ni distribués de manière suffisante par les marchés, défaillants car limités par leur ignorance. " (op.cit.)

Des charges insupportables de financement ?

La logique du démantèlement de l'Etat-providence est déjà à l'oeuvre dans notre pays, subrepticement, avec la privatisation progressive du système de santé, miné par les régimes complémentaires. Car on veut absolument nous en convaincre, les charges du financement de cet Etat-providence ne seraient plus supportables dans le contexte de la mondialisation. A ce luxe inabordable, à cette prodigalité supposée, il faudrait substituer l'extrême frugalité, voire même, dans une version xénophobe, en exclure les intrus profiteurs pour en réserver uniquement la faveur aux autochtones... Ce coût prétendument exorbitant de la protection sociale, voilà une contrevérité qui appelle une irréfragable réfutation :

" La masse des prélèvements sociaux en France est, c'est incontestable, considérable : 662 milliards d'euros en 2011, ce qui représente l'équivalent d'un tiers de la richesse nationale. Mais il ne s'agit en aucun cas d'un prélèvement sur la richesse nationale : ces dépenses sont presque intégralement redistribuées aux contribuables, qui les ont financées, sous forme de prestations sociales à hauteur de 639 milliards d'euros pour 2011.
Dès lors, il est parfaitement abusif d'évoquer, comme on le fait si souvent dans le débat public, un Etat-providence "ponctionnant" ou, pire, "engloutissant" un tiers de la richesse économique du pays. " (op.cit.)

En outre, la gestion des besoins sociaux par l'Etat-providence est plus économe, son coût financier moins élevé que si elle était privée. Effectivement, les travaux de l'économiste Peter Lindert ont établi sans conteste, chiffres à l'appui, que l'application des programmes de protection sociale s'est traduite par des économies d'échelle qui ont fait baisser considérablement le coût administratif de l'Etat-providence, avec un bénéfice énorme en matière d'assurance sociale. Outre les économies d'échelle, Joseph E. Stiglitz montre que la recherche du profit rend la gestion privée plus coûteuse que la gestion publique :

" La privatisation, évidemment, repose sur un autre mythe : les programmes gérés par l'Etat sont forcément inefficaces, donc la privatisation est forcément une amélioration. En réalité, [...] les coûts de transaction de la Social Security et de Medicare sont très inférieurs à ceux des sociétés privées qui fournissent des services comparables. Ce qui n'a rien de surprenant. L'objectif du secteur privé est de faire des profits : pour les entreprises privées, les coûts de transaction sont une bonne chose ; la différence entre ce qu'elles reçoivent et ce qu'elles paient est justement ce qu'elles cherchent à maximiser. " (op.cit.)

Le bel avenir de l'Etat-providence

Remettre en cause l'Etat-providence aujourd'hui, quel anachronisme au moment où il s'impose de plus en plus dans le monde ! Ainsi, les Etat-Unis se dirigent vers un système de santé semi-public, semi-privé, amorçant sans doute une réforme plus ambitieuse de leur système d'assurance privée. La Chine, elle aussi, depuis deux décennies, se rapproche de l'Etat-providence. Le Congrès national du peuple a adopté en 2010 une première loi sur l'assurance sociale. Plusieurs pays émergents empruntent la même voie. La Corée du Nord a mis en place dès 1995 une assurance chômage, ce qui lui a permis de mieux résister que ses voisins à la crise asiatique de 1997-1998, convainquant ainsi la Thaïlande et le Vietnam de l'imiter... Au Rwanda et au Vietnam, en Corée du Sud et en Thaïlande, 100 % de la population sont désormais couverts par une assurance santé. En Turquie, ce pourcentage atteint 70 %.

La nature du risque ( et donc de l'assurance ) n'est plus aujourd'hui seulement social, il est devenu social-écologique. Pour répondre à ce défi, Eloi Laurent préconise diverses solutions. Par exemple, le régime général de la Sécurité sociale pourrait comporter une nouvelle branche "vulnérabilité", ou chaque branche le prendre en compte, pour couvrir l'exposition à ce risque d'un nouveau genre. Les politiques publiques pourraient développer des fonctions d'assurance de l'Etat en déterminant les territoires où s'exercerait la protection social-écologique en fonction de leur vulnérabilité.

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