DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

22 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 juin 2015

DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

LES ARBRES NE MONTENT PAS JUSQU'AU CIEL !

DANIEL CAUVIN (avatar)

DANIEL CAUVIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La chute libre des funambules

Sur la corde raide, au-dessus du vide...

La bourrasque, l'ouragan qui a menacé de tout emporter sur son passage a pris naissance en Amérique. Tout est parti de bulles spéculatives financées par le crédit. Le début de la crise a été provoqué par les subprimes, c'est-à-dire des crédits immobiliers très risqués accordés à des emprunteurs dont la solvabilité était incertaine.

Deux experts financiers décryptent ainsi cette spéculation sur les investissements :

" Elle comprend d'abord un financement, par le crédit, de la hausse des prix de l'immobilier de logement, dont l'ampleur va au-delà des capacités d'emprunt des salariés. Aux États-Unis, les prix cessent de monter à partir du milieu de l'année 2005. Pour continuer de gonfler la bulle de l'immobilier, les établissements de crédit hypothécaire prêtent au-delà des normes de prudence (70 % du prix d'achat, et trois fois le revenu annuel prouvé) pour aller jusqu'à prêter 125 % du montant du prix d'achat du logement et cinq fois le revenu annuel déclaré. Les subprimes ont parfois été appelées « prêts menteurs » : le banquier ne demandait pas de renseignements sur les revenus de l'emprunteur, la hausse infinie des prix de l'immobilier devait assurer les remboursements. La « bulle immobilière » porte le prix médian d'une nouvelle habitation de 207 000 $ en 2000 à 313600 $ en 2007, soit 56,8 % de plus en 7 ans. Mais « les arbres ne montent pas jusqu'au ciel » et, lorsque l'immobilier devient trop cher, même les gros salaires n'ont plus les moyens d'acheter un logement. C'était simplement le cas à l'été 2007. " (S.A. Morad El Hattab & Irving Silverschmidt, La vérité sur la crise, Éditions Léo Scherr, 2010)

Non seulement ces prêts hypothécaires étaient risqués, mais encore ils ont donné lieu à une dissémination, comme autant de mines à retardement : la titrisation. Autrement dit, l'émission de titres de crédit reconditionnant ces prêts, découpés en tranches. Les acheteurs de ces titres opaques prenaient alors les risques du banquier. Beaucoup de ces prêts avaient été vendus dans le monde entier, et ils ont empoisonné des banques et des fonds d'investissement jusqu'en Norvège, à Bahreïn ou en Chine. Les agences de notation s'étaient discréditées en accordant leur meilleure note (AAA) à certains de ces titres !

Parallèlement, à New York, Londres et dans le golfe pétrolier, les prix de vente de l'immobilier commercial, dont l'achat a été financé à crédit, se sont mis à chuter. La spéculation s'était également portée sur les achats d'entreprises, au-dessus de leur valeur, financés par des prêts bancaires à 75 voire 80 %. Enfin, la spéculation hasardeuse n'a pas épargné les fonds spéculatifs (hedge funds) eux-mêmes ! L'appât du gain à court terme l'emportait sur toute autre considération. Un cocktail explosif a donc été créé par ces dérives de la finance, qui a menacé d'emporter comme un tsunami tout le système bancaire !

Le 15 septembre 2008, à la suite de la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers, la panique envahit les bourses et se communique à l'économie réelle. L'intervention des États et surtout des banques centrales a permis d'éviter une cascade de faillites bancaires comme en 1930 aux États-Unis ou en 1931 en Allemagne. La crise économique s'est néanmoins traduite par de fortes baisses de la demande et donc de l'activité des entreprises. Pour y remédier, les États ont adopté des plans de relance, entraînant le gonflement des dettes publiques. Mais la situation n'a pas été assainie pour autant : le rythme des baisses de production a seulement été ralenti et les actifs (investissements toxiques) achetés au prix fort lors des bulles spéculatives, n'ont pas disparu des bilans des banques...

Les saisies immobilières, un Katrina social

La journaliste Arianna Huffington a dressé un bilan alarmant de la situation critique dans laquelle s'enfonçait la classe moyenne américaine. Selon le titre explicite de son livre, c'est « L'Amérique qui tombe ». Voici un passage de ce livre consacré aux saisies hypothécaires :

" Bien que les Américains qui perdent leur maison soient traités avec une parfaite indifférence, une saisie immobilière annonce généralement un certain nombre d'autres catastrophes. Chaque saisie n'est que la première d'une série de crises. Quand des familles perdent leur foyer, elles sont obligées d'aller s'installer chez des parents, ou au motel, ou bien de vivre dans une voiture, ou encore dans la rue. Pendant ce temps, leur logement reste vide. La valeur des maisons voisines baisse. D'autres habitants du quartier déménagent. Dans bien des cas, des squatters s'installent. La criminalité augmente. Les revenus fiscaux baissent, emportant dans leur sillage les budgets scolaires. Près de 41 millions d'habitations américaines jouxtent une maison saisie. A la suite d'une saisie, la valeur des propriétés voisines baisse de 8 880 dollars en moyenne. Cela se traduit par une perte totale de valeur mobilière de 356 milliards de dollars. Et les propriétés vacantes pèsent lourd sur les administrations locales déjà financièrement étranglées. Une augmentation des saisies de 1 % entraîne une hausse de 2,3 % des violences criminelles. " (Arianna Huffington, L'Amérique qui tombe, Librairie Arthème Fayard, 2011.

Les dégâts collatéraux des saisies immobilières n'ont pas épargné les enfants : " Le National Center on Family Homelessness estime qu'aux États-Unis un million et demi d'enfants sont sans domicile fixe – soit un sur cinquante. La ville de San Antonio, par exemple, a inscrit mille élèves sans abri au cours des deux premières semaines de l'année scolaire 2009-2010 – deux fois plus qu'au cours de la même période de l'année précédente. " (op. cit.)

Un monde sans foi ni loi (sauf celle du profit)

Malgré les ravages provoqués par leur avidité, les financiers, responsables de la crise de 2007-2008, n'ont jamais exprimé du remords ou des regrets. En fait, l'intérêt général est le cadet de leurs soucis, c'est uniquement leur intérêt personnel qui compte. Car ils peuvent faire assumer par d'autres le coût de leurs turpitudes. En effet, ils exercent leur pouvoir de nuisance impunément grâce aux liens consanguins existant aux Etats-Unis, et, de manière moins directe en Europe, entre le monde de la finance, les autorités de contrôle et le pouvoir politique : " Le Financial Times en date du 14 juillet [2009] révèle que les dirigeants de la grande banque d'investissement américaine Goldman Sachs ont vendu, à hauteur de 700 millions de dollars, les actions qu'ils détenaient dans la firme, durant l'automne 2008, alors même que l'établissement, en difficulté, venait de bénéficier d'une aide de 10 milliards de dollars, octroyée sans condition par le gouvernement américain. Le ministre des Finances de l'époque, Henry Paulson, était l'ancien P-DG de Goldman Sachs. Avant d'entrer au gouvernement, il avait cédé, contre 200 millions de dollars, sa participation dans la banque. Il a également choisi Neel Kashkari, un de ses proches collaborateurs chez Goldman Sachs, transféré au ministère des Finances, pour distribuer aux banques les 700 milliards de dollars prévus dans le plan de sauvetage. Grâce à Paulson, « Main Street volait au secours de Wall Street ». En d'autres mots, l'argent du contribuable même modeste sauvait l'univers de la finance. " (Eric Laurent, La face cachée des banques, Plon 2009) Grâce à cette manne généreusement distribuée par Henri Paulson, Goldman Sachs a pu déclarer, à la fin de l'année 2008, un profit de 2 milliards de dollars et annoncer le versement à ses dirigeants et à ses cadres de 10 milliards en bonus et compensations ! En revanche, le montant des impôts payés par cet établissement n'atteignait que 14 millions de dollars, soit un taux d'imposition de 1% ! Car Goldman Sachs et ses rivaux se servent des paradis fiscaux et même sollicitent du Trésor américain, lorsqu'ils rapatrient leur argent, la faveur de réductions d'impôts...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.