Sur le pavé, sans domicile, le jour même de sa condamnation...
Une affaire sans coupable ni victimes ? Si ces jeunes garçons avaient pris l'initiative des relations sexuelles, s'ils étaient demandeurs, pouvaient-ils endosser décemment le rôle de victimes ?
A la recherche d'un toit...
Notre fille nous a alertés, par téléphone, sur la situation critique de son amie. Elle l'avait connue sur les bancs du collège. Cette jeune femme, bien qu'elle manquât de maturité et fût du genre "adulescente", était toujours sa copine. Depuis quelques années, elle habitait à Illiers-Combray, en Eure-et-loir. Devenue l'héroïne malheureuse d'une sombre affaire de moeurs, elle avait été condamnée, par le tribunal correctionnel de Chartres, à deux ans de prison avec sursis... Cette peine était assortie d'une " interdiction de paraître " à Illiers-Combray, où elle avait élu domicile... Elle avait interprété le jugement, signifié le 9 mars 2015, juste après l'audience et le délibéré, comme s'appliquant immédiatement, et personne ne l'avait détrompée... Elle en avait donc tiré la conclusion logique : elle ne pouvait plus résider à Illiers-Combray. Son compagnon ne vivait pas avec elle et ne pouvait l'héberger... Avec son enfant, bientôt âgé de sept ans, elle s'était donc retrouvée sur le pavé, sans domicile... Heureusement, la jeune mère avait trouvé une solution temporaire pour son fils, qu'une amie, maman d'un jeune garçon fréquentant la même école, pouvait héberger provisoirement, mais sans pouvoir l'accueillir elle-même. Dans ces circonstances, la jeune mère avait été recueillie à Illiers-Combray, pendant quelques jours seulement, par un oncle de son compagnon, se terrant incognito, sans sortir du logement... Mais cet oncle s'était alarmé, redoutant une dénonciation aux gendarmes... Car les commérages et les ragots allaient leur train dans la cité, amplifiés par les commentaires du jugement parus dans le journal L'Echo républicain, son édition en ligne et la reprise de l'information par " Radio intensité "... Notre fille n'était pas en mesure d'héberger son amie et nous avait demandé si, provisoirement, nous pourrions la tirer d'affaire, en attendant qu'elle puisse trouver un autre logement et déménager... Nous y avions consenti, tout en demandant, pour mieux évaluer les implications du jugement, que son amie vienne nous retrouver munie de ce document.
Ni coupable ni victimes ?
Nous avons reçu, ce soir-là, la jeune femme et son compagnon. On s'étonnera moins que le couple se soit maintenu si l'on sait que son ami avait vraisemblablement laissé se créer une situation propice aux dérapages de sa compagne, la laissant solitaire et désoeuvrée toute la journée, en manque de son amour rarement témoigné... Il se reprochait sans doute ce délaissement... Mon épouse et moi, si nous fûmes consternés à la lecture du jugement, il nous est vite apparu que la condamnée avait été mal défendue devant le tribunal correctionnel par un avocat commis d'office. Elle-même ne lui avait pas facilité la tâche et s'était laissée mettre la corde au cou sans réagir... Sans doute écrasée par la honte (l'audience était publique) et tétanisée par sa comparution devant le juge. Baissant la tête au lieu de fixer son interlocuteur, répondant le plus souvent " je ne sais pas " aux questions posées. Quant aux "faits" eux-mêmes, elle avait, à notre sens, été victime d'une confusion, d'un amalgame avec les affaires de pédophilie. En effet, même si elle ne niait pas avoir eu des relations sexuelles avec des adolescents, même si ce n'était pas glorieux - c'est le moins qu'on puisse dire - son rôle d'initiatrice n'était pas comparable à celui de Madame Dalleray dans Le blé en herbe de Colette, publié en 1923, où la Dame en blanc attire le jeune Philippe chez elle et fait le premier geste corrupteur... Non, elle était plus proche de Mariette, l'héroïne de Rien qu'une femme, roman de Francis Carco publié en 1921. Dans ce récit d'apparence autobiographique, c'est le jeune garçon, Claude, qui poursuit de ses assiduités la servante de l'hôtel, afin d'obtenir ses faveurs, quêtant une initiation sexuelle... Elle résiste puis finit par céder à ses instances. Est-il une victime ? Personne de sensé ne pourrait raisonnablement le soutenir...
Il est salutaire d'avoir un juriste dans sa manche...
Avant de prendre ma retraite de fonctionnaire, je n'avais pratiqué assidûment, pendant mon activité professionnelle, que le droit administratif. Je ne suis donc pas un spécialiste du droit pénal. Pour autant, mon expérience juridique me donnait des pistes pour orienter mes investigations et comprendre les enjeux des procédures. Sur Internet, je pianotai et tombai sur cette information : aux termes de l'article 506 du Code de procédure pénale " Le délai d'appel et a fortiori l'acte et l'instance d'appel suspendent l'exécution du jugement sur le fond." Le jugement avait été rendu le 9 mars 2015, le délai d'appel de dix jours était loin d'être expiré. Cet appel pouvait même être interjeté par toute personne munie d'un pouvoir spécial consenti par l'appelant. Mes arguments eurent tôt fait de convaincre l'amie de ma fille qu'elle avait le plus grand intérêt à faire appel. Elle accepta que je la représente auprès du greffe du tribunal correctionnel de Chartres. Je rédigeais donc et lui fit signer une procuration appropriée.
Je l'avais vivement engagée à faire appel du jugement. Certes, parce qu'il me semblait que, mieux défendue et bien conseillée par un autre défenseur, elle pourrait, en appel, obtenir une réformation en sa faveur du jugement. Elle ne prenait aucun risque car, dans le plus mauvais des cas, la Cour pouvait seulement confirmer les dispositions du premier jugement, sans pouvoir aggraver la peine prononcée. Mais aussi et surtout, et c'était déterminant, cet appel lui donnait de l'air, la laissait respirer, elle pouvait rester à son domicile qu'elle n'était, d'ailleurs, pas obligée de quitter précipitamment, le jour même de l'audience, après la notification du jugement. En effet, même sans faire appel, elle disposait alors d'un délai de grâce de dix jours pendant lequel le jugement n'était pas exécutoire... Je déplorais que ni le tribunal ni son avocat ne l'aient informée de ses droits après le délibéré et la notification du jugement... Et maintenant, grâce à l'appel intenté, elle pouvait résider à Illiers-Combray, au moins, dans le pire des cas, jusqu'à ce que l'affaire soit rejugée...
Gendarme, vous avez tort !
Après une nuit passée chez nous, le lendemain même, l'amie de notre fille regagnait son domicile à Illiers-Combray. Par mesure de précaution, je lui avais demandé de se présenter aux services de la gendarmerie, afin de les aviser qu'elle faisait appel et pouvait donc résider à Illiers-Combray. Elle me téléphona en pleurs, car ils lui avaient affirmé le contraire... Je téléphonai aussitôt à la gendarmerie. Ce fut l'occasion d'un échange musclé avec le pandore qui l'avait reçue. Sans se rendre à mes arguments, il m'assura que les gendarmes ne lui créeraient aucune difficulté, tant qu'ils ne seraient pas saisis par la justice... Ce qui ne pouvait évidemment être le cas ! Deux jours plus tard, par la messagerie, je leur envoyai ce courriel :
Nous avons eu un entretien téléphonique au sujet de la situation de M... En pièce jointe, voici la copie numérisée de l'acte interjetant appel du jugement du 9 mars 2015 ( délivré le 16 mars 2015 par le greffe du tribunal correctionnel ). La greffière m'a confirmé que cet appel avait un effet suspensif. M... peut donc légalement continuer à résider à Illiers-Combray. Si vous en doutez, vous pouvez vous le faire confirmer par téléphone en appelant le greffe.