La France est étranglée par le noeud coulant européen avec le consentement - ou la complicité ! - de ceux qui la gouvernent. Prétendant la sauver, ils resserrent eux-mêmes le noeud coulant qui l'étrangle de plus en plus... Car ils ont accepté un diagnostic erroné comme la cause de ses malheurs et la politique inefficace et désastreuse censée y remédier et qui la conduit inexorablement à l'échec.
L'euro, un noeud coulant qui nous étrangle...
On veut nous faire prendre des vessies pour les lanternes. Les véritables causes de la crise européenne ne sont pas celles que l'on met en avant et qui justifient des politiques d'austérité. Dans son livre intitulé Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien (Seuil 2013), Jean-Michel Naulot, un ancien banquier, partage le diagnostic de Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d'économie :
"La crise de l'Europe n'est pas un accident, mais ses causes ne sont ni des dettes à long terme trop lourdes, ni des déficits exagérés, ni l'État-providence. Ses causes sont l'excès d'austérité – les réductions de dépenses publiques qui, comme c'était prévisible, ont abouti à la récession de 2012 - et un système monétaire défectueux, celui de l'euro. Quand l'euro a été introduit, la plupart des économistes non concernés étaient sceptiques. Les modifications des taux de change et des taux d'intérêt sont cruciales pour aider les économies à s'ajuster. Si tous les pays européens étaient frappés par les mêmes chocs, un ajustement unique du taux de change et du taux d'intérêt ferait l'affaire pour tous. Mais les diverses économies européennes sont frappées par des chocs nettement différents. L'euro a supprimé deux mécanismes d'ajustement et ne les a remplacés par rien. C'était un projet politique ; les responsables politiques pensaient que partager une même devise allait rapprocher les pays, mais il n'y avait pas assez de cohésion au sein de l'Europe pour faire ce qui aurait permis à l'euro de fonctionner. " (in Le prix de l'inégalité, Les Liens qui libèrent, 2012)
Erreur fatale de diagnostic
En premier lieu, l'endettement de la France n'est pas du tout une situation inédite, et d'une gravité telle qu'il justifierait un traitement prioritaire pour y mettre un terme le plus tôt possible.
Il ne faut pas prendre au pied de la lettre les discours alarmistes sur la dette publique française. La France, en effet, a connu pire situation. Ainsi, à la suite du paiement de l'indemnité de guerre exigée par le traité de Francfort de 1871, la dette publique atteignait 100 % du PIB. Et elle restera à ce niveau jusqu'en 1900 ! Pour s'abaisser à 75 % en 1913 grâce à la croissance économique que le pays a connue à partir de 1900.
Entre les deux guerres, la dette publique française, qui a varié de 110 % à 150 % du PIB, s'est particulièrement accrue dans les années 30. La crise économique française s'est en effet traduite par plus de dettes que le coût de la reconstruction dans les années 20.
En 2014, la dette publique de la France atteint 95,1 % du PIB. Quant à son déficit budgétaire, même s'il reste très élevé et persistant, il n'est pas, par comparaison avec les autres pays occidentaux, réellement catastrophique. En effet, si l'Allemagne se distingue avec un excédent budgétaire de +0,2 %, le déficit budgétaire de la France est à peu près équivalent à celui des pays nordiques tels que les Pays-Bas (-4,1 %) et le Danemark (-3,6 %).
En réalité, le mal qui touche la France et qu'elle doit traiter en priorité, ce n'est pas la dette et le déficit public, c'est la désindustrialisation. En effet, même s'il n'existe pas de liaison directe entre le déficit budgétaire et la désindustrialisation, les deux phénomènes semblent évoluer en parallèle. En effet, si l'on a assisté, à partir de 2009, à une envolée des déficits publics, à la même époque ce fut le début de l'essor des faillites d'entreprises :
" Avant la crise, le rythme annuel des faillites en France restait inférieur à 40 000. Depuis 2009, il dépasse 60 000, et après une légère baisse de 2010 à 2012, il repasse en 2013 au rythme de 2009 [...] (Morad El Hattab - Pierre-Philippe Baudel - Philippe Jumel in La France : une étrange faillite, vers un 1940 économique, Alpharès, mai 2014).
La médication de Purgon et Diafoirus : purger et saigner le malade...
Nos médicastres, Purgon et Diafoirus, Sarkozy puis Hollande, ont décidé de guérir la France de sa maladie chronique, le déficit des finances publiques. Or, il s'agit en réalité du reflet d'une désindustrialisation provoquée par le manque de compétitivité de ses entreprises, dont les coûts de production sont trop élevés en raison de la surévaluation de l'euro...
" L'annulation du déficit budgétaire n'arrêtera pas la désindustrialisation, car le déficit budgétaire n'explique pas la désindustrialisation, les politiques imposées au nom de l'Europe par l'Allemagne d'Angela Merkel n'auront donc aucun effet positif sur la désindustrialisation, elles risquent même de l'accélérer. Après tout, ce n'est pas la queue qui remue le chien, mais le chien qui remue la queue... " (op. cit.)
Quelles sont les conséquences prévisibles de la déflation budgétaire sur l'évolution du chômage ?
" La vision des chiffres des expériences européennes suggère qu'un effet dépressif des efforts budgétaires de 1 % sur le PIB annuel accroît de plus de 1 % le taux de chômage de catégorie A sur la population active. Or, un effort de 100 milliards d'euros par an (non compris les 60 milliards d'impôts nouveaux créés en 2011, 2012 et 2013) correspond à près de 5 % du PIB, avec un risque d'accroissement correspondant du chômage de catégorie A, soit +5 % de plus que les 10,5 % déjà réalisés à la fin de 2012.
L'effort budgétaire prévu jusqu'en 2017-2018 risque de conduire à des taux de chômage d'ampleur portugaise ou irlandaise de l'ordre de 15 % de la population active : est-ce que cela ne revient pas à brûler la maison pour rôtir le cochon ? " (op. cit.)
Etranglée par la surévaluation de l'Euro, et ne pouvant pas dévaluer sa monnaie pour régler son problème de compétitivité, la France pratique une politique d'austérité qui aggrave la situation. Dans le même temps, les réformes structurelles exigées par l'Europe conduisent à un démantèlement progressif de l'Etat-providence. Cette conjonction entraîne une hausse irrésistible du chômage, la baisse des salaires, la pauvreté et la précarité.
De l'audace, encore de l'audace !
Pour sortir du piège, pour trancher le noeud gordien qui étouffe la France et d'autres pays européens, que faudrait-il faire ? Dans une tribune publiée par L'Expansion ( juillet-août 2014 ), sous le titre " Pour un Bretton Woods de l'euro ", Christian Stoffaës, vice-président du Cercle des économistes, nous donne le mode d'emploi. Il rappelle opportunément que la rigueur imposée sur les déficits publics a enclenché le cercle vicieux de l'austérité qui, en réalité, accroît les déficits au lieu de les réduire. A la place de cette insidieuse "dévaluation interne", comportant la baisse des dépenses publiques, des retraites et des services sociaux, il préconise une franche dévaluation, une dévaluation externe :
" Comment passer de la monnaie unique à la monnaie commune, "l'euro exchange standard", construit sur des parités fixes mais ajustables : un retour au SME autour d'un pivot qui ne s'appelle plus le mark mais le "nouvel euro" ? Il n'est guère réaliste d'imaginer un scénario de consensus multiléral, à Bruxelles et à Francfort, pour faire baisser l'euro. Le point de départ ne peut être qu'un acte unilatéral à la De Gaulle : il suffit qu'un seul Etat membre décide de revenir à la monnaie nationale. "
Comme l'émule du Général n'est pas à la barre, il est sûr et certain que notre pays ne prendra pas une telle initiative !
Pour Christian Stoffaës, après la dévaluation unilatérale, suivie d'une stabilisation rapide des taux de change, l'Europe devrait réunir une grande conférence monétaire, à l'image de celle de Bretton Woods en 1944, pour élaborer le nouveau système monétaire multilatéral. Il comprendrait une clause permettant le retour dans l'euro lors de jours meilleurs.
Certes, Christian Stoffaës le reconnaît, cette dévaluation se traduirait par un certain appauvrissement, mais c'est le prix à payer si nous voulons nous épargner quinze ans de stagnation à la japonaise. Et comme il le souligne " ce ne sont pas les mêmes qui paient, ce n'est pas la même douleur qui fait monter les extrémismes "...