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Billet de blog 30 mars 2025

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Quand j’entends le mot culture, je sors mon décret

Après les mots, les toiles et les pinceaux. Ou plutôt la chasse par décret à ce qui se nommait « art dégénéré » dans les années 30, versus contrevenant à l'esprit MAGA d'aujourd'hui. Voilà donc traduit dans un décret la critique libertarienne de la culture dite « élitiste ». L'idéologie MAGA en fait, toute libertarienne qu'elle est, professe le vieux darwinisme social qui accompagne le capitalisme depuis ses débuts.

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Après les mots, les toiles et les pinceaux.

Ou plutôt la chasse par décret à ce qui se nommait "art dégénéré" dans les années 30, versus contrevenant à l'esprit MAGA d'aujourd'hui.

Voilà donc traduit dans un décret la critique libertarienne de la culture dite "élitiste", qui est ici en France, critiquée comme "bourgeoise" parfois, j'y reviendrai.

Au carrefour du combat "anti woke" et de la censure de moeurs à relents religieux, l'idéologie MAGA patauge en ce domaine dans le populisme anti élite, et se doit donc au passage d'opérer une purge du "dégénéré" progressiste, pour le besoin de ses retours en arrière. Tout cela au nom de "l'histoire vraie" des Etats Unis et de leur grandeur. En gros, le Général Lee génocidaire revient sur son socle, tandis qu'on efface les photos d'archives des combattants noirs du débarquement de 1944 et, un.e artiste abordant des "sujets de société" se verra couper les vivres pour exposer.

Il y aura pour cela des IA pour veiller à la bonne tenue des cimaises et des MAGA zélés pour les surveiller, voire anticiper les éventuelles "créations" déviantes.

On peut bien sûr penser que comme un Goering a su "protéger"pour lui des oeuvres en quantité, en pillant et volant des musées, il se trouvera des MAGA informés du marché de l'Art, pour faire de même, en prévision de bénéfices futurs.

Trump n'a cependant pas demandé de détruire ou de décrocher en masse, mais bien de ne plus subventionner de projets "contraires à l'esprit MAGA" et de surveiller les structures institutionnelles en conséquence. Les propriétaires d'Andy Warhol peuvent donc encore dormir tranquilles.

J'aurais pu titrer "le retour du papier peint et des casquettes" et du "MAGA correct".

Les structures américaines sont très différentes des structures européennes et, s'il est des musées qui seraient ici considérés comme "nationaux" donc subventionnés, ces structures sont à majorité privées, concernant l'Art contemporain entre autres, au mieux appartiennent à des métropoles. Cela dit, les musées de toutes nature sont légions, et quelques institutions surnagent cependant, comme le Moma, le Met ou le Brooklyn Museum, pour ne citer qu'elles.

Le but, là aussi est également de licencier quelques fonctionnaires considérés "parasites", et d'avoir un cadre officiel pour ce faire, tout en affaiblissant au passage la "caste" démocrate, bien présente dans le secteur.

On mesurera bien qu'il y a derrière ce décret à la fois un geste idéologique et populiste fort en direction de l'électorat MAGA, et la continuité d'un délitement des structures fédérales de financement, tout en adressant un pied de nez aux "démocrates élitistes".

Charge aux troupes MAGA d'investir les vides qui seront créés par la promotion ici du "bon sens", là du suprémacisme, ailleurs du copinage financier sur le marché de l'Art. N'oublions d'exposer nos collections de figurines Mac Do.

On peut aussi compter sur l'esprit d'initiative et la tradition des "galas" pour promouvoir l'esprit culturel MAGA. Chaque fascisme a ses "élites"nouvelles, pour peu qu'il dure et s'installe, et les collabos ne manqueront pas, qui rejoindront les millionnaires de la Tech déjà sur place. Les Démocrates, dans leur genre, savaient faire aussi. Et tout ça, ça fait un "marché de l'Art" et ses contempteurs en costume cravate ou robes du soir.

J'ai le sentiment qu'un Banksy aurait des difficultés à investir les rues de New York en ce moment, (comme il le fit entre autres, pour défendre une amie artiste alors emprisonnée , Zerhra Dogan, en 2018).
Même si cela fait pendant à l'interdiction pure et simple de livres et à leur retrait, complaisamment relayés dans les Etats républicains, aux listes de mots interdits par algorithme, aux attaques contre la Science et aux scientifiques licenciés, à la suppression fédérale du Ministère de l'Education, et s'accorde en tout avec cela, on imagine cependant difficilement qu'une main de fer puisse faire appliquer cette régression idéologique sur l'ensemble des Etats.

L'attaque est avant tout une vague de licenciements et de restrictions de crédits, ainsi qu'une valse de responsabilités, ce qui déjà est considérable. Nous n'avons pas encore de "milices" chargées de contrôler et faire appliquer ces décrets. La vague est médiatique et la censure via l'internet. Le reste sera affaire de larbins MAGA de base, un oeil sur les futures élections, l'autre sur le Boss a qui ils/elles doivent leur casquette..

Mais je voudrais revenir un instant sur cette critique ici de la "culture élitiste et bourgeoise".

Le débat est très ancien et, dans les mouvements de gauche révolutionnaire, vit s'opposer les partisans d'une "culture prolétarienne" tout de suite, à ceux d'une "conservation du patrimoine historique et de son dépassement par la libération de l'Art populaire". Querelles byzantines qui au siècle dernier virent naître un  art soviétique dit "réalisme socialiste" qui puait le stalinisme d'un côté ou le culte de Mao de l'autre.

Ce qu'on peut en observer, c'est que les formes de domination, féodales, bourgeoises, fascistes ou totalitaires staliniennes, produisent toutes une forme d'Art ou d'architecture, dans la durée, à l'image de ce qu'en veulent les dominants d'une époque, à l'échelle individuelle ou d'Etat. On peut observer aussi que l'Humanité, pour conserver son histoire, tend à restaurer et conserver ce patrimoine historique, y compris durant les guerres, et que les destructions, qu'elles soient le fait de "révolutions" ou de fascisme, sont aujourd'hui considérées comme "génocide culturel". Il n'est qu'à voir comment en Syrie ou en Irak, les Peuples de ces régions, ont vécu la destruction de leur histoire, de leur patrimoine culturel, par Daesh, pour s'en rendre compte.

La culture appartient donc davantage aux Peuples qu'aux classes dominantes, même si celles-ci en financent les productions et en oriente fortement le sens, en plus des savoirs, sciences et technologies des époques historiques. La notion de "culture bourgeoise élitiste" est donc davantage un objet politique forgé par les populismes qu'une réalité simpliste.

La critique de la culture bourgeoise a connu une forte popularité dans les années 2000, avec des noms connus, depuis quelque peu associés au populisme confusioniste d'extrême droite pourtant. Ces "universités populaires", ces "lieux de  savoir populaire", ces "conférences" avaient fleuri pour diffuser le savoir sous des formes directes, et parfois "gesticulées". Louable intention et excellentes initiatives, qualifiées souvent de "citoyennes". Réinvestir, se réapproprier l'Art, la Culture, étaient les maîtres mots. Il est vrai qu'à l'inverse "essayez l'ignorance", ne fait pas rêver.

Que sont devenus les Lepage, les Onfray ? L'un gesticule sur écran plat sur les chaînes Bolloré, l'autre fait du parapente avec des complotistes rouge bruns. Après le passage des gilets jaunes, les voici prêcheurs libertariens et "proches du Peuple", version passe plat de l'extrême droite.

La critique de la "culture bourgeoise" et de "l'Art élitiste" a vu ses parts de marché diminuer à gauche, le modèle de remplacement dominant s'avérant proposé par un Hanouna, (pour être caricatural), pourfendeur des élites et du woke à la fois, soutenu et piloté par ce qu'on pourrait qualifier d'oligarques français. Comme la gauche n'avait à opposer qu'une autre forme de populisme festif critique, avec une grande absence de réflexion de fond, les expérimentations de "contre culture", "d'Art vivant" ont continué de côtoyer les marchés de l'Art, l'Art dit contemporain et ses grands musées, la conservation du Patrimoine. Il n'est qu'à voir les combats des "intermittents" pour réaliser à la fois la diversité des pratiques et créations, et l'impossibilité d'y voir un monde en noir et blanc..

Le grand mot d'ordre reste de façon consensuelle "l'accès pour toutes et tous à la Culture", même si on ne sait ce que chacun désigne précisément sous le dernier mot.

Et c'est précisément cet accès que le MAGA veut à la fois rentabiliser, contrôler et infléchir d'une part, tout en filtrant idéologiquement les productions. Rien de nouveau donc, en rapport avec ce que j'écrivais plus haut, à part le fait que dans ce fascisme en devenir, on peine à deviner le modèle dominant qui s'imposerait. Marchandisation, Bit coins, c'est sûr, mais "style" et "contenus", cela dépendra de la durée. On observera bien l'évolution des logos Mac Do.

L'idéologie MAGA en fait, toute libertarienne qu'elle est, professe le vieux darwinisme social qui accompagne le Capitalisme depuis ses débuts, et dont les déclinaisons varient selon ses crises. Libéralisme, néo libéralisme, mondialisation heureuse, capitalisme sauvage, impérialismes dominants, financiarisation à outrance, chaque moment a ses accès de darwinisme social. Malheur aux faibles et opprimés qui ne s'adaptent pas.

Et c'est plutôt en ce sens que cette idéologie intéresse les classes dominantes en Europe, toujours désireuses de détruire toutes les protections sociales existantes, désignées comme cause "d'augmentation du coût du travail" et "causes des déficits". Les acquis populaires permettant d'éviter une paupérisation, les "modèles sociaux", incluant les lois sur les non discrimination de toutes sortes, l'inclusivité, les droits fondamentaux, sont autant de conquis populaires qu'on croit universels.

Ils ne le sont pas en réalité et sont à défendre. Et particulièrement au moment où les MAGA veulent exporter leur modèle vers les "entreprises françaises". On entend déjà ici les voix qui se félicitent et veulent ouvrir "un débat".

Et, pour revenir à notre sujet, ces voix sont les mêmes qui pourfendent le "wokisme" fantasmé, affichent leur xénophobie et leur racisme sous prétexte de laïcité de combat et d'immigration et, à l'occasion, verraient d'un bon oeil une militarisation de la société. Et ces voix sont amplifiées par les réseaux médiatiques, propriété des "oligarques" locaux.

Interférences de Poutine ou du MAGA ? Les deux mon général, vous répondrait-on sur les plateaux de chaînes d'info. Vous reprendrez bien de cet excellent champagne taxé à 200% ?

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