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Billet de blog 19 mai 2012

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Envoyé spécial sur ma planète Cannes où j'ai cassé le Graal

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jean (ou Jeanine) Dugenou, envoyé(e) spécial(e) à Cannes... Ça en jette, hein ? Ben moi, quand j'étais ado, c'est de ça dont je rêvais : devenir journaliste et être envoyé - spécialement moi - par mon journal... à Cannes ! Alors ces jours-ci, vous imaginez combien je suis vénère. Impossible de lire un canard, de tourner une page de la Toile, sans être agressé par les chroniques de tous ces envoyés spéciaux qui se la pètent sur la Croisette. Juste là où je voulais aller en tant que ça : « envoyé spécial ».

J'imagine l'ambiance dans les rédactions avant la période cruciale. Très beaucoup avant. Parce qu'on n'est pas « nommé », « choisi », « désigné », « élu » envoyé spécial du jour au lendemain, juste pour son talent ou sa belle figure. Il faut avoir fait la preuve de sa maîtrise cinématographique, de sa compétence, ses connaissances, de la pertinence de son jugement... Sans oublier un joli brin de plume servi par une syntaxe parfaite et plein d'autres qualités. On ne dira rien de l'entregent que des langues vulgaires assimilent au lèchecutage. Le tout, juste pour avoir droit au précieux titre en même temps qu'au badge coupe-file qui fera tant d'envieux.

Si j'en ai tant rêvé de ce Graal, c'est que, encore étudiant, je l'ai approché. Un peu touché, même. Enfin, pas Le vase, juste un cendrier. Un grand, carré, superbe, lourd, marqué au nom du Carlton sur la terrasse duquel je l'avais emprunté en jouant au cinéphile désireux d'approcher quelque célébrité. Mal acquis, le trophée m'est tombé des mains au retour, à la descente du bus, sur la Promenade. Celle des Anglais, à Nice, tout près de la cité universitaire où je logeais. Sur cette maudite Anglaise, mon Graal s'est brisé en mille insignifiants morceaux.

C'était en 1969. Depuis, tous les ans, au printemps, je rumine. Et vomis tous les « envoyés spéciaux » sur ma planète Cannes. Car c'en est une. Qui n'y est pas allé n'en a qu'une vague idée. « En vrai », c'est bien pire qu'à la télé. Même quand Canal + s'échine à nous la jouer super paillettes. Tout en incarnant si bien les qualités et talents que je mentionnais plus avant. Et eux, à Canal, c'est pas rigolo, ils les ont tous toutes les qualités, tous les talents. Sans compter le reste. Ben ouais, ils sont tous « envoyé spécial ».

Par contre, si François Hollande veut y mettre les pieds, quoi qu'il en dise, il faut mobililser la cellule psychologique. Aucun être normal, fut-il Président, ne peut se prendre impunément la Croisette et le Festival en même temps dans la tronche. À Cannes, en Mai, pas le moindre soupçon de normalitude à l'horizon. Même avec de grosses jumelles.

Du pognon, des m'as-tu-vu, des seniors avec des bimbos, des bagnoles de James Bond ou de Reine de Monaco tous les dix mètres, des bijoux de La-vérité-si-je-mens, des chemises chèrement voyantes, du négligé hyper thuné, de l'urbanité feinte, des sourires du traître-du-film... Bref, de la fausseculterie, tant que t'en veux. À faire fumier. Mais de la normalitude, point ! C'est pour ça qu'il faut réserver le périmètre à des envoyés sacrément spéciaux. Et que j'y suis pas.

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