La reconnaissance par le président Macron - le 27 mai 2021 lors de son discours à Kigali - de la responsabilité de la France dans le soutien qu’elle a apporté au pouvoir génocidaire hutu avant, pendant et après le génocide représente certes un grand pas dans la normalisation des relations entre nos deux pays. Ce discours faisait suite à la parution du rapport Duclert, qui, tout en reconnaissant la responsabilité accablante de la France dans ce génocide, l’exonère de toute complicité. Cette thèse du “responsable mais pas complice” a été reprise telle quelle dans le discours de Macron. Elle est est cependant contestée par un grand nombre d’historiens, ainsi que par de nombreux témoignages directs de victimes du génocide.
Après le discours d’Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Bastien Lachaud publièrent un communiqué sur Facebook. J’avais à cette occasion fait part de mes critiques, certes un peu virulentes, dans le groupe Telegram du Collectif Afrique de la FI, ce qui m’avait valu d'en être exclu. Je reprochais à ce communiqué de mettre sur le même plan le génocide des Tutsis et les interventions de l'armée de Paul Kagame dans l’est de la RDC dans les années qui suivirent le génocide. Les questions posées dans leur texte par Mélenchon et Lachaud l’étaient de manière extrêmement maladroite. Loin de moi l’idée d’affirmer que ces questions ne sont pas des questions à poser. Bien sûr que les familles des pilotes français de l’avion du dictateur Habyiramana ont le droit de connaître la vérité, “quelle qu’elle soit”, quant aux responsables du crash de l’appareil, qui avait causé la mort de l’équipage ainsi que celle du président Habyirimana et son homologue burundais Cyprien Ntaryamira. Il est cependant important de préciser qu’une majorité d’historiens ont apporté des éléments en faveur d’un attentat fomenté par les extrémistes hutus. Un début de réponse a d’ailleurs été apporté en 2022 par la cour d’appel de Paris à la question de Lachaud et Mélenchon, cet attentat n’est pas l'œuvre du FPR de Paul Kagame. Bien sûr que la vérité doit être faite sur les massacres de civils post-génocide, notamment pendant les deux guerres du Congo. Certaines exactions ont été commises par l'armée rwandaises ou des milices soutenues par le Rwanda. Il est cependant très maladroit de mettre ce problème sur le même plan (surtout dans un texte aussi court) qu’un des plus grands génocides de l’histoire humaine, génocide auquel le FPR de Paul Kagame a mis fin. Rappelons enfin que ces deux questions (responsabilité de l’attentat / massacres post-génocide au Congo) se trouvent au coeur de la matrice révisionniste. Il convient donc de les manier avec extrêmement de précaution.
Le discours de Macron a été salué par la France Insoumise pour sa reconnaissance de la responsabilité française, ce qui est juste. Ce qui l’est moins est la reconnaissance - et sans condition par notre mouvement - de cette thèse pour le moins ambiguë du “terriblement responsable mais pas coupable”. Tous les mouvements politiques français (dont la FI - et à l’exception notable d’EELV et de Révolution Permanente) - ont salué unanimement le contenu de ce discours, ce qui a sans doute contribué à limiter la possibilité d’une critique objective de ce dernier. Le rapport Duclert n’est pourtant pas exempt de toute critique. Selon l’historien François Robinet “il livre une histoire lacunaire, racontée uniquement à partir du regard des décideurs français, sans tenir suffisamment compte du regard des autres acteurs”. Il écarte également l’accusation de complicité de génocide envers la France au motif qu’”aucun document ne permet de fonder une complicité de génocide”. Certes, mais il est crucial de rappeler que la commission Duclert n’a pas eu accès à tous les documents, loin de là. Par exemple celles du service historique des armées, qui contiennent les journaux de marche de l’armée française. Notons que dans le cas des archives du CSH, la commission Duclert avait la possibilité de “choisir la dérogation générale utilisée pour les fonds Mitterrand et Balladur” (François Robinet) pour consulter et dupliquer ces documents.” Elle ne l’a pas fait. Pourquoi? La commission Duclert n’a pas non plus eu accès aux archives de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda (1998). Le président de l’Assemblée Nationale de l’époque, Richard Ferrand, avait émis un refus non motivé à l’obtention de ces archives. Il semble pourtant évident que le refus d’une requête d’une commission de recherche sur les responsabilités de la France dans le dernier génocide du XXème siècle nécessite une motivation. Ce refus figure d’ailleurs dans l’introduction du rapport Duclert.
Quelques jours plus tard paraissait une mise au point de JLM concernant ce texte. JLM y réaffirmait la “responsabilité” de la France dans le génocide, et appelait à poursuivre les génocidaires vivant en toute impunité sur le sol français, ce qui est en effet primordial. De manière générale, cette mise à jour remettait de l’équilibre là où le premier texte en manquait ostensiblement : le génocide des Tutsis du Rwanda ne peut en effet en aucun cas être mis sur le même plan que les actions de l'armée rwandaise dans le Nord Kivu.
Cependant, un aspect de cette mise au point reste hautement problématique. Cette volonté de Jean-Luc Mélenchon d’exonérer l’armée française de toute responsabilité dans le génocide. On a connu ce dernier plus enclin à dénoncer - et à juste titre - les crimes de nos gouvernements et de nos forces armées - qu’elles soient policières, ou militaires (Algérie, années de plomb en Amérique Latine… etc). Pourtant, il reprend sans le questionner le rapport Duclert qui “exclut sans ambiguïté une participation et même une complicité de l’armée française dans le massacre”. Une participation, encore heureux : non les soldats français n’ont pas eux-même massacré de victimes du génocide. Il est cependant fortement probable qu’ils s’y soient livré à d’autres abominations. Comme je l’ai dit plus haut, ce rapport, auquel JLM accorde valeur de référence absolue, est pourtant critiqué par des historiens spécialistes du Rwanda tels que François Robinet. Il a également été salué par Hubert Védrine, ce qui devrait pousser JLM et Bastien Lachaud, qui “connaissent ce dossier mieux que d’autres”, à se poser plus de questions. Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée de Mitterrand pendant le génocide, fut l’un des principaux “responsables” en question - accusé entre autres dans un article de la revue XXI, d’avoir donné l’ordre de réarmer les génocidaires alors qu’ils étaient en déroute et sur le point de perdre la guerre. Il est intéressant de noter qu’une des critiques principales formulées à l’égard de ce rapport concerne le fait que la commission Duclert n’a pas eu accès à une grande quantité de documents cruciaux. Pourtant, notre députée Clémentine Autain avait posé une question à l’assemblée nationale à ce sujet en 2018. La réponse qui lui fût donnée fût pour le moins.. vague (voir le texte de réponse). Finalement, de nombreux documents qui seraient nécessaires à la révélation de toute la vérité (archives du service historique des armées, qui contiennent les journaux de marche de l’armée française / archives de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda (1998) ) n’ont …toujours pas été rendus publics.
Dans ce cas, pourquoi accorder une confiance aveugle à la politique de Macron sur ce sujet? C’est pourtant ce que fait Jean-Luc Mélenchon, et c’est plus que dommage. Il serait primordial que nos députés continuent le travail de Clémentine Autain en s’emparant de cette problématique et en posant de nouvelles questions à l’assemblée! Par exemple sur la non motivation du refus de Richard Ferrand d’ouvrir à la commission Duclert les archives de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda. Ou sur le rôle de ce cher Védrine, qui compte apparemment un grand nombre d’inconditionnels au sein des dirigeants de la FI. Il y a de toute évidence des questions plus urgentes à poser que celles sur le bien fondé de la nomination de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie.. Cela nous permettra de défendre sans ambiguité la mémoire des victimes du génocide des Tutsis du Rwanda.
Et cela n’empêche absolument pas de défendre les victimes congolaises de la guerre atroce qui ravage actuellement le Nord Kivu. Au contraire. De la même manière que la non reconnaissance par la FI du caractère génocidaire des attaques du 7 octobre en Israël a rendu inaudible sa dénonciation des crimes commis par Tsahal dans la bande de Gaza, la position plus qu’ambigüe de la FI sur le génocide rwandais, ainsi que les déclarations récentes et totalement tordues d’Arnaud Le Gall et Carlos Martens Bilongo sur la situation actuelle dans le Kivu, rendent inaudibles leur défense des victimes de la guerre du Kivu et des centaines de milliers de réfugiés qui survivent dans les camps autour de Goma. Quand Arnaud Le Gall écrit par exemple que “La poursuite, depuis 1996, de participants - réels ou supposés - au génocide des Tutsis rwandais a servi de prétexte à ce qui s’est rapidement apparenté à une invasion.”, tout est dans le “réels ou supposés”, tout est dans cette manière insidieuse d’introduire le doute sur la culpabilité des cohortes de génocidaires qui s’introduisirent au Zaïre à la chute du gouvernement intérimaire, tout en affirmant - sans l’ombre d’un doute cette fois - que l’intervention rwandaise dans les années post-génocide ne fût rien d’autre qu’une invasion. Il omet volontairement de mentionner le fait que ces interventions avaient pour but principal de mettre fin aux massacres de Tutsis conduite par les génocidaires dans les camps de réfugiés du Nord Kivu - massacres dans lesquels furent aussi exterminés d’innombrables congolais tutsis - ainsi qu’à leurs nombreuses incursions meurtrières sur le territoire rwandais. On pourrait également citer la dernière intervention de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet, en date du 1er mars 2024, où ce dernier mentionne "l'agression du Rwanda qui a déjà fait sept millions de déplacés et 6 millions de morts". Il s'agit d'un double mensonge - mensonge sur le nombre exact des victimes des guerres du Kivu, et mensonge sur les auteurs de ces crimes, le Rwanda étant selon le dirigeant de la FI le seul responsable de ces crimes.
Encore une fois, si les prises de position de la FI sur le génocide rwandais étaient irréprochables, de telles interventions pourraient être mises sur le compte d'une méconnaissance de l'histoire de l'Afrique des grands lacs. Mais ce n’est pas vraiment ce qui ressort de l’actualité du mouvement insoumis, si l’on se fie par exemple à la projection, en mai dernier, d’un film négationniste au siège du Parti de Gauche, parti membre de la FI, où quand le conseiller Afrique de Jean-Luc Mélenchon, Patrice Finel, allait “se renseigner” dans une conférence également négationniste, conférence au passage organisée par le conseiller de l’ex-dictateur burundais Pierre Nkurunziza, massacreur de son peuple. Tous les dictateurs africains ne déplaisent apparemment pas aux dirigeants de la FI.
Nous sommes un mouvement anti-impérialiste, et en tant que tel nous nous devons de dénoncer également les crimes dont s’est rendu complice un chef d’Etat, François Mitterrand, socialiste et inventeur du terme “double génocide”, dans la dernière guerre coloniale de la France. Les crimes de la Françafrique font aussi partie de l’histoire du socialisme français, assumons le. Cela pourrait également permettre à la FI d’être du bon côté de l’histoire, le jour où le rôle de la France dans le génocide des Tutsis du Rwanda aura été intégralement documenté, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.