Vous êtes monté dans le métro à la suite d’une petite demoiselle printanière aux jambes longues et frêles. Une courte jupette blanche flottait sur ses hanches de femme au rythme de la marche. Lorsque vous vous êtes dirigé, plus tard, vers l’escalier roulant qui conduisait à la surface, la fille était juste devant vous, à nouveau. Alors, vous avez ralenti le pas, lisant en marchant, mais calculant aussi qu’un retard de dix mètres dans l’escalator…
Et c’est bien ce qui s’est passé.
Elle a profité de la remontée automatique pour poser un sac à ses pieds, enfiler un léger vêtement, et se livrer à tous ces gestes intensément féminins que l’entreprise supposait : il s’agissait notamment de dégager du pull les cheveux longs qui s’y trouvaient maintenant enfermés. Ah ! Dégager les cheveux ! Un geste flamboyant. Une main va chercher sous la masse puis se lance vers l’arrière, projetant la toison noire qui se met à flotter, d’autant que la tête, dans le même temps, se penche alternativement de gauche à droite pour assurer la liberté capillaire. Tout est vague qui ondule. Les cheveux et les étoffes ourlent comme la mer. La jupe est écume blanche sur les fesses qui dardent. Vous ne savez plus où jeter les yeux tant la nature est belle.
Le haut de l’escalator approche. Vous continuez à jouir du spectacle ainsi proposé. Votre regard remontant déjà loin sous la jupe, vous rêvez d’horizons lointains qui se rapprochent. Et le meilleur est à venir.
Parce que la donzelle doit bien récupérer son sac, et pour cela elle se penche rapidement en avant, faisant remonter d’autant sa jupe et vous approchant encore du paradis. Et c’est comme si le temps paressait sur la plage : vous avez deviné son geste un moment avant qu’il ne s’amorce. Vous n’êtes donc pas surpris. Vous avez même un peu l’impression de diriger la manœuvre puisque vous l’anticipez si bien. Et cela vous laisse tout le temps – deux secondes peut-être – de suivre dans tous ses détails ce qui suit. Elle se courbe vers le sol et se rend compte en même temps (quel entraînement tout de même !) qu’il doit y avoir un problème à l’arrière, alors son autre main – celle qui avait soulevé les cheveux – vient illico ramener la jupe contre les fesses, dans le même temps où tout le corps se relève. Trop tard ! La journée est à marquer d’une pierre bleue comme la culotte entrevue trois dixièmes de secondes. La vie est belle.
Mais ce que vous avez volé là, fugitivement, c’est ce que vous pourriez contempler pendant des heures, au mois d’août, sur une plage de vacances écrasée de chaleur, à un moment où vous vous en fichez complètement, ne rêvant que d’ombre et de solitude. Ce n’est pas le spectacle qui est émouvant, ce sont les conditions de son apparition.
Vous avez lu quelque part l’histoire de ce Japonais arrêté par la police de Tokyo parce qu’il filmait sous les jupes d’une jeune femme au moyen d’une caméra miniature dissimulée dans sa chaussure. Coquin va !
Si, gravissant les escaliers derrière une chaloupante demoiselle en jupette, vous vous baissez traîtreusement pour mieux contempler le spectacle subjupal, peut-on vous enfermer, vous condamner, jeter sur vous l’opprobre et mettre en doute votre santé mentale ?
Qu’est-ce qui est punissable exactement ?
La manifestation de votre curiosité ?
Même si vous ne voyez rien ? Ou seulement si vous voyez ? Qui va dire si vous avez vu ?
Et il s’agit de voir quoi d’ailleurs ?
Les cuisses au-dessus du bas ? Vieux jeu ça.
La culotte ?
Ou bien – improbable miracle – l’absence de culotte qui révélerait un fugitif instant, dans la pénombre complice, le sourire intime de la dame dessiné sur ses lèvres secrètes ?
Et lorsque vos yeux plongent dans le décolleté de la serveuse, qu’est-ce que vous risquez ?
Mais peut-être vous fourvoyez-vous depuis le début et n’est-il question que d’image ?
En fait, vous pouvez regarder tout ce que vous voulez, tant que vous voulez, en adoptant les positions les plus bizarres qui soient jusqu’à vous coucher sur le dos au milieu du trottoir, obligeant ainsi les dames à vous enjamber. Rien de tout cela ne serait illégal.
Mais vous ne pouvez pas filmer. Là commence le délit : dans l’image enregistrée. Un délit de vol d’ailleurs.
Si vous payez pour l’image, vous ne commettez plus un délit.
Et attention, il ne s’agit pas d’atteinte à la vie privée (personne ne pourrait de toute façon reconnaître la culotte, ni même le lieu de son absence).
Non, c’est un vol d’image.
Vous savez, comme ces peuples qui refusent qu’on les prenne en photo parce qu’ils craignent y perdre quelque chose.
C’est la rencontre du Droit, des fesses et de la magie.
Billet de blog 1 mars 2010
Escalator vers le paradis
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