La civilisation, est en progrès constant. Nous voici retournés à Bouvines, en 1214. A cette époque, lors des batailles, le but était d’aller zigouiller le chef des armées adverses afin de les mettre en fuite et surtout afin de démontrer que Dieu avait choisi les siens. La bataille comme ordalie.
Voici que les Occidentaux, aujourd’hui, visent spécifiquement Khadafi et sa famille d’une part, et que, d’autre part, ils viennent de se payer Ben Laden (ou du moins, c’est ce qu’on nous dit). Ils n’y allaient pas pour s’en saisir, non. Juste pour le tuer.
« Le monde est plus sûr aujourd’hui grâce à la mort de Ben Laden » a déclaré le président américain. Le précédent, le niais, Georges Bush, avait dit la même chose à propos de la mort de Saddam Hussein : les Irakiens l’en remercient à chaque explosion qui les pulvérise. N’empêche, les Etats-Unis ne tuent que pour le bien du monde et ils tuent beaucoup pour que le bien soit encore plus répandu.
Les journalistes, comme d’habitude, enfourchent leurs micros et caméras et vont porter la Bonne Nouvelle à travers l’univers. On nous refait le parcours de Ben Laden, ignoble individu « né d’une famille aisée » (tiens ! tout à coup, c’est devenu un mauvais point ?) qui serait responsable de plus de 8000 morts sur toute sa carrière. C’est vrai 8000, ça fait mal. Mais les chiffres bruts (surtout quand ils décrivent les activités des brutes) sont très…abrutissants. Si on essayait de les mettre en parallèle avec d’autres chiffres dont on parle moins ? Par exemple celui-ci : rien que la dernière guerre américaine en Irak a causé la mort d’au moins 105 000 Irakiens. Pas mal non plus. Si ça n’est pas du terrorisme ça... Il a l’air un peu couillon le Ben Laden avec ses 8000 victimes seulement.
Vous me direz que la mort de 8000 gentils, c’est plus grave que celle de 100 000 méchants. Et que maintenant tout va être tellement « plus sûr » en Irak…pour les sociétés privées américaines : contrats pour les armées de mercenaires, contrats pour la reconstruction, contrats pour le pétrole, etc.
D’accord, Saddam n’était pas particulièrement sympa, Oussama un rien obsessionnel et Khadafi légèrement fêlé. Si les Etats-Unis décident maintenant d’abattre tous leurs adversaires dérangés (ou simplement dérangeants ?) afin d’ouvrir des marchés à leurs entreprises, on va avoir droit bientôt à une série d’accidents malheureux en Amérique latine, en Asie et en Afrique (Gbagbo n’est pas encore pendu ? Qu’est-ce que ça traîne).
Mais le monde s’en trouvera tellement plus sûr, n’est-ce pas.
J’en entends au fond de la classe qui murmurent « il vaut tout de même mieux trucider les chefs que les soldats ». N’ont pas tort d’une certaine manière. J’aurais bien assisté à un duel organisé entre Ossama et Obama. Le problème, c’est que ce dernier passerait tout son mandat dans l’arène à devoir répandre les tripes de tous ses ennemis non Américains. Et puis, avec des méthodes pareilles, nous devrions retourner aux urnes sans cesse, à chaque fois que notre lutteur se ferait occire. Alors, on élirait le plus costaud au lieu d’élire, comme aujourd’hui, le plus beau, le plus filou ou le plus rigolo. Pas très sain tout de même.
Ordalie pour ordalie, je propose que les conflits internationaux se jouent sur un coup de dés. On commencerait par lancer une O.P.A. (Offre Publique d’Agression) et on vérifierait que personne d’autre n’est intéressé. Puis on organiserait la rencontre sur terrain neutre. Cela coûterait nettement moins cher que les guerres actuelles : il suffirait d’avoir une table, deux chaises, un dé et une piste ad hoc. Sans oublier les caméras du monde entier. Chacun lance son dé et hop, Dieu choisit le vainqueur.
Même Lui ne serait pas mobilisé trop longtemps.