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Billet de blog 5 février 2010

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Au temps pour moi !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La plupart des sources – mais pas toutes- prescrivent d’écrire « au temps pour moi » plutôt que « autant pour moi ».
On l’explique en disant que l’expression est à la fois d’origine militaire (il s’agit alors du « temps » du maniement d’arme à l’exercice, et l’officier dit « au temps pour moi » lorsqu’il est lui-même à l’origine d’une erreur de tempo) ET d’origine musicale (même idée avec le chef d’orchestre lui-même cause d’une erreur de temps dans le rythme musical).
A mon humble avis, toutes les « explications » qui font intervenir une double origine sont particulièrement idiotes : une même expression recouvrant une même signification ne naît pas en même temps dans des milieux aussi différents qu’une cour de caserne et une fosse d’orchestre. Il y a forcément antériorité d’un côté et simple adoption de l’autre puis passage au langage courant.
Rien ne permet à ce stade de décider qui des militaires ou des chefs d’orchestre sont à l’origine réelle de l’expression. Ce sont les militaires qui sont le plus souvent cités. A titre personnel, je les trouve pourtant les moins crédibles (mais, suis-je bien objectif ?) : j’imagine mal, en effet, un officier devant s’excuser auprès de la troupe à chaque erreur qu’il commettrait, et devant le faire à ce point systématiquement qu’il en naîtrait une expression nouvelle. Les relations entre supérieurs et subalternes sont réglées par des conventions plus basiques au sein de l’armée, non ? A la limite, c’est l’homme de troupe qui devra s’excuser quand l’officier fait une erreur…
Bon, mais moi je n’ai pas fait l’armée.
Plus intellos, plus subtils et plus roublards, les chefs d’orchestre me paraissent être de meilleurs candidats. Et à leur crédit, signalons que l’expression existe aussi en Italien (Al tempo !) avec le même sens. Chacun sait que les Italiens se sont plus distingués par leurs qualités musicales que par leur fougue militaire, et c’est tout à leur honneur. Mais, me dira-t-on, faire l’exercice de maniement d’arme dans une cour de caserne ne nécessite ni fougue extrême, ni courage hors du commun. D’accord. Mais pas non plus beaucoup d’imagination, qu’elle soit langagière ou autre…
Certains diront (personne ne l’a encore fait, mais autant devancer la chose…) que face à cette angoissante question, il suffirait de trouver un compromis élégant. On hésite entre le milieu militaire et le milieu musical ? Qu’à cela ne tienne ! Il y a des musiques militaires. A cela je répondrai que la linguistique n’est pas la politique et que la recherche du compromis, même élégant, ne fait pas franchement avancer les choses.
Que conclure de tout ça ? Que l’expression, d’où qu’elle vienne, semble naître du fait qu’un dominant quelconque (militaire, musical ou autre) a admis un jour avoir fait une erreur de tempo. C’est bien de l’avoir admis. Les domaines dans lesquels le tempo peut avoir de l’importance sont assez nombreux. Il en est un qui n’est pas cité dans les sources dont j’ai pris connaissance et qui pourtant fait la joie de nombreuses personnes dans le monde : françaises, italiennes ou laponnes, manieuses de baguettes ou de sabres (mais pas de goupillons en principe), hommes ou femmes (souvent hommes et femmes). Dans cette activité –n’en déplaise aux vieux machos- le statut de dominant découle uniquement de la position adoptée pendant la phase d’exercice considérée : on est dominant lorsqu’on est au-dessus et donc en mesure de commander le rythme.
C’est dit, j’adopte.
Les recherches récentes sur l’origine de l’Homme viennent d’ailleurs conforter ma thèse. L’acquisition de la bipédie a permis que se mettent en place des organes de la phonation capables de produire une multitude de sons autorisant un langage élaboré. Dans le même temps (ou presque : à cette échelle, que sont quelques millions d’années, je vous le demande ?), l’être quasi humain a modifié profondément ses habitudes sexuelles et a notamment découvert la copulation face-à-face ce qui lui permettait de communiquer en même temps qu’il ahanait. Tout est là : découverte du langage et de l’érotisme sont liés.
« Au temps pour moi » est la première phrase prononcée par une femme ou un homme dans ces circonstances torrides particulières. Aveu d’échec sans doute, ce qui nous montre combien le plaisir est subtil, fuyant et toujours à redécouvrir, mais aussi (dans le non-dit) promesse de jouissances améliorées et renouvelées. « Au temps pour moi » est l’expression fondatrice de l’humanité.
Vous voyez bien que ça ne pouvait pas être un militaire.
Et lorsque certains linguistes et grammairiens cacochymes viennent vous dire qu’il faut écrire « autant pour moi », comme tout le monde et comme le simple bon sens le commande, ils paraissent un peu légers vous en conviendrez. Ils ont beau grincer entre leurs dents jaunies que toutes les fumisteries expliquant la thèse du « Au temps pour moi » ne sont que pédanteries surannées, nous nous contenterons de sourire finement, sachant que l’expression est née du premier coït facial et qu’elle précède de peu le premier orgasme ayant traversé les fondements féminins et masculins d’une secousse unique.
Et si je me trompe, ôtant pour moi.

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