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Billet de blog 9 avril 2010

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Lettres nigérianes

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Ma chère Ibbena,

Songe que nous nous sommes quittées il y a quatre semaines à peine et que je suis déjà bien installée en ce lieu si lointain ! Certains des gens d'ici nous prennent encore pour des sauvages qui regardent avec crainte les oiseaux argentés passant dans le ciel. Ce sont des sots. Il n'en reste pas moins que l'avion est une expérience qui nous change des longues journées de marche dans la forêt.

On nous a logés dans un hôtel immense en plein centre de la ville de Bruxelles. Tout ici est surprenant.

Les automobiles circulent les unes contre les autres à la vitesse d'un homme à pied, ce qui fait douter de leur utilité. Mais le bruit qu'elles font, personne n'en doute : parfois, on ne s'entend même plus parler. Il semblerait d'ailleurs que ce soit inutile : chacun va de son côté, d'un air pressé et nul n'envisage d'entamer une conversation dans la rue.

Mais ce qui m'a le plus surprise, c'est l'immense honte qui m'est venue dimanche dernier. Il faut que je t'explique.

D'abord, il faut que tu saches qu'il fait ici très chaud. Je sais, nous imaginions toutes que l'Europe était presque toujours recouverte de neige. Eh bien non. En ce mois de juillet, à Bruxelles, il fait presque aussi chaud que chez nous mais cette chaleur est encore plus dure à supporter. On nous dit que c'est parce que nous sommes en ville, qu'il n'y a pas d'air (si, mais il sent mauvais...), que le soleil est réfléchi par les façades au lieu d'être filtré par les arbres, etc. Sans doute.

Je suis donc allée avec Usbeki sur une curieuse plage en bord de la mer du Nord. D'habitude, traumatisés par les frimas habituels, les gens n'osent plus quitter leurs lourds costumes. Là, c'était différent. Tout le monde se dénudait et l'on voyait les peaux fragiles défiant le soleil. Nous sommes restés sur place quelques heures à regarder cette foule cuisant peu à peu. Puis nous sommes entrés dans la ville portuaire dans l'intention d'y consommer des moules, plat typique de l'endroit. Il n'a pas fallu plus de deux minutes pour que deux policiers tout rouges d'émotions et suants viennent me menacer en trois langues (néerlandais, anglais et français) de me mettre en prison si je ne couvrais pas immédiatement mes seins !

Ils sont fous dans ce pays !

Ils vous montrent à la télévision des femmes nues qui hurlent de plaisir, ils perçoivent comme normal de montrer ses seins sur la plage ou lorsqu'on allaite son enfant, mais la police vous menace si vous faites trois pas sur un trottoir la poitrine à l'air.

Comment s'y retrouver ? On peut se mettre à peu près nu sur une plage, mais 50 mètres plus loin, on ne peut même plus paraître en sous-vêtements et il y a des cabines d'essayage dans les magasins de vêtements... Les gens s'y engouffrent prestement, comme s'ils étaient gênés, même lorsqu'il s'agit tout bêtement d'essayer un lainage.

Un ami indigène nous a parlé des allées et venues de la pudeur dans les pays européens : la jambe interdite, la cheville montrée qui fouettait les libidos, la jambe finalement dévoilée qui ne fouettait plus rien, la cuisse apparaissant sous la jupe devenue symbolique, les luttes pour que les femmes aient le droit de porter pantalon (il était interdit à une femme enseignante de donner cours en pantalon, alors pourtant que le pantalon cachait plus que la jupe !), les cheveux des femmes "libérées" qui raccourcissent dans les "Années folles", le scandale des jeunes femmes des années 70 laissant leur poitrine libre sous le t-shirt, le scandale actuel des femmes voilées qui mettent leur pudeur dans les cheveux en plus de leur poitrine. Et alors ? La poitrine est-elle par essence offensante alors que les cheveux ne le sont plus ? Pourtant, ils l'étaient encore dans les églises il n'y a pas si longtemps et les femmes les couvraient d'un tissu.

En fait, tout ce qui est différent entre une femme et un homme est susceptible d'attentat à la pudeur et les femmes exhibant ces parties de leur corps risquent d'être considérées comme déviantes. Pourquoi les hommes, eux, peuvent-ils exhiber tout sauf leurs organes génitaux ? On les voit torse nu sur les chantiers, sur les terrains de sport, à la plage bien sûr, dans leur jardin, on les voit exhibant leurs jambes poilues en ville. A quand l'interdiction aux femmes de montrer leurs joues (puisqu'elles sont imberbes, c'est choquant...) ou même à quand l'obligation pour elles de rester silencieuses en public au risque d'enflammer la sexualité masculine avec leurs voix plus haut perchées ?

Et si on laissait les femmes s'habiller comme elles veulent ? Que ce soit pour des raisons d'esthétiques, de mode ou de religion, qu'importe.

On ne fait pas de procès aux hommes qui s'habillent en robe : les curés il y a peu, les évêques encore, le pape. Ils se déguisent tous en drag queens.

D’aucuns proposeraient d’autoriser le voile des femmes à condition qu’elles se promènent les seins à l’air sur les plages. Mais personne ne prend au sérieux l’éventualité. Je tenterais bien l’aventure…

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