Tous les soirs, la télévision diffuse la messe de vingt heures ; l’officiant de service nous dicte les pensées du jour et psalmodie un couplet obligé sur les vilains pécheurs. Ils ont tué, volé, brutalisé et sont envoyés croupir dans les geôles.
Après la messe, le bon peuple est invité à chanter les vertus de la morale : c’est une succession de séries et de films où de gentils policiers poursuivent de patibulaires malfrats.
Malfrat.
Le mot était tombé en désuétude, évoquant Mandrin, Villon ou les chaînes de bagnards, plus que nos prosaïques « malfaiteurs » et « délinquants ».
Il y a une dizaine d’années, les télévisions ont remis « malfrat » au goût du jour.
Tout bénéfice.
Le mot renvoie au passé supposé sombre. Il est court, définitif. Il perd le caractère descriptif de « malfaiteur » (même si les racines sont les mêmes) et il gagne en émotions pas chères grâce à la finale crachée : [fra], haineuse. Vraiment, c’est cra-cra un malfrat !
Passer d’un mot à un autre ressource nos émotions et les remet au goût du jour. Imaginons que des temps plus riants nous reviennent un jour : les malfrats deviendront des malandrins. Nettement plus dansant, n’est-ce pas ?
Et aux yeux des téléspectateurs, qui, croyez-vous, peuple les ergastules, pourrissant sur la paille humide de cachots aux relents d’éternité ? Des monstres ! Rien que des monstres.
N’entrons pas aujourd’hui, une fois de plus, dans les longs développements – très pertinents – sur les sens de la peine. Tout le monde s’en souvient : punir, réinsérer, dissuader…
Les medias, eux, ne s’intéressent qu’à l’aspect punition. Donc, le grand public aussi. D’où sans doute l’impossibilité d’intéresser profondément les pouvoirs publics au métier d’enseignants en prison, ou d’assistants sociaux, ou de psys.
Pourtant, les détenus – dans leur immense majorité – ne sont pas les monstres assoiffés de sang qui égaient nos soirées télévisées.
Ce sont essentiellement des gamins issus de milieux défavorisés. On sait que le milieu social pèse de tout son poids sur la réussite scolaire. Pas de surprise : les détenus ont raté leurs études.
D’où leurs difficultés à trouver un emploi, surtout en cette période de chômage élevé. Et s’ils en trouvent malgré tout, c’est au bas de l’échelle sociale…et salariale. Eux, pourtant, ils rêvent comme tout le monde de luxe, de puissance et de gloire. Tout les y encourage : la pub, les séries télé, la constante mise en avant médiatique du succès économique.
A l’heure où les écarts entre riches et pauvres augmentent et où le pouvoir d’achat est une mesure imbécile de la dignité humaine, il n’est pas surprenant que certains des perdants et des sans-espoirs cessent d’obéir aux règles d’un jeu dont les dés sont pipés.
Alors ? Que voulons-nous ?
Puisque, en tant que travailleurs socio-pédagogiques, les enseignants en prison n’ont aucune influence sur la qualité du matériel de jeu – fourni par le FMI et la Banque mondiale -, ils se contentent humblement de combler un des fossés creusés entre les détenus et la réussite sociale : leur niveau scolaire.
Bref, ils veulent transformer le Pauvre Martin de Brassens en baron Rotschild, rien qu’en lui mettant un stylo entre les mains.
C’est bouffon et dérisoire ?
Peut-être.
Mais vous avez une autre solution ?
Billet de blog 10 octobre 2011
Enseignants en prison et malfrats
Tous les soirs, la télévision diffuse la messe de vingt heures ; l’officiant de service nous dicte les pensées du jour et psalmodie un couplet obligé sur les vilains pécheurs.
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