Il y a peu, j’ai entendu une personne fulminer parce que s’élevait dans l’air, autour de nous, un fumet intestinal caractéristique.
Trop de monde. Impossible de désigner un coupable et de le clouer au pilori. La vitupérante allergique entama donc à haute et forte voix une tout aussi nauséabonde diatribe afin de jeter l’opprobre sur l’auteur « dans le vent » si je puis dire. C’était sa Majesté qui coiffait l’anonyme impétrant de la couronne ignominieuse. Que n’allait-il faire cela au-dehors pour y faire tomber les mouches ?! In petto, je me fis la remarque qu’elles seraient plutôt attirées. Mais les autres, autour de moi, renchérissaient bruyamment (aussi bruyamment que le coupable avait été silencieux), chacun clamant son dégoût. Le ton monta en même temps que l’odeur. C’était une vraie pétaudière que ce colloque erratique et suffoquant où chacun prenait la parole sans écouter les autres.
Jusqu’au moment où une voix fluette s’éleva pour excuser un peu le Péteur Inconnu : « Peut-être ne l’a-t-il pas fait exprès ? ».
« Comment ?! », hurla la première et pétulante pétasse pétrie de certitudes, « on peut toujours contrôler ça ! C’est un acte volontaire ! ». Et de nous expliquer, d’un air pète-sec, que la perle est toujours voulue, que le pétard est une arme de destruction massive, que la vesse pétaradante est un crime prémédité et que, si le pervers, ensuite dans le pétrin, s’en repent a posteriori, il n’en est pas moins coupable : s’il a coutume de se sauver comme un pet, il nous laisse les traces de son forfait. La mégère stercoraire glosait à n’en plus finir, sur le ton prout-prout qu’affectionnent les gens de bonne famille, laissant l’assemblée pétrifiée de stupeur. Il fallait séance tenante lancer une pétition pour interdire la perlouse en public. On devait se constituer en groupes d’autodéfense et hanter les réunions pour, en quelque sorte, y faire le pet et dénoncer les coupables aux autorités, comme aux plus beaux jours de Pétain. Elle pétrolait sans cesse, nous crachant des postillons au visage. Ses yeux étaient deux pétoires bleu pétrole fusillant l’assemblée.
Au moment où un pétale se détacha du bouquet de rose ornant la cheminée, je fus pris d’un brusque besoin de beauté et me sauvai, comme un pet moi aussi.
C’est qu’il me fallait réfléchir un instant.
Elle avait tout de même raison : nous contrôlons évidemment nos sphincters. Comme la plupart des animaux que je connais, nous décidons où et quand déposer nos fèces et répandre nos senteurs. Question de stratégie vitale je suppose. Peu importe.
Voilà que du simple chat de gouttière à cette merveille de la création qu’est l’être humain, le processus est le même : pression dans le ventre, demande d’autorisation au cerveau, débat à l’intérieur d’icelui, autorisation ou non. Pour un acte aussi anodin – et même un rien trivial – on s’adresse au cerveau qui trône là-haut, bien protégé dans sa boîte, occupé à philosopher sur le devenir de l’humanité, à calculer la trois millième décimale de Pi ou à s’interroger sur l’heure de fermeture du supermarché. Vous ne trouvez pas que c’est un peu du gâchis ?
Mais il n’y a pas à discuter, le bon dieu l’a voulu comme ça.
Il s’est demandé pendant des jours et des jours (et des jours de bon dieu, c’est long) si le pet devait être sous la responsabilité de la conscience. On ne sait pas ce qui l’a fait trancher dans le sens que nous connaissons aujourd’hui. Il aurait pu dire qu’il en serait pour le pet comme pour les battements cardiaques, que ce serait automatique, avec une puce électronique qui réglait tout ça. Non, il a voulu que nous exercions notre liberté d’humains dans ce domaine. C’est gentil. Bon, on aurait bien aimé pouvoir l’exercer aussi en ce qui concerne le menu du vendredi, le sort à réserver à la femme du voisin, le mariage des prêtres ou l’utilisation de nos autres organes avant le mariage, mais on ne peut pas tout avoir. La liberté de péter, c’est déjà pas mal.
Et puis le bon dieu n’a pas eu forcément le temps de réfléchir à fond à la question. Il avait plein de choses à faire pour être prêt à temps. Combien de points sur le dos des coccinelles par exemple ? Pas facile hein ? Sans compter que je ne sais même pas ce qu’elles font quand elles ont un gaz…
C’est hilarant.