Ce dimanche 23 janvier, des milliers de gens vont défiler dans Bruxelles pour réclamer un gouvernement le plus vite possible et pour exprimer leur mauvaise humeur à des « personnalités politiques élues pour gouverner mais ne faisant pas leur boulot ». Le mouvement est né sur Facebook à l’initiative de quelques étudiants, flamands et francophones, qui déclarent ne rouler pour aucune formation politique, ce qui pourrait bien être vrai.
Vont donc se retrouver dans la rue, sous la bannière de l’apolitisme, plein de gens dont les motivations seront fort diverses. Pour n’en donner qu’un exemple, disons que les deux seules formations politiques ayant officiellement appelé à manifester sont le PP (Parti Populaire, avec à sa tête l’avocat Modrikamen, parti le plus à droite du côté francophone) et le PTB (parti le plus à gauche du côté flamand). Qu’ont-ils en commun sinon le rejet du personnel politique en place ?
Quelle est la situation politique ?
Impossible de former un gouvernement avec les partis sortis des urnes aux dernières élections législatives.
Du côté francophone, c’est le Parti Socialiste qui domine. Convenons qu’il n’a plus de socialiste que le nom. Au vrai, c’est un parti qui défend l’économie de marché mais dont l’électorat est traditionnellement plus nombreux dans les couches populaires. Il se doit donc de le cajoler un minimum s’il veut le garder. Or, s’il veut entrer dans le prochain gouvernement (et il le veut) le Parti Socialiste va devoir rentrer aussi dans les bonnes grâces de la finance internationale qui presse la Belgique de réduire son déficit public. Les agences de cotation internationales sont en train d’enlever des points au mauvais élève belge, ce qui plombe ses capacités d’emprunt sur les marchés internationaux. Le FMI, lui aussi, presse la Belgique de se conformer à la règle dictée à Washington : dérégulation, retrait de l’Etat de la sphère économique, liberté totale des marchés, baisse des impôts. Pour faire avaler cette pilule-là à ses électeurs, le PS va devoir démontrer qu’il ne peut vraiment pas faire autrement. Maintenant, bien sûr, si tout le monde le lui demande en défilant dans la rue, le PS acceptera de gérer l’Etat main dans la main avec les forces de droite qui veulent réduire les allocations de chômage, contrôler la masse salariale (les dernières négociations entre patrons et syndicats ont abouti à une hausse salariale à peine symbolique) « pour être commercialement compétitifs sur le plan international », et, plus généralement, laisser le secteur privé remplacer tant que faire se peut le secteur public.
Manifester pour qu’un gouvernement soit mis en place rapidement, c’est donner un blanc-seing au Parti Socialiste…qui n’attend que ça.
Du côté néerlandophone, c’est la NVA qui domine. Sa victoire électorale est construite sur une union des mécontents, d’abord sur le plan communautaire (pour une Flandre la plus autonomie possible, parce que plus riche), ensuite sur le plan social (les traditions sont plus à droite en Flandre). Si la NVA entre dans un gouvernement, elle ne pourra le faire qu’en abandonnant certaines de ses revendications et elle prêtera donc elle aussi à la critique populaire quand elle sera aux affaires. D’où la quasi certitude, pour elle, de subir un revers électoral aux prochaines élections, puisque les mécontents, un peu par définition, ne votent pas pour des partis au pouvoir. La tentation est donc grande de ne pas entrer dans un gouvernement. A moins qu’on ne l’en prie très, très fort. Forcément, si des tas de gens défilent dans les rues en réclamant un gouvernement, la NVA sera « obligée » de se faire violence… Mais elle pourra dire à ses électeurs qu’elle y est allée sous la pression populaire.
Un peu comme le Parti Socialiste.
Ces deux partis ne font pas cause commune consciemment pour tromper leurs électeurs. Il ne s’agit pas d’un grand complot malfaisant. Non. Mais il y a convergence d’intérêts.
Jusqu’ici, ils devaient - chacun de son côté - laisser pourrir la situation, selon le bon principe clairement mis en évidence dans le livre de Naomi Klein « La Stratégie du Choc » : il faut choquer les populations (guerres, catastrophes en tous genres, crises économiques, etc) pour ensuite pouvoir leur imposer des reculs sociaux qui apparaissent alors comme des pis-aller rassurants.
C’est bien ce qui va se passer.
Le prochain gouvernement sera un gouvernement de régressions sociales que des manifestations populaires auront en quelque sorte appelé de leurs vœux.