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Billet de blog 23 mai 2010

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Foot, chansonnettes et élections

L’inter de Milan a battu le Bayern de Munich.J’imagine que les journaleux sportifs décrivent cela, comme d’habitude, en termes militaro-religieux confinant à l’épopée.

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L’inter de Milan a battu le Bayern de Munich.

J’imagine que les journaleux sportifs décrivent cela, comme d’habitude, en termes militaro-religieux confinant à l’épopée.

Autant j’ai plus ou moins compris pourquoi on est supporter du club (de foot ou d’autre chose) de son village, de sa région, de son pays, de son continent (on supporte les autres supporters), autant il me paraît encore étrange que lors d’un match entre deux équipes étrangères, l’Inter et le Bayern en l’occurrence, les amateurs prennent partie a priori pour une des deux équipes.

Est-ce parce que, sinon, le spectacle est tout simplement ennuyeux ? Sans doute en partie.

Ou bien est-ce, plus fondamentalement que nous touchons là une sorte d’atavisme ? Peut-être aussi, même si je ne suis pas « supporter » des atavismes.

Ou bien est-ce parce qu’on est fasciné par les footballeurs, sortes de demi-dieux grassement payés ?

Les medias mettent en pleine lumière des individus afin que les foules puissent s’identifier. Fabrication d’idoles. Substitut aux religions. Adoration.

On a déjà fait le lien avec les jeux du cirque. On sait que les pouvoirs se doivent de distraire les populations pour éviter qu’elles ne se distraient à leurs dépens.

On a fait le lien aussi avec les spectacles en général. C’est particulièrement vrai aujourd’hui en ce qui concerne les comédiens et les pousseurs de chansonnettes : on va jusqu’à organiser des spectacles destinés à élire les vedettes des prochains spectacles…

A chaque fois, on met au centre l’individu, le présentant comme exceptionnel, irremplaçable.

Mais tous ces individus ainsi proposés à l’adoration du public sont eux-mêmes une foule tant ils sont nombreux. Dès que l’on prend un peu de distance avec l’événement mis en scène, ces individus prennent des allures de pitoyables anonymes en quelque sorte. La volonté de créer des personnes admirables érode l’objectif : plus on en présente dans les medias, moins ils se distinguent les uns des autres, ce qui nécessite d’en « découvrir » (créer) d’autres, etc. Derrière cette quête sans fin se profile la vérité fuie : nous sommes tous, de plus en plus, des anonymes.

Kundera exprime cela dans « L’insoutenable légèreté de l’être » : plus nous sommes nombreux, moins chacun de nous « pèse lourd », y compris à ses propres yeux. J’ajouterais que nous ne sommes pas uniquement plus nombreux en nombre (6 milliards et quelques) mais surtout en « encombrement » ; nos interactions sont facilitées, considérablement multipliées par les progrès des moyens de communication (journaux, téléphone, radio, télé, internet…), et cela en fort peu de temps à l’échelle de l’histoire.

Alors, pour combattre l’anonymat, on fabrique des personnages, pour combattre la solitude dans le nombre, on fabrique des joueurs de foot.

Cette tyrannie de l’individu factice a des répercussions plus graves sur la vie politique par exemple. Là aussi, on a fait en sorte que la population s’exprime sur des personnes et non plus sur des idées. Les élections sont devenues des spectacles télévisés (j’en suis personnellement très friand, autant que le supporter de foot l’est de son match du dimanche après-midi) qui poussent sur le devant de la scène des gens présentés comme des modèles (souvent un peu moisis, mais c’est un autre débat…) et qui débitent peu ou prou le même discours. On est prié de considérer cette mise en scène comme LA démocratie. On en parle entre nous autour d’un verre comme s’il s’agissait du prochain match de coupe et on s’installe devant la télé le dimanche soir pour vivre, en une heure et demie, les mêmes

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