Dans son spectacle télévisuel de janvier 2010, Sarko a regretté - avec presque des sanglots dans la voix - la disparité entre couches sociales concernant la réussite aux études ; il a même admis que les enfants de riches avaient dix fois plus de chances de décrocher un bon diplôme que les enfants de pauvres. Et ça, généreux comme il est, il ne pouvait pas l'accepter et allait donc le combattre en réformant l'école.
Bon. On va faire comme s'il y avait eu un brin de franchise dans ce discours.
Imaginons que notre Batman vole de collèges en lycées pour tout arranger et faire en sorte que ce ne soient plus les pauvres qui échouent mais simplement les cons, d'où qu'ils proviennent socialement. Si l'on veut des résultats pour la prochaine génération, il faudra que les enfants soient enlevés à leur milieu social d'origine dès leur naissance pour recevoir tous, dans le même environnement, le même enseignement. C'est le principe de l'élevage. Rien de bien scandaleux. On le fait bien pour les vaches et les saumons. On peut aussi y aller moins fougueusement et se donner plusieurs générations pour arriver à un résultat, ce qui permettrait d'élever nos petits dans leur propre poulailler.
Le plus difficile à se représenter dans l'hypothèse, ce n'est pas Sarko-Batman volant en survêtement bleu, c'est que les copains riches de Sarko laissent faire. Mais jouons le jeu. Disons que les riches, distraits, ne remarquent rien et que, le jour du bac, ils constatent que leur progéniture a plus de dons pour manier la truelle que le stylo. On aurait là une société qui construirait la distinction sociale sur le niveau intellectuel et non plus sur la fortune. Mais – méritocratie oblige, les meilleurs ayant droit aux meilleurs revenus selon Sarko – des fils et filles de pauvres deviendraient riches à leur tour, reléguant de la marmaille nantie mais idiote dans les bas-fonds de la société.
On ne voit toujours pas pourquoi les riches d'aujourd'hui - qui ont le pouvoir – permettraient qu'on déclasse ainsi leur progéniture, mais imaginons tout de même que le système s'installe : les gosses sont triés suivant leurs capacités intellectuelles profondes, réelles, génétiques (difficile de trouver un adjectif adéquat pour caractériser quelque chose qui n'existe pas...parce que un cerveau, c'est un bout de viande : tout dépend l'usage qu'on en fait ensuite, mais c'est un autre sujet...).
On resterait malgré tout dans une société avec des riches et des pauvres.
En quoi serait-ce fondamentalement plus juste que les intelligents détiennent la fortune ? Inversement, le fait de naître moins malin diminue-t-il vos aspirations au confort, au plaisir ? Non. La frustration des sots-pauvres nouveaux sera la même que la frustration des pauvres sots d'avant.
Une société qui se construirait sur la richesse des intelligents n'aurait rien fait de mieux que toutes celles qui se sont construites sur la richesse des plus forts en muscles ou des plus retors, ou des plus chanceux.
Sommes-nous ou ne sommes-nous pas des sociétés civilisées ? La civilisation ne consiste-t-elle pas, justement, à contrer les effets mécaniques de la nature afin de nous élever au-dessus des hasards (capacités physiques ou cérébrales) qu'elle essaie de nous imposer ? Alors, que viennent faire des arguments dans le genre : « il est le plus beau (fort, intelligent, grand, méchant, cynique, etc), donc il doit être le plus riche » ? C'est bon pour une société de vers de terre – à la rigueur – mais pas pour les « êtres supérieurs » que nous sommes.
Revenons un instant sur le constat de l'inégalité face aux études.
Je tire les chiffres suivants de l'excellent ouvrage « Le système des inégalités », de Alain Bihr et Roland Pfefferkorn. Ils se réfèrent à la situation française, mais sont transposables, en gros, aux autres pays européens.
Les fils de cadres ont 6,4 fois plus de chances que les fils d'ouvriers d'avoir un baccalauréat général en 2002, et 8 fois plus d'obtenir un bac S (scientifique), le plus valorisé socialement. La proportion d'individus possédant au moins le baccalauréat est de 80% à 90% parmi les enfants de cadres, moins de 40% parmi les enfants d'employés ou d'artisans, un peu moins de 30% parmi ceux d'agriculteurs et à peine plus de 20% parmi ceux d'ouvriers. Seulement 2% des enfants d' « ouvriers sans diplôme » arrivent à un niveau supérieur à bac+2. Ou bien ils ont un cerveau moins performant (ayant souffert d'un manque de foie gras et de caviar dans leurs biberons ?) ou bien c'est la situation sociale des parents qui détermine tout.
Puisque je suis dans les chiffres (et dans le bouquin déjà cité), examinons à leur lumière LA lumineuse idée de Sarko : « Travailler plus pour gagner plus ». Je m'étonne encore aujourd'hui qu'elle soit essentiellement discutée sous l'angle de sa faisabilité ou non. J'aurais plutôt tendance à mettre en avant son caractère monstrueux qui devrait rendre son auteur passible du Tribunal Pénal International pour crime contre l'humanité.
Non, je n'exagère pas.
Il va de soi que l'idée de travailler plus pour gagner plus ne peut intéresser que les gens qui gagnent peu jusqu'ici. Les autres, ils auraient plutôt tendance à faire l'inverse : travailler moins pour gagner plus. C'est beaucoup plus efficace. Voyez les détenteurs d'actions : est-ce qu'ils travaillent ?
Donc, la proposition est : « si au lieu de travailler 40 heures par semaines, vous alliez travailler 60h, vous seriez moins pauvres, bandes de fainéants ».
C'est là qu'interviennent les chiffres dont je voulais parler.
Les employés et les ouvriers vivent de 6 à 7 ans de moins en moyenne que les cadres et professions intellectuelles supérieures. Les raisons avancées sont « accidents, maladies professionnelles, usure générale physique et psychique ».
Donc, proposer aux gagne-petit de travailler plus, c'est en même temps les envoyer au cimetière un peu plus vite. Notez que le calcul n'est pas idiot du point de vue des riches : les pauvres rapporteront plus de leur vivant et coûteront moins quand ils seront vieux parce qu'ils auront le bon goût de mourir encore plus vite.