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Billet de blog 8 mars 2023

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Punir et/ou accompagner les hommes violents ?

Il y a les féminicides, et puis le reste.. les hommes banalement violents et dominants... Comment accompagner les hommes dans la révolution du genre que nous sommes en train de vivre ? Daniel WELZER-LANG Vient de publier : Autobiographie d’un mec, sociologue du genre, retour sur 35 ans de recherches critiques, chez érés à Toulouse.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous étions peu, il y a une trentaine d’années, à critiquer la domination masculine, les violences masculines domestiques, le sexisme et l’homophobie…

Aujourd’hui, pour une partie de la population qu’il reste à quantifier, c’est devenu un truisme, une évidence. C’est un réel progrès pour la disparition du genre comme système socio-politique oppressif pour les unes et aliénant pour les autres.  

Pour une partie conséquente de la population, féminisme n’est plus un gros mot, une insulte. C’est une évidence collective !

 Nous sommes encore dans une période où l’action juridique, la modification (utile) des lois liées à la Domination Masculine, les actions pour condamner les violences sexistes, réduisent souvent les luttes à une victimologie binaire qui enferme les personnes qui subissent les oppressions dans un système protecteur dit bienveillant, mais qui de fait leur interdit un statut complexe de sujet à part entière. On a souvent remplacé l’analyse politique du genre par une nouvelle morale qui conforte le genre en le repeignant de couleurs plus flashies.

Après la révolution #Meetoo, il reste une grande confusion quant à la judiciarisation de ces violences de genre dont la première, disait Pierre Bourdieu, la violence symbolique, consiste à nommer/désigner une personne homme ou femme en lui attribuant alors de facto l’ensemble des stéréotypes associé à cette partition du genre. Faut-il mettre au tribunal toutes les personnes qui désignent un-e individu-e comme Monsieur ou Madame ? 

Et les hommes ? Les « mecs » ?

Nous les hommes, les « mecs » — et je dis « nous » à dessein —, avons été légitimement critiqués pour nos attitudes et comportements sexistes. Être homme, donc dominant, est objectivement, consciemment ou non, un exercice de pouvoir et de violences.

 Un certain nombre d’hommes sont déjà convaincus par l’égalité de genre. Quand, du fait des luttes de femmes, les privilèges accordés au masculin diminuent ou s’effacent, il est temps pour certain de chiffrer le coût de l’aliénation de genre qu’ils subissent, de se tourner vers une critique des modèles virils et une quête d’autres modèles sensibles (cette sensibilité interdite aux garçons) ; de participer aux luttes mixtes antisexistes, de revendiquer ces valeurs.

D’autres hommes, vivant ou se découvrant dans des minorités sexuelles, dans des groupes racisés, ceux à qui on refuse les privilèges de la virilité hétéronormative, ont compris l’intérêt (et les plaisirs) de la lutte commune.

Quant aux hommes considérés comme « normaux » pendant des dizaines d’années, des hommes « cisgenre » [mais ils ne le savent pas], certains essaient autant que faire se peut de s’adapter, de mixer leur langage, de devenir « inclusifs ». Ils entendent, lisent, sentent le vent de l’histoire récente. A grand renfort de psy, de développement personnel, ils ont compris qu’ils n’avaient pas le choix.

Et puis, il y a les autres. Tous les autres. Ceux qui disent ne rien comprendre à ce qui se passe du côté du genre, des femmes, des transexuel-le-s…. Celui qui toute sa vie s’est battu pour être un bon pourvoyeur, s’oubliant dans le travail pour que « sa » famille soit heureuse. Celui qui se croyait simplement viril et rassurant, assumant les rôles appris de père et de mari et se voit qualifié d’être violent, et stigmatisé comme tel. Ces hommes-là sont en crise de virilité.

Il y a aussi les oubliés, les laissés-pour compte de l’égalité, dont certains précaires mis socialement en position de femmes. Pour survivre, certains ont déjà basculé du côté des crispations virilistes. Dans leurs résistances, leur volonté d’être un homme, ils utilisent toutes les armes encore à leur disposition dont les violences. Violences symboliques de la dérision, de l’humour (sexiste et homophobe), mais aussi violences physiques contre les femmes, les enfants, et contre les hommes considérés comme non-virils. Violences contre les autres, mais aussi violences contre soi dans des conduites suicidaires, alcoolisme, délinquance routière au volant d’un symbole viril persistant, à savoir la voiture. Ce que certain-e-s nomment les maladies masculines refuges.

La judiciarisation contre les violences montre ses limites. Si 10% des femmes en couple subissent encore des violences physiques, cela signifie que 150 000 hommes ont frappé leur compagne dans les douze derniers mois. Or, nous n’avons que 60 000 places en prison en France (et 71 000 détenu-e-s). Et puis, la répression, l’utilisation de l’enfermement dans les temples de la virilité violente que sont les prisons est-elle la seule solution pour apprendre d’autres relations ?

"Personne n'est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu'un homme inquiet pour sa virilité." Simone de Beauvoir

Il est de l’intérêt collectif de tous, de toutes et des autres, que tous ces hommes déstabilisés n’aillent pas grossir les bataillons virilistes et masculinistes. Que leur résistance au changement, leurs interrogations, ne se transforment pas en guerre contre les femmes et le genre.

Accompagner les hommes, les aider à se reconstruire

Le droit des femmes est un droit précaire, jamais gagné tant que perdurera la domination masculine hétéronormative. Les remises en cause du droit à l’avortement aux USA, les croisades anti LGBTQI, la montée de l’extrême-droite et ses campagnes virilistes, comme la présence persistante des féminicides nous le rappellent sans cesse. Une réelle dynamique réactionnaire et réactionnelle est à l’œuvre.

Il est de l’intérêt collectif de penser aussi l’égalité de genre du côté de ceux qui restent des hommes. Dans certains pays, des mesures d’accompagnement ont été prises dans le cadre des politiques de santé. En France, timidement, plus de 30 ans après la création du premier centre français pour hommes violents, et tout en continuant des politiques d’accueil des femmes violentées, on commence à se préoccuper d’un autre type de soutien des conjoints violents. Mais comment aider tous les hommes à vivre cette transition du genre ?

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