Pour avoir eu le courage de suspendre les livraisons d'armes de l'Allemagne à l'Etat d'Israël, le chancelier Friedrich Merz a déclenché dans les rangs de la CDU, et plus encore de la très bavaroise CSU, une vague de réactions hostiles profondément irrationnelle.
L'Allemagne s'est enfermée depuis des années dans une "raison d'Etat" qui consiste à tout admettre -même le pire- de la part des dirigeants israéliens en raison de sa propre responsabilité dans l'origine et dans le développement effroyable de la Shoah. On comprend certes le sentiment de responsabilité des Allemands et leur volonté d'exorciser ce qui fut le pire moment de leur histoire. Mais ce sentiment et cette volonté peuvent-ils justifier un aveuglement qui conduit à se rendre objectivement complices de crimes que condamnent à la fois la Cour pénale internationale et une partie des historiens israéliens de la Shoah.
L'Allemagne n'a malheureusement pas été seule dans l'accomplissement de l'un des crimes les pires de l'histoire de l'humanité. Dans le discours du Vel d'Hiv du 16 Juillet 1995, le président français, Jacques Chirac, a ainsi reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France vers les camps de la mort de l'Allemagne nazie, secondée par des Français et par l'Etat Français. Nombre d'Etats européens devraient avoir l'honnêteté morale d'agir de même s'ils ne l'ont déjà fait.
L'horreur de ce que fut le nazisme doit-elle effacer tout ce que l'Allemagne humaniste a apporté au monde par la puissance de ses créateurs et de ses philosophes ? Ceux qui admirent la littérature allemande du XXème siècle, celle notamment de Thomas Mann et de Hermann Hesse, savent que l'on ne peut grossièrement assimiler l'Allemagne et le peuple allemand à l'épisode d'abomination et de barbarie criminelle que fut le nazisme.
En 1963, la réconciliation franco-allemande fut l'oeuvre du chancelier Adenauer et du général de Gaulle, moins de dix-huit ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Le général de Gaulle avait combattu l'Allemagne lors de deux guerres. Certains de ses proches, y compris sa propre nièce -Geneviève de Gaulle- avaient été victimes de l'univers concentrationnaire nazi. De Gaulle n'en savait pas moins que la France et l'Allemagne partageaient largement les mêmes racines historiques et que rien de grand ne pourrait se faire en Europe sans l'adhésion partagée de la France et de l'Allemagne aux mêmes valeurs. Or, c'est le général de Gaulle qui a été le premier des chefs d'Etat occidentaux à défendre les droits des Palestiniens et à mettre en garde les dirigeants israéliens contre la tentation d'une expansion territoriale sans mesure.
Pour les Européens d'aujourd'hui, les objectifs devraient être clairs : assurer en toute circonstance le respect des droits de l'homme et le respect du droit international -cela vaut en Ukraine et cela vaut à Gaza et en Cisjordanie-, agir face aux dérives et aux violations caractérisées du droit, par la sanction -qu'il s'agisse de Poutine ou de Netanyahu- mais aussi par la voie diplomatique pour que soient adoptées les mesures d'urgence --cessez-le-feu et libération des otages- et que se dessinent des solutions durables -le respect de l'intégrité ukrainienne, d'un côté, la solution à deux Etats, de l'autre.
Par son action courageuse, Friedrich Merz s'inscrit dans cette ambition. Il donne de l'Allemagne l'image que nous attendons, celle d'une nation qui assume son passé mais qui se veut aussi un partenaire ambitieux et profondément humaniste.
Daniel Garrigue
ancien député,
ancien maire de Bergerac.