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Billet de blog 4 mars 2016

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Autour du texte de Kamel Daoud: Cologne, lieu de fantasmes.

K. Daoud nous propose une vision clivée du monde: "les occidentaux" d'un côté," les réfugiés" issus du "monde d'Allah" de l'autre... Les universitaires qui le critiquent et tentent d'amorcer le débat, sont disqualifiés et accusés de complaisance avec l'islamisme...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     J’ai lu et aimé « Meursault, contre-enquête », l’histoire de ce « vrai fils de veilleur de nuit » (qui dort peu! ) ,  de cet «adolescent  piégé entre la mère et la mort », de ce justicier qui doit donner un nom à son  frère , jusque là personnage anonyme d' un autre livre…  J’ai trouvé à ce  roman, doublement fictionnel, un accent de vérité… Il  m’a procuré émotion, et surprise.

Ce que n’a pas fait  l’article de Kamel Daoud, sur les événements de Cologne…

   Admettons qu’on ne puisse pas demander à un article de journal de nous émouvoir, on peut cependant en attendre qu’il ouvre des questions… 

Le  titre de l’article: «  Cologne, lieu de fantasmes  »,  nous fait espérer une prise de distance de son auteur vis à vis de ces "délires"   ( c’est le mot qu’il emploie)

Pourtant après avoir décrit le  " jeu d’images que l’Occidental se fait de l’« autre », le réfugié-immigré : angélisme, terreur, réactivation des peurs d’invasions barbares anciennes … »,  K Daoud n'ira pas plus loin dans la  déconstruction des fantasmes à l’oeuvre. Il pourrait pourtant opposer à ce discours celui   d’autres « occidentaux » , comme, par exemple , celui de certaines féministes  qui affirment que : “Instrumentaliser ces crimes, laisser à penser que la violence machiste est un fait étranger à nos sociétés, qu’il suffirait de fermer nos frontières pour nous en prémunir, c’est occulter la réalité du quotidien des femmes.” (déclaration de l'association « oser le féminisme »).  

Il n’en tient pas compte , mais , au contraire,  reprend   à son compte « ces clichés » (encore un mot de lui)   et les justifie, en s’appuyant sur sa propre vision et expérience  du monde musulman. 

 C’est ce qui lui est principalement reproché   par les universitaires, peut-être un peu doctes, mais qui défendent leurs disciplines… Ces historiens, anthropologues,  politistes…  pointent  ses généralisations abusives (« les occidentaux », «  le  réfugié » ,   « le monde d’Allah »), cette «psychologisation »  qui efface le contexte  historique et  politique  de l’événement,  qui n’analyse rien des situations sociales, économiques et  des trajets  particuliers de ses acteurs.

 Il me semble qu’ils ont raison là dessus: pour faire des sciences humaines,  il faut utiliser les outils qu’elles ont forgés (enquêtes de terrain, analyse de données, statistiques, histoire des idées etc …)  Au contraire, se contenter de plaquer sur  un événement, sur une réalité extérieure, un schéma déjà connu , une vision déjà constituée supposée applicable à toute situation plus ou moins semblable, n’est-ce pas du même ordre que l’interprétation sauvage en  psychanalyse?  L’interprétation sauvage évite  l’analyse des signifiants du sujet pour lui imposer ceux de l’analyste.  Au début de son article K. Daoud nous dit d’ailleurs : « …  on sait – au moins – ce qui s’est passé dans les têtes. Celle des agresseurs, peut-être ; celle des Occidentaux, sûrement. »

Non, on ne sait pas…

Je lis dans un article du Huffington Post de février 2016, que "Les réfugiés récemment arrivés en Allemagne avaient rapidement été accusés d'agressions sexuelles dans la nuit du Nouvel an à Cologne. Pourtant, très peu d'entre eux sont impliqués dans cette affaire. Selon le quotidien belge néerlandophone De Morgen, citant la police allemande, la plupart des personnes impliquées dans ces actes sont Algériens et Marocains. La police allemande fait le point: 58 suspects ont été arrêtés et seulement 3 d'entre eux sont réfugiés, originaires d'un pays en guerre. Selon la déclaration du procureur Ulrich Bremer au journal allemand Die Welt, 25 de ces 58 suspects sont Algériens, 21 sont Marocains et 3 autres Tunisiens. A cette liste s'ajoutent trois Allemands et 2 Syriens… »

Effectivement il s’agit donc  bien de personnes  issues du monde arabe et musulman, mais de personnes précises, que l’enquête pourra retrouver et inculper (on l’espère du moins!)

 Elle sont majoritairement originaires du Maghreb et, je  l’ai lu dans un article du Monde , sont arrivées plus ou moins récemment  en Allemagne, mais , compte tenue de leur origine,  n’ont aucun espoir d’obtenir le droit d’y séjourner et d’y travailler.  Elles habiteraient  toutes le même quartier,  et  vivraient de boulots au noir, de vols et de trafics… La méthode employée le soir du 31 à Cologne  rappelle celle des agresseurs sexuels de la Place Tahir. Où des femmes musulmanes étaient les victimes… 

Un article de journaliste se doit de rappeler ces faits et s'il est avéré que les coupables de Cologne sont bien issus de cette délinquance-là, il doit réfléchir sur ce qui, au delà du religieux, détermine le passage à l’acte violent (comme le font en France  G. Kepel, O. Roy- pas forcément d’accord entre eux- ou F. Benslama ).

Il doit aussi approfondir, s’il est spécialiste du monde musulman, les différences de « mentalités » , d’idéologies, de comportements etc… selon le pays d’origine , car la religion n’est pas pratiquée de manière univoque dans un pays dictatorial ou démocratique, et selon les époques dans le même pays… Les pays où domine la religion musulmane sont très différents les uns des autres: est-ce que les musulmans de Syrie n’ont pas plus à se plaindre de Bachar El Assad que de leurs imams? Ceux d’Egypte des agressions sexuelles perpétrées par  la police du Général Sissi ? Ceux d’Arabie Saoudite de la loi islamique qui permet la décapitation des opposants? Ceux d’Iran, de la même loi islamique, mais contre laquelle un mouvement démocratique  peut se constituer et lutter,  parce que l’histoire de ce pays est différente…? 

 « On oublie, dit  encore K.Daoud,  que le réfugié vient d’un piège culturel que résume surtout son rapport à Dieu et à la femme. »  

 Il commence par décrire le rapport à la femme  dans le «monde d’Allah » pour enchaîner , sans les dialectiser, sur  le rapport des islamistes  à la vie:  "Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux : la vie. C’est une conviction partagée qui devient très visible chez l’islamiste par exemple. L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité…"

 « LA femme n’existe pas » ont coutume de dire  les psychanalystes lacaniens…!  Mais les  les femmes  et les hommes   innombrables, venus de ce monde d’Allah, que  pensent -ils de ce « résumé »  ? Eux qui , comme tout un chacun, tentent  de négocier avec  leurs angoisses ou leur  masochisme, qui , comme tout un chacun,  échouent à  fixer le sens  de leur vie et de leur mort , qui sont traversés,  comme nous,  par les douleurs et les exaltations  du désir,  et travaillent inlassablement à  se «bricoler» une identité avec les signifiants  qui les constituent... Seraient-ils les seuls à ne pas avoir la possibilité d’inventer leur vie (sexuelle entre autre) , avec plus ou moins de libertés , selon le contexte «culturel" dans lequel ils évoluent (l’histoire familiale , la part inconsciente de cette histoire étant à prendre en compte pour chacun de ces sujets, un par un)?

J’ajouterai  que cette polémique autour du texte de  Daoud, l’ampleur qu’elle prend , sont surtout  le résultat d’un combat  politico-idéologique  français, en particulier à gauche. 

Manuel Valls s’en empare pour s’opposer aux universitaires :  « Les attaques, la hargne inouïe dont Kamel Daoud fait l’objet depuis quelques jours ne peuvent que nous interpeller, nous indigner. Et pour tout dire : nous consterner », écrit le chef du gouvernement au début de ce texte de soutien intitulé « Soutenons Kamel Daoud ! »

Analysant cette polémique Laurent Bouvet estime qu'« une certaine gauche, politique et intellectuelle, c'est le cas aussi dans l'université et la recherche, se comporte de manière très complaisante avec l'islamisme » et emploie « à l'encontre de tous ceux qui ne pensent pas comme elle, des méthodes d'intimidation et de disqualification, notamment en usant et abusant du mot “islamophobie”11. » (wikipedia) 

 C’est toujours le même débat  qui confond   « expliquer" et « excuser" , les mêmes  attaques contre la sociologie ( tirée vers le «  sociologisme »)  et la confusion entre  analyse critique  et complaisance avec l’islamisme .

Ceux qui en France se risquent à cette analyse   des rapports ,  forcément complexes,  entre islam, et islamisme, religion et politique, islam  et terrorisme etc.. se voient disqualifiés;  on exagère la violence de leurs critiques,  on parle de « haine »,  « d’inquisition",  de « verdict d’islamophobie »,  de « journaliste mis en pâture", comme si ces universitaires français   étaient les ennemis principaux de K. Daoud , les  complice des lanceurs de fatwa, les alliés du pouvoir anti-démocratique d’Algérie! 

Autant il est important de soutenir K. Daoud dans son combat courageux, et pour cela de désigner ses  vrais ennemis: ceux qui dans le monde (arabo-musulman en particulier) le privent de sa liberté d’expression,  autant il faut être ferme en France (où il n’est pas interdit de parole et peut participer au débat)  dans la défense de nos  traditions et valeurs intellectuelles. Il ne faut rien lâcher et s’opposer clairement tout ce qui va dans le sens de la confusion, de  l’obscurantisme. 

Pour finir , je citerai encore  K. Daoud.

Dans son article, d’abord,  où  il écrit: "  Le réfugié est-il donc « sauvage » ? Non. Juste différent. 

Il persiste là à affirmer qu’il existe,  selon lui,   2 univers mentaux nettement séparés:  celui des «  occidentaux », les «libérés», ceux qui n’ont pas de problème avec le sexe, le viol, la pornographie, la pédophilie, leur mère, les femmes… et  à l’opposé, celui de la misère sexuelle uniformément répandue dans le « monde d’Allah ».  Entre ces 2 mondes , une  irréductible altérité.   La même qu’il est nécessaire d'affirmer à l’égard du fou, du délinquant, du terroriste, de l’étranger... ? 

Pourtant,  dans « Meursault, contre-enquête », il nous alertait très fermement: « As-tu bien noté? Mon frère s’appelait Moussa. Il avait un nom. Mais il restera l’Arabe et pour toujours »… »  Et  "Depuis des siècles le colon étend sa fortune en donnant des noms à ce qu’il s’approprie et en les ôtant à ce qui le gêne. S’il appelle mon frère l’Arabe, c’est pour le tuer comme on tue le temps , en se promenant sans but».

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