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Billet de blog 21 janvier 2019

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Rejoignez-nous pour un printemps de la psychiatrie!

« On juge du degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses fous  » écrivait le psychiatre Lucien Bonnafé en 1992 dans son livre « Désaliéner ? Folie(s) et société (s) »

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« On juge du degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite ses fous  » écrivait le psychiatre Lucien Bonnafé en 1992 dans son livre « Désaliéner ? Folie(s) et société (s) »

Si l’idée vous semble juste,  il est temps de vous mobiliser pour stopper  la descente aux enfers  dans laquelle sont inexorablement entraînés  les patients et les professionnels de la psychiatrie.

Et de venir manifester Mardi 22 janvier à 11H Place de La République, pour une psychiatrie digne et humaine!

 Il y a 10 ans se créait « le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire »,  suite à l’intervention de  Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony. Il s’agissait de dénoncer les dérives normatives et  sécuritaires du discours politique sur la psychiatrie, dérives responsables de la dégradation inexorable des modalités d’accueil et de soin dans le sanitaire et le médico-social.

Ce mouvement a porté  sur le devant de la scène l’insupportable banalisation des pratiques d’isolement et de contention qui se sont multipliées au cours des vingt dernières années.

La Contrôleure Générale des Lieux de privation des libertés, Adeline Hazan,s’en est saisie.  Le 25 mars 2016,  suite à son  rapport sur le Centre psychothérapique de l'Ain,  Eric Favereau décrivait dans Libération ( l’article était  titré « L’enfer derrière les portes ») « les conditions de vie inhumaines  des malades dans cet  asile, à côté duquel celui de "Vol au-dessus d'un nid de coucous" passerait pour une sympathique auberge de jeunesse… »

 A la suite de ces « révélations » , de même qu’ensuite après la grève de la faim des personnels soignants de l’hôpital du Rouvray à Rouen, ou de l’action des « perchés du Havre », Agnès Buzyn la ministre des Solidarités et de la Santé, ne cesse de répéter : “On peut dénoncer des conditions de travail parfois très dures, ainsi que des conditions d’hospitalisation parfois dégradés, mais il faut être attentif à ne pas généraliser les situations dramatiques que l’on peut observer dans certains endroits”…    

A celale DR Pierre Zanger , psychiatre, vice-président de SOS Addictions, interrogé le 6 mars 2018 dans Slate.fr répondait : « Non. Nous ne généralisons pas ces situations artificiellement par la parole, nous constatons dans la réalité le fait que ces situations continuent de se généraliser... »    «  Depuis des années, les atteintes gravissimes aux libertés fondamentales des patients en psychiatrie publique (enfermement, isolement et contention en premier lieu) sont dénoncées par les divers contrôleurs. Rappelons que les internements illégaux, qui se multiplient comme des petits pains dans la quasi-totalité des établissements de psychiatrie publique –y compris les plus prestigieux– sont assimilables au regard de la loi à un crime, à un kidnapping, une séquestration… » …. « Il y a eu et il y a pourtant des investissements, avec la multiplication des types et du nombre de nouvelles unités d’enfermement (UMAP, USIP, UHSA, UMD), unités auxquelles certains patients préfèrent de plus en plus la prison... Et quand on sait ce que vivent les malades mentaux (je pense aux psychotiques) en prison, on devrait fortement s’inquiéter d’une telle préférence.  On assiste à la multiplication des chambres d’isolement, honteusement rebaptisées chambres de “soins intensifs”, alors que c’est de rupture de lien, de solitude dont souffrent ceux qui y sont abandonnés.  La sangle ne remplace pas le lien humain. Des caméras en contrepartie pullulent comme des champignons, bientôt des gilets voire des matraques pour “protéger” les soignants, … sans même parler de la fermeture à clé des services, y compris ceux qui sont dits “libres”. ..

Nous voilà au XXIème siècle, avec  des lieux d’enfermement pires que ceux  du début du XXème !

Ces asiles  avaient été fermées pourtantdansles années 60, quand  le mouvement « désaliéniste »  avait permis un virage majeur dans l’organisation de le psychiatrie: faire sortir les malades des murs des institutions psychiatriques  pour leur permettre d’être soignés au cœur de la cité. Les « secteurs » étaient nés,  lieux « d’hospitalité à la folie »,  où la même équipe suivait le patient adulte,  l’enfant et sa famille, dans la durée, de la consultation à l’hôpital, du service de soin à domicile à  l’atelier thérapeutique…

Malheureusement cette conception de l’accueil et du soin a progressivement  été remise en cause  etdans un contexte néolibéral,  les politiques publiques de rationalisation à court-terme des coûts ont fait le reste.

Alors qu’on passait de 130 000 à 50 000 lits,  on a supprimé des CMP,  des services de soins, réduit leurs personnel médical, diminué le nombre des consultations.  Chaque  secteur était conçu pour une population de 75 000 habitants, aujourd’hui, à force de fusions, suppressions, regroupements de structures,  certains vont atteindre le double.

Et  dans le même temps, la demande de soins explose : « Il y a vingt ans, on suivait un million de patients dans la psychiatrie publique. Aujourd’hui, on en est à 2 millions », dit Jean-Pierre Salvarelli, chef de pôle à l’hôpital du Vinatier à Lyon.

Résultat : « En CMP adulte, l’attente moyenne entre la prise de contact et le premier rendez-vous avec un psychiatre peut atteindre trois mois(…).Systématiquement, les délais d’attente sont de deux à six fois plus longs pour les enfants que pour les adultes », souligne un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales ( rapport Igas) de mars 2017.

Imaginez ce que représente,  par exemple,  pour un enfant de 2 ans et pour ses parents en détresse,  ce délai d’attente de 6 à 18 mois  pour avoir un premier rendez-vous !

 A cela s’ajoute l’emprise de la gestion bureaucratique et comptable qui a perverti le fonctionnement des hôpitaux publics, toutes les procédures et protocoles d’accréditation et le contrôle normatif des pratiques par une Haute Autorité de Santé soumise aux approchespseudo-scientifiques d’une médecine basée sur les preuves.

Qu’on se souvienne de  Segolène Neuville, secrétaire d’Etat en charge des Personnes handicapée qui, en mai 2016,  sans se préoccuper de la souffrance de ces personnes, a interdit l’utilisation du  packing, pour des raisons purement idéologiques, privant ainsi  les équipes du recours à  cette pratique  (des enveloppements humides) utilisée depuis  les années 60 pour apaiser les enfants autistes qui s’automutilent.

Qu’on se rappelle aussi le projet de loi du député LR Fasquelle en décembre 2016, (une loi heureusement rejetée)  visant à interdire la prise en charge des autistes par les psychanalystes.   Une tentative d’introduire, à la soviétique, une science d’Etat.

 La théorie et  les pratiques psychanalytiques sont largement attaquées depuis des années.  

On ne compte plus le nombre de pétitions que nous avons dû signer pour défendre l’enseignement de la psychanalyse à l’université. Dernièrement elle est menacée de disparition  dans le cadre de la formation des psychologues.

Des  formations qui se  réfèrent  à la psychanalyse, demandées par des personnels hospitaliers,  sont  régulièrement refusées par les directions.

Pire, dans les réunions d’équipes (de moins en moins fréquentes faute de temps) les soignants qui trouvent appui sur ses concepts,  ne sont pas entendus voire considérés comme politiquement incorrects. « Pulsion », « inconscient » « refoulé » …  peuvent devenir de  « gros mots ».

Dans les débats organisés aujourd’hui, autour des troubles mentaux et  des problèmes de la psychiatrie,  les psychanalystes sont de moins en moins invités.

 Pourtant par ailleurs, en  France , « La psychanalyse ou tout au moins sa vulgate- indice ambigu de ce que Pierre Bourdieu aurait pu désigner comme un « révolution symbolique réussie » - est partout »  (Sabine Prokhoris, dans  « L’insaisissable histoire de la psychanalyse »)

Onn’hésite pas  à  commenter les lapsus d’un homme politique, ni ses troubles de personnalité.  Plus sérieusement,  « Nul n’ignore plus que l’inconscient rend malade… et que, par conséquent, la psychanalyse, qui se débrouille avec ce diable, est faite pour soigner ! » (Gérard Pommier)

Depuis son invention par Freud, il y a plus de 100 ans, cette discipline  a fait ses preuves dans la thérapie de ceux qui dérapent,  qui chutent…  sous le coup des harcèlements de la vie.  Et,   comme le souligne S. Prokhoris dans le même ouvrage :  « si le travail psychanalytique,  qui s’effectue dans les cures en parlantse déroule toujours au singulier, il conduit nécessairement, parce que nous sommes des animaux « traductifs », des animaux de liens, à saisir quelque chose de la texture de « l’en commun »…

Malheureusement, aujourd’hui, l’objectif visé n’est plus de chercher à saisir « ce dont se tisse,  à chaque fois unique, la singularité d’une vie » ; il est de normaliser  les comportements en  supprimant ses symptômes.

  “Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou.”écrivait Pascal.

La société est devenue folle : aujourd’hui, cet homme, nécessairement fou, n’a  plus droit de cité.

Nous ne souffrons plus d’angoisses, tristesses, désespoirs, terreurs, honte, culpabilité, sidération, colères…  nous ne sommes plus malades d’amour et de haines, nous n’avons plus  peur de grandir,   changer,  vieillir, être abandonné,  mourir…

Nous sommes justes « troublés », nous « dysfonctionnons » et nous disposons  d’un manuel pour classifier nos troubles et les traiter, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders)  qui découpe nos désordres intimes en petits morceaux parfaitement  étiquetés   et facilite ainsi  la tâche de nos psychiatres, eux  qui ne sont plus formés à  la clinique du sujet.

 On ne pense plus la pathologie mentale avec les disciplines qui étaient les nôtres ;  on refuse l’hétérogénéité des pratiques de soin qui  tenaient compte des avancées et des savoirs dans tous les champs (psychiatrique, psychopathologique, biologique, phénoménologique, philosophique,   psychanalytique et dans le domaine des sciences humaines)

 Les  neurosciences deviendraient les seules capable d’expliquer notre humaine fragilité.

Leur pouvoir vise à s’étendre partout,  jusque dans les écoles où nos enfants sont de plus en plus « jaugés » à l’aune de cette discipline et orientés par les enseignants vers les services hospitaliers qui s’en réclament et contribuent à désigner comme « handicapés » les enfants en difficultés.  

En pédopsychiatrie, au lieu de recruter des personnels formés à l’écoute et au soin, les autorités de santé multiplient les centres dits « experts". Les parents  qui attendent désespérément d’être reçus en CMP, sont orientés vers ces centres.
Chaque  enfant y est   soumis à des batteries de tests standardisés, sans que ses émotions particulières,  ses inquiétudes , ses  pensées, son histoire….  soient questionnées , il repart de là avec « son » diagnostic et les parents sont sommés de  le faire traiter selon les recommandations du spécialiste .  Par exemple un traitement médicamenteux à la Ritaline pour les turbulents,  « diagnostiqués » TDAH ( trouble  déficit de l’attention avec hyperactivité, une  fausse maladie,  inventée par les neuroscientifiques pour  faire entrer sous cette étiquette, soit au  titre de  troubles  principaux, soit à celui  de troubles associés,  une grande partie de la psychopathologie de l’enfant !) .

Mais ces bilans, ces traitements chimiques, ces rééducations cognitives ne traitent pas le trouble psychique, ils ne soulagent en rien l’angoisse de l’enfant et de sa famille qui restent en souffrance.

 En faisant fi des problématiques individuelles, sociales, historiques, culturelles…, en éliminant la dimension de l’inconscient, on  efface le sujet dans sa complexité, on ne comprend plus rien au psychisme humain et à ces zones d’ombre ( addictions, masochisme, pulsion de mort…)

 La folie devient  une maladie du cerveau,  une maladie comme les autres, à soigner comme les autres (médicaments, psychoéducation sur le modèle du diabète par exemple…) 

  Parlant du travail des psychanalystes, Sabine Prokhoris écrit (toujours dans son histoire insaisissable de la psychanalyse)    …« l’impression est pour moi tenace que nous accomplissons un travail toujours en train de se défaire, un ouvrage de dentelière sur d’évanescentes gouttes d’eau prises une à une dans l’océan. Ou sur des grains de sable que le vent à chaque instant disperse. Autant dire que la prise est faible sur ce qui constitue l’objet de cette activité, si on ne souscrit pas à l’idée tranquillisante que sa visée est de réconforter, voire de redresser les âmes cabossées par le malheur de vivre ou de nos jours par ce que d’aucuns considèrent comme les égarements du monde contemporain ».

 Venez nous aider à continuer !

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